Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2017 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur l'avenir de l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Changement climatique, migrations, défense, lutte contre le terrorisme et le crime organisé et, bien évidemment, développement économique et partage des richesses, dans le contexte de la globalisation : aucune de ces questions ne peut trouver une solution seulement nationale. La dimension européenne nous empêche de vivre seuls et enfermés dans nos frontières. Ce que les États pris isolément ont perdu en efficacité dans leur territoire soumis à des décisions qui ne leur appartiennent plus seulement, ou à des événements dont ils ne sont plus maîtres, ils peuvent le retrouver en agissant ensemble et le faire valoir face à des États situés en dehors de l'Europe plus puissants démographiquement, économiquement ou militairement.

Mon propos est celui des députés socialistes pour lesquels l'Europe est, non pas un plan B ni une variable d'ajustement de la politique nationale, mais un espace politique qui a vocation à donner plus de protection et plus de prospérité à nos concitoyens. Le Président de la République a récemment appelé à une refondation de l'Europe, en invoquant, entre autres, la sécurité, les migrations, la politique étrangère, la transition énergétique, l'innovation radicale, la coordination des politiques économiques ou l'instauration d'un budget commun à la zone euro. Il a cité plusieurs initiatives : la refonte de la directive sur les travailleurs détachés, la généralisation de la taxe sur les transactions financières ou l'harmonisation des cycles d'études du second degré. Il a parlé méthode en réitérant son souhait d'instaurer des conventions démocratiques faisant partie intégrante de la refondation européenne.

Tout cela, dans les intentions, apparaît satisfaisant, mais ce n'est pas la garantie de la meilleure façon d'avancer et de combler les fractures au sein de l'Europe. Les outils sont déterminants, mais ils ne font pas à eux seuls une politique nouvelle. Les fractures sont de trois ordres. D'abord, il existe une fracture sur la nature et les objectifs mêmes de l'Union, et ce, entre les décideurs nationaux et européens, et les citoyens. Selon une étude de juin 2017 menée dans dix pays, seulement 34 % du public a le sentiment d'avoir bénéficié de l'appartenance à l'Union européenne, contre 71 % des responsables. Une majorité du public – 54 % – estime que son pays était un meilleur endroit pour vivre il y a vingt ans. L'identité joue un rôle significatif dans la façon dont les citoyens le perçoivent.

Cette fracture existe au sein même des responsables – certains parleraient des élites – , qui divergent sur la façon dont le processus doit être poursuivi ou non. Contrairement aux idées reçues, les élites ne sont pas toujours des fervents défenseurs de l'intégration : 28 % d'entre elles soutiennent le statu quo, et 31 % estiment que l'Union européenne devrait rendre une partie de ses pouvoirs aux États membres.

Il ne suffira donc pas d'affirmer pour convaincre. Il ne suffira pas de communiquer. Il faudra des actes forts, des actes qui traduisent de nouvelles politiques publiques européennes, qui « embarquent » – permettez-moi le mot – plus de monde. Plutôt que de suivre une logique de crédits épars, vécue comme lointaine par les citoyens, il faut donner à l'Europe une vocation plus large. Des projets qui parlent aux individus doivent être relancés. Certains de ces sujets ont été fortement défendus par les députés de la majorité de la précédente législature.

À cette première fracture s'ajoute, la fracture économique et sociale, exacerbée en partie par la crise économique qu'ont connue l'Union européenne et ses États depuis 2008. Les politiques de ce que j'appelle « la rigueur mal partagée », défendues dans un contexte d'accroissement des inégalités, ont laissé et laissent des incertitudes qui constituent une des causes principales de la désaffection. Rien dans les propositions faites n'annonce un recadrage ou une nouvelle étape de type plan européen.

Les choix faits dans notre propre pays en termes de politique budgétaire et fiscale, que nous examinerons prochainement dans cette même assemblée, évoquent plutôt un alignement sur ce que pratiquent plusieurs gouvernements de droite, sans nouveau souffle pour l'Europe. Avoir un outil commun est un préalable, mais cela ne change pas la donne si les opportunités nouvelles ne sont pas saisies.

