Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

S'il contient des mesures positives, ce texte demeure donc insuffisant. Ainsi, il ne dit rien de l'évasion fiscale, alors que la majorité vient d'adopter un rapport qui formule plusieurs recommandations.

De même, la création d'une police fiscale n'est en réalité qu'un redéploiement de services existants du ministère de l'intérieur vers Bercy. Aucun poste n'est créé, alors que des milliers d'emplois ont été supprimés dans le service des contrôles fiscaux. En outre, le Conseil d'État a émis de gros doutes sur l'efficacité de cette mesure qui pourrait créer des concurrences entre services.

Je le disais, ce texte ne fait que reprendre la liste européenne des paradis fiscaux : elle est vide, et la nôtre le sera donc également. J'ai déjà mentionné l'amendement proposé par plusieurs groupes, dont le nôtre, rendant possible d'y inclure des États de l'Union européenne – et je remercie Mme la rapporteure d'avoir eu l'élégance de nous citer parmi les signataires. Mais, sans changement de critères, notre liste demeurera vide, puisqu'il suffira qu'un État s'engage à améliorer sa transparence pour qu'il soit retiré de la liste, comme cela a été le cas du Panama.

Plusieurs mesures du texte sont intéressantes, mais méritent d'être durcies. Ainsi, le renforcement des sanctions financières pour les cas de fraude fiscale est très largement insuffisant. En commission, monsieur le ministre, nous avions proposé que l'amende encourue pour refus de communication ou pour injures envers les agents soit portée à 5 000 euros. Vous aviez proposé un accord à 3 700 euros. J'espère que cette promesse sera tenue.

Le renforcement des sanctions à l'encontre des intermédiaires est également une bonne mesure, mais insuffisante, puisque l'amende ne pourrait être portée qu'à 50 % des honoraires perçus. Pas plus de la moitié des bénéfices tirés de l'organisation d'une fraude fiscale : c'est curieux !

Quant au verrou de Bercy, il en a beaucoup été question. Les médias nous disent depuis quelques jours qu'il va sauter. Je commencerai par rappeler comment nous en sommes arrivés là. Il y a un an, en juillet 2017, nous avons bataillé, contre l'avis du Gouvernement, pour faire sauter le verrou de Bercy, exception française un peu étrange qui permet à une administration de constituer son propre tribunal. Ces efforts transpartisans – je pense notamment à Charles de Courson – ont mené à la création d'une mission parlementaire, menée par Émilie Cariou et Éric Diard, dont je salue ici le travail.

Le rapport de la mission nous convenait ; il a d'ailleurs été voté à l'unanimité. Mais le projet de loi ne reprend pas exactement ses propositions. En particulier, il maintient la commission des infractions fiscales – dont le rapport demandait la disparition – et ne prend pas en compte dans les critères le cas des majoration de 40 %, ce qui fait que le nombre de dossiers transmis directement à la justice sera divisé par deux, passant de 4 000 à 2 000.

Nous déposerons, malgré ces progrès, des amendements reprenant les propositions du rapport, dont je répète que tout le monde l'a adopté, y compris la majorité et les deux présidents de la commission des finances et de la commission des lois. Je souligne aussi que toutes ces mesures, certes bonnes à prendre, ne seront que voeu pieux si par ailleurs nous n'augmentons pas les effectifs de la justice, et donc le budget afférent, puisqu'il y a aujourd'hui déjà un embouteillage en cette matière. Il en va de même, je l'ai dit tout à l'heure, pour les effectifs de Bercy.

Mais notre principale critique concerne les articles 9 et 9 bis, contradictoires avec la levée du verrou de Bercy.

L'article 9 étend à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, c'est-à-dire ce que l'on appelle le « plaider-coupable ». C'est un moyen d'éviter la pénalisation de la fraude fiscale : les fraudeurs poursuivis au pénal et disposés à reconnaître leurs torts pourront s'éviter un procès en acceptant la peine proposée par le procureur de la République, qui sera de fait réduite, la peine de prison ne pouvant excéder un an. Cette possibilité, on le voit bien, ne peut que favoriser les plus puissants, comme par exemple les multinationales, qui peuvent non seulement se payer des conseillers juridiques mais de surcroît faire du chantage à l'emploi pour négocier une sanction plus faible. Échapper au procès permet également au fraudeur d'éviter que son dossier ne se gonfle de nouvelles pièces qui pourraient être apportées au dossier au cours de la procédure judiciaire.

Cet article 9 diminue donc largement la portée des mesures relatives au verrou de Bercy. Nous demanderons sa suppression.

Quant à l'articIe 9 bis, il élargit à la fraude fiscale et aux délits connexes le champ de la convention judiciaire d'intérêt public créée sous François Hollande, qui ne concerne aujourd'hui que le blanchiment de fraude fiscale. Mais c'est l'inverse de ce que nous recherchons ! Je rappelle que la première de ces conventions a concerné la banque HSBC, qui s'est vu imposer une pénalité de 300 millions d'euros alors qu'elle devait 1,6 milliard... Autrement dit, quand on prend un cambrioleur, on lui prend une toute petite partie de son butin et on l'autorise à continuer ! C'est insupportable. Il ne faut pas étendre cette possibilité de transaction.

Je note d'ailleurs qu'aux États-Unis, pour des faits à peu près semblables, HSBC a dû rembourser toutes les sommes issues de la fraude, augmentées d'une sacrée pénalité.

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