Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du lundi 15 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l'examen du projet de loi de finances est sans doute l'un des moments les plus importants de l'année, puisqu'il traduit les différents moyens alloués aux politiques nationales au travers des crédits mis à la disposition des ministères.

Le projet de loi de finances, ce sont donc des dépenses, mais aussi des recettes. Il est vrai qu'aujourd'hui, on entend parler davantage de dépenses que de recettes, avec ce message sans cesse ressassé et relayé qu'il faudrait diminuer les dépenses publiques. Pour quoi faire ? Pour baisser les impôts. Le gros mot est lâché : les Français payent trop d'impôts !

Diaboliser l'impôt, combattre l'impôt… Pourquoi tant d'acharnement ? Une société digne de ce nom doit appeler chacun et chacune d'entre nous à participer en fonction de ses capacités contributives, et sans doute aussi en fonction des enjeux de société.

L'impôt, c'est notre sécurité. Personne ne veut transiger avec la sécurité. Beaucoup, ici ou là, réclament des policiers ou des gendarmes supplémentaires – mais comment sont payés les gendarmes et les policiers, comment sont financés les hôtels de police et les gendarmeries ? Par les impôts, bien sûr !

Beaucoup dénoncent, avec juste raison, des suppressions de classes, des fermetures d'écoles, des classes surchargées, des absences non remplacées ou encore des étudiants sans université. Mais comment est financée l'école de la République dans notre pays ? Avec l'impôt, bien entendu ! La santé, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la recherche publique, les infrastructures et tant d'autres choses sont financées par l'impôt. Et on n'arrête pas de mettre dans la tête des Français qu'ils paient trop d'impôts !

A-t-on trop de sécurité, d'éducation, de moyens pour la santé ? On nous rabâche à longueur de journée qu'il faut baisser les dépenses publiques pour baisser les impôts ; mais, baisser les dépenses publiques, c'est diminuer l'offre de services publics ! Faire mieux avec moins, c'est formidable ! Faisons avec moins, nous ferons sans doute encore mieux !

Mutualiser serait la solution à tous les problèmes. Une dose de mutualisation, un zeste de numérique, et l'affaire est réglée ! Franchement, il faut vraiment être de l'ancien monde pour ne pas comprendre ça ! Et tant pis si une partie de la population est « larguée » ! Oui, l'impôt est plus que jamais nécessaire, mais il doit être juste. C'est le sentiment d'injustice qui fait réagir nombre de Français.

À ce propos, je veux revenir brièvement sur la campagne ignoble lancée vendredi dernier sur le thème : « Balance ton maire ». Eh bien oui, le Gouvernement a décidé de supprimer la taxe d'habitation d'ici à trois ans, communiquant énormément sur cette mesure. Et patatras ! Les avis d'imposition qui arrivent depuis quelques jours dans les boîtes aux lettres ne ressemblent pas toujours à ceux de l'an dernier diminués d'un tiers, et ce pour différentes raisons, d'ailleurs tout à fait recevables. Il est vrai que, dans sa précipitation à communiquer, le Gouvernement avait fait l'impasse sur différents scénarios totalement prévisibles. Et parmi ceux-là, le fait que certaines communes augmenteraient les taux d'imposition, non pour le plaisir, bien sûr, mais parce qu'elles l'avaient prévu au regard, par exemple, d'investissements réalisés. Les nouveaux taux, d'ailleurs, ne sont pas forcément supérieurs à ceux d'autres communes qui n'ont pas augmenté les leurs. Et voilà que ces communes – de 5 000 à 6 000, sur un total de 35 000 – sont jetées à la vindicte populaire et leur maires accusés de trahison, le ministre allant même jusqu'à remercier les 30 000 maires qui n'ont pas augmenté leurs taux !

Il est indigne, et même scandaleux, de faire porter le chapeau à ces élus qui donnent du temps sans compter, obligés qu'ils sont de jongler avec les baisses de dotations, lesquelles, en dépit des promesses, ont concerné beaucoup de communes en 2018. J'espère que, au lieu de désigner des coupables, le Gouvernement apportera rapidement son soutien à ces élus accusés injustement, et qu'il clarifiera sa position en levant toute ambiguïté. On s'étonnera, après de tels propos, de la crise des vocations !

Revenons à ce projet de loi de finances. Est-ce un bon projet ? Plutôt que de me borner à une critique de fait, plutôt que de dire qu'il ne peut être un bon budget, je poserai plusieurs questions pour l'apprécier. Premièrement, l'effort demandé aux Français est-il bien proportionné ? La contribution de chacun pour que l'intérêt général soit préservé est-elle équilibrée ? Est-ce un budget de justice ? Malheureusement, à cette première question, je dois répondre non. Pour la deuxième année consécutive, le budget de la France sera privé de ressources indispensables pour conduire des politiques ambitieuses au service de tous et dans l'intérêt de tous. C'est le sentiment d'injustice, disais-je à l'instant, qui fait réagir les Français, car beaucoup d'entre eux ne comprennent pas qu'il y ait deux poids, deux mesures.

