Intervention de Anne Bringault

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 9h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Anne Bringault, coordinatrice transition énergétique du Réseau action climat :

Mesdames, messieurs, je travaille pour deux associations de protection de l'environnement, le CLER et le Réseau Action Climat (RAC). Ce dernier rassemble vingt-deux organisations non gouvernementales (ONG) travaillant en France sur la question du changement climatique, notamment WWF, la Fondation pour la Nature et l'Homme, France nature environnement, le CLER-Réseau pour la transition énergétique, et Greenpeace. C'est donc au nom de ces organisations que je m'exprimerai.

Je vais d'abord distribuer ce document, que je ne commenterai pas, relatif à l'Observatoire climat-énergie que le CLER et le RAC ont mis en place, et qui fait état des résultats de la France en 2017 en matière de climat et d'énergie, sur la base des chiffres officiels des indicateurs de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous avons voulu rendre ces chiffres accessibles à chacun. Nous avons en outre élaboré des graphiques pour mettre en exergue les écarts qui existent entre les objectifs que la France s'est fixés et les résultats obtenus.

Concernant les émissions de gaz à effet de serre, nous sommes bien au-delà des « budgets » carbone que nous nous étions fixés. Ensuite, nous sommes très en retard quant au développement des énergies renouvelables, puisque la France fait partie des trois pays européens qui ne vont probablement pas atteindre leurs objectifs en 2020. Enfin, nous sommes également en retard en matière d'économies d'énergie, puisque nous notons une hausse de la consommation d'énergie et que le ministre a annoncé une baisse de l'objectif 2050 à moins 45 % au lieu de moins 50 %. La France a donc bien du mal à tenir ses objectifs.

Le premier frein est bien la difficulté à définir une vision et à s'y tenir. Nous devons vraiment être en capacité de nous fixer un cap et, surtout, de nous donner les moyens de le respecter, en procédant notamment à des évaluations régulières – avec les parties prenantes – et en adoptant des mesures complémentaires si nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Une réelle gouvernance doit être mise en place, avec des points d'étape une fois par an.

Deuxième frein : le manque de stabilité des politiques publiques. Nous nous souvenons du moratoire photovoltaïque de 2010, qui a entraîné l'effondrement de la filière. Il n'est pas possible d'avoir des politiques erratiques si nous voulons construire des filières, notamment industrielles, pour lesquelles une visibilité sur le long terme est nécessaire. Ces changements, que ce soit pour les énergies renouvelables ou pour l'efficacité énergétique – je pense aux aides pour la rénovation –, justifient le fait que les Français ne sont pas capables de citer un outil d'aide à la rénovation, alors qu'ils sont nombreux – mais aussi complexes et changeants.

S'agissant du système électrique, dont on parle peu, il est déjà décarboné. L'électricité en France ne représente que 5 % des émissions de gaz à effet de serre, il ne s'agit donc pas d'un enjeu en matière de climat. Néanmoins, la filière majeure qu'est le nucléaire est un frein à la transition énergétique, puisqu'elle a créé ce mythe d'une électricité abondante et peu chère qui fait que de très nombreux logements sont mal isolés et mal chauffés. Le chauffage électrique est le plus coûteux pour les ménages ; il crée, en outre, des pics de consommation qui produisent des problèmes sur les réseaux électriques et nous obligent à importer de l'électricité carbonée en hiver. S'ajoutent à cela les risques liés au nucléaire et le fait que la France a freiné des filières d'énergie renouvelable, notamment l'éolien en mer.

Pour lever ce frein, il convient de définir une trajectoire précise de réduction de la part du nucléaire. Est-ce à l'État ou à l'opérateur de le faire, c'est un choix dont il faudra débattre, mais les réacteurs doivent être identifiés suffisamment à l'avance, les fermetures préparées de façon légale – il existe un flou sur le sujet – et l'accompagnement, à la fois des salariés et des territoires qui vont perdre des ressources fiscales, anticipé. Donner cette visibilité rendra acceptable la fermeture des sites nucléaires.

Le transport est le premier secteur d'émetteur de gaz à effet de serre en France, pour lequel le frein principal est le manque de vision. Où souhaitons-nous aller en termes de mobilité ? L'institut Négawatt a élaboré un scénario de transition énergétique qui évoque une baisse de la demande en mobilité, des véhicules, pour les particuliers, qui soient plutôt biogaz, bio-GNV en milieu rural – le biogaz est produit par la méthanisation –, électrique en milieu péri-urbain et des transports collectifs et des mobilités actives – vélo ou marche à pied – en centre-ville.

Quelle est la vision portée par l'État ? Si nous posons cette question aux Français, ils auront bien du mal à nous répondre. D'ailleurs, lors du débat public sur la PPE, un questionnaire avait été distribué, et à la question « la politique du Gouvernement est-elle compréhensible et cohérente ? », la réponse était clairement non. En effet, d'un côté, le Gouvernement a de nouveaux projets autoroutiers et, d'un autre côté, il demande aux Français de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il convient donc, sur la partie mobilité, de travailler sur de nouveaux types de véhicules, mais également sur la demande, c'est-à-dire de trouver des alternatives à la mobilité contrainte, comme le télétravail, les gens se déplaçant de plus en plus du fait de l'étalement urbain, de la distance par rapport à leur travail et du développement des centres commerciaux loin des centres-villes.

Je pense également au report modal. Il est démontré, depuis un certain temps maintenant, que dès que des pistes cyclables sont installées dans une ville, l'usage du vélo se développe. Des choses ont été faites dans ce domaine, mais pas encore suffisamment.

S'agissant de la fiscalité des carburants, une étude de l'ADEME indique que les Français sont prêts à réaliser des efforts si ces derniers sont répartis de manière juste. Un autre frein est donc le sentiment d'injustice dans l'effort demandé. Il convient d'accompagner les ménages les plus impactés et de taxer les modes de transport qui ne le sont pas actuellement : le transport routier de marchandises, qui émet beaucoup de gaz à effet de serre, et le transport aérien.

Enfin, j'évoquerai les freins liés aux grands acteurs économiques – acteurs de l'énergie et constructeurs automobiles – qui ne sont pas les plus motivés par le changement. Dans un vol d'étourneaux, c'est rarement par la tête du groupe d'étourneaux que le virage se prend, mais plutôt par le milieu… L'État a donc un rôle à jouer pour mieux engager, par la réglementation et la fiscalité, la transformation de ces acteurs et pour accompagner les transitions professionnelles. Nous attendons toujours le plan de Mme Parisot qui chiffrera une prévision des compétences et des emplois dans le domaine de la transition énergétique, afin d'anticiper les conversions professionnelles.

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