Pourtant, des marges existent : une récente étude réalisée par des experts et économistes montre qu'un scénario d'actions coordonnées, avec une augmentation mesurée simultanée des dépenses publiques, une taxation plus progressive des revenus, et une meilleure prise en compte des salaires dans chaque pays aurait un effet positif sur l'investissement public et privé, ainsi que sur le solde budgétaire – le déficit diminuerait.

S'agissant de l'amélioration des rémunérations, elle pourrait être atteinte par l'augmentation de la couverture de la négociation collective, la politique des salaires minima et l'égalité des rémunérations entre hommes et femmes, ce qui ne ressemble pas aux orientations prévues par les récentes ordonnances. Autrement dit, la coordination dans la zone euro doit permettre de retrouver le chemin de la prospérité, et pas seulement celui des équilibres.

La troisième fracture est celle de la non-perceptibilité des grandes politiques publiques européennes. Dans le cadre de l'Europe, la France et les Français ont à discuter et négocier avec les autres États. On le sait, en matière de négociations internationales, les victoires sont, pour une large part, un art d'exécution. C'est parce que les citoyens auront le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes sont mieux prises en compte par l'Europe qu'ils accepteront d'aller plus loin. Cette préoccupation d'une dimension sociale et solidaire de l'action de l'Union doit être un leitmotiv.

Cet objectif passe aussi par des services publics efficaces. Le droit de l'Europe est d'abord un droit de la concurrence ; il tend à ignorer le service public. Pourtant, celui-ci reste, dans la plupart des cas, le garant de principes qui ont une fonction sociale, qui font « société » : l'égalité, la liberté, la continuité du service public. À bien y regarder, cette notion existe dans bon nombre de pays, et elle mériterait d'être revalorisée.

Concernant les grandes politiques publiques, trois grands projets qui « parlent » aux individus pourraient être défendus par notre pays. L'un est la relance et l'amplification d'Erasmus, des échanges scolaires et des temps de formation dans un autre pays, seul véritable succès européen, qui « parle » tant aux jeunes. Un autre est la mise en chantier d'une assurance chômage européenne, qui marquerait une volonté de convergence et de construction sociale par le haut et serait un outil économique et budgétaire. Ce pourrait être un fonds de stabilisation organisant des transferts temporaires entre États membres au gré de leur situation à un moment économique ou bien un régime d'assurance chômage commun, première réalisation d'une intégration budgétaire de l'Union européenne. Un autre encore est l'approfondissement d'une Europe de la justice et de la police, avec ce que cela suppose de réelle mise en commun de moyens renforcés, à l'image de la création d'un corps de garde-frontière européen, défendue de longue date par notre assemblée, ou de l'interopérabilité des systèmes d'information.

Je termine par une considération institutionnelle. Pour la plupart de nos concitoyens, les traités de l'Union européenne et les accords au sommet constituent une part inconnue et, partant, inquiétante de l'Europe. Il faut que les parlements nationaux puissent mieux faire entendre leur voix en se concertant entre eux en amont de chaque étape importante de la coordination intergouvernementale sur les grands textes européens. L'Assemblée nationale l'a fait avec succès ces dernières années en matière de politique culturelle, de sécurité ou encore des droits des consommateurs. Il s'agit là d'un moment de réappropriation politique de l'Europe.

Si la démocratie directe et instantanée a son importance, la continuité des débats, leur caractère contradictoire raisonné par le dialogue, la mesure des effets des décisions dans la durée sont autant d'éléments majeurs de la vie démocratique et de la représentation. Il nous faut aller vers l'Europe pour mieux revenir vers notre pays. Dans un monde en crise, celle-ci ne peut être une option. Si on veut l'approfondir et la rendre plus solidaire, on ne peut l'abandonner. Dépasser la crise des identités nationales suppose que nous défendions un nouvel idéal égalitaire et accomplissions des progrès réels pour lutter contre les inégalités. Ce message sera au coeur des propositions que défendra notre groupe en matière de politique européenne.

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