Le récent rapport sur le plafonnement de l'ISF révélait qu'en 2017, les 358 000 contribuables qui s'étaient acquittés de cet impôt cumulaient 1 028 milliards d'euros de patrimoine. Oui, mille milliards, c'est à dire la moitié de notre produit intérieur brut ! Et c'est à cette toute petite minorité de premiers de cordée, pour paraphraser quelqu'un, qu'on déroule le tapis rouge et à laquelle on fait des cadeaux somptueux, en l'occurrence un chèque de plus de 3 milliards d'euros. Voilà qui fait du pognon ! Un « pognon de dingue » !

Quand on pense que le Gouvernement a bloqué la proposition de loi de notre collègue André Chassaigne sur la revalorisation des retraites des anciens chefs d'exploitation agricole, avec un minimum garanti qui serait passé de 75 % à 85 % du SMIC, c'est-à-dire de 871 à 987 euros ! Mais qui, ici, accepterait une telle retraite ? Savez-vous combien coûterait cette mesure ? Réponse : 350 millions d'euros, c'est-à-dire trois fois moins que la perte de recettes engendrée par la flat tax, cette fameuse mesure qui a permis de bloquer à 30 % l'imposition des revenus financiers et des dividendes perçus par les grands actionnaires, leur faisant ainsi gagner 1 milliard d'euros. Pensez-vous que, sans cet argent, ils se seraient retrouvés sur la paille ?

Sortez de votre bulle, mes chers collègues, sortez de vos certitudes. Regardez la vérité en face. En tout cas, je puis vous dire que, dans mon département de l'Allier, la pilule n'est pas passée, et elle n'est pas près de passer ! Dans notre ruralité, comme en milieu urbain, certains retraités ne chauffent qu'une seule pièce l'hiver, et parfois seulement une partie de la journée. Alors vous qui avez le doigt sur la couture du pantalon face à la grande finance, vous qui voulez « libérer les énergies », ouvrez enfin les yeux !

Les retraités sont les mal-aimés de votre majorité, même si vous n'aimez pas qu'on le dise. Au demeurant, ce n'est pas moi qui le dis mais eux, et de façon unanime. Et ils ont dû vous le dire aussi, mes chers collègues, quand vous les avez reçus, comme c'est sans doute le cas de certains d'entre vous – et comme je l'ai fait moi-même – , dans vos permanences.

Après l'augmentation de la CSG de 1,7 point pour 60 % d'entre eux, voici que l'on annonce une revalorisation des pensions de seulement 0,3 % pour les deux ans à venir, alors que l'inflation, qui repart, atteindra 1,7 %. Cela représente encore une perte de pouvoir d'achat pour cette catégorie de Français, pour cette génération qui, très souvent, a travaillé dur toute sa vie, et ce depuis le très jeune âge.

Les retraités ne doivent pas simplement être traités sous l'angle comptable, comme une charge, conformément au message que vous leur envoyez. Les retraités font société, ils sont actifs, ils s'engagent auprès de leurs enfants et de leurs petits-enfants pour pallier les difficultés qu'un certain nombre d'entre eux rencontrent avant d'entrer dans la vie active ou face à des situations précaires pour financer leurs études, par exemple.

Les retraités sont très actifs aussi dans le milieu associatif, qu'il soit social, sportif, culturel ou humanitaire, entre autres. Cet engagement constitue un bien précieux ; il permet le vivre ensemble autour de bénévoles dévoués, sans lesquels ce « vivre ensemble » serait une expression bien creuse. Or, ce vivre ensemble, il faut le préserver ; mieux, le renforcer face à la tentation du repli sur soi qui nourrit les populismes les plus dangereux, les plus extrêmes, et pour lesquels l'étranger n'est pas le bienvenu.

Les retraités ne sont pas les seuls dans le viseur. Les familles paieront aussi puisque les prestations familiales subiront le même régime sec en 2019 et en 2020. Le point d'indice dans la fonction publique, lui, est bloqué.

Messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité, vous faites le choix de la finance plutôt que celui de l'humain, l'humain d'abord que nous aimons, nous, communistes, mettre en avant. Vous faites le choix d'une minorité de privilégiés au détriment du plus grand nombre et de l'intérêt général.

Emmanuel Macron confirme bien, comme nous l'avions affirmé l'an dernier, qu'il est le Président des riches. Et vous, chères et chers collègues de la majorité, vous êtes, en permettant et en soutenant les orientations politiques que j'ai décrites, devenus aussi les députés des riches, et même des très riches. Ce budget est donc un budget d'injustice, et il aggravera encore les inégalités dans ce pays.

Vendredi soir, j'étais à Moulins pour l'inauguration des nouveaux locaux du Secours populaire français. Heureusement qu'il y a dans notre pays des gens qui raisonnent en termes de solidarité plutôt que de profit ! Les besoins sont immenses et, malgré le travail formidable que font ces organisations, des citoyens sont exclus de la société. Ils expriment une grosse inquiétude, messieurs les ministres, sur le devenir du fonds d'aide européen aux plus démunis. Ce fonds est indispensable pour faire face aux besoins alimentaires. Sera-t-il reconduit dans les années à venir ou, comme certains le craignent, fondu dans d'autres dispositifs pour disparaître tranquillement ? Sur ce dossier, nous vous demandons la plus grande vigilance et un engagement sans faille pour que toutes celles et tous ceux qui sont concernés ne soient pas assujettis à la double peine.

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