Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 15h00
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

La violence sur les enfants, qu'elle se manifeste par des gestes, des attitudes ou des paroles, continue à faire beaucoup trop de victimes. Nous le savons, et Mme la ministre vient de nous rappeler quelques chiffres insupportables. Combien de fois, dans un lieu public, dans un supermarché ou simplement dans la rue, avons-nous été témoins de ces scènes de violence que des parents font parfois subir à leurs enfants et face auxquelles nous n'osons pas intervenir ? « Cela ne me regarde pas », pensons-nous. Le manque de courage, une interprétation trop conciliante du code civil font de nous des spectateurs silencieux ou des voisins aveugles.

Nous pensons que ces comportements appartiennent à la sphère familiale ou privée et nous n'intervenons pas, car des siècles de discours relatifs à l'autorité nous ont fait intégrer que ces gestes, ces mots, cette maltraitance ordinaire n'étaient pas de la violence.

Ces gestes qui agressent, jusqu'à détruire parfois des êtres humains en devenir, ont infusé notre société et ne sont finalement plus remis en question. Comme les violences que l'on inflige aux femmes, celles envers les enfants ne sont finalement que le résultat de siècles de domination du plus fort sur le plus faible.

Je souscris pleinement à cette phrase d'Alice Miller, qui a axé son travail de recherche sur la violence et qui est citée dans le rapport : « Nous ne pouvons pas nous libérer d'un mal sans l'avoir nommé et jugé comme un mal ».

Une fois encore, ce sont les mots que nous mettons sur les choses qui nous aident à prendre conscience et à nous battre. Or, lorsque, par habitude, nous acceptons de réduire le débat à l'interdiction ou non de la fessée, nous simplifions à outrance la problématique posée par ce débat.

La notion de « droit de correction » qui est en jeu dans cette discussion permet malheureusement d'aller beaucoup plus loin dans l'interprétation qu'une simple tape, qu'un simple haussement de voix, comme nous l'entendons souvent dire. Ainsi, les enfants seraient les seules personnes à qui l'on refuserait le droit élémentaire d'être traitées sans violence ?

Les violences éducatives ordinaires, que certains appellent « gestes d'autorité », sont en réalité des gestes répétés d'humiliation et de destruction envers l'enfant . Sous couvert d'éduquer, ils ne disent souvent que l'impuissance des adultes à assumer leur rôle éducatif, leur difficulté à construire avec l'enfant des repères et des limites dans une relation réellement éducative. Intervenir devient un devoir lorsque les limites sont franchies par des adultes dans la toute-puissance et qui, pour des raisons que l'on peut expliquer, n'ont pas – ou plus – le discernement nécessaire.

Les détracteurs de ce texte font preuve d'une certaine mauvaise foi quand ils font mine de ne pas distinguer un geste d'impatience occasionnel, une parole qui nous emporte, un mot plus haut que l'autre de la répétition d'attitudes dégradantes et néfastes envers les enfants.

Bien sûr, il n'y a pas une seule façon d'être parent, une recette magique, un profil obligatoire et normatif qui serait imposé par la loi, mais ce texte pose le principe de l'élimination du vocable « droit de correction » de notre arsenal législatif afin d'affirmer que la violence ne peut tenir lieu d'éducation.

Le discernement propre à chaque individu, opposé à ce texte comme rempart aux excès, ne peut suffire, et les trop nombreuses situations tristement dramatiques du quotidien sont là pour nous le rappeler. Dans ce domaine, comme dans d'autres touchant à l'organisation des relations humaines, il ne suffit pas de parier sur le bon sens et le sens de la mesure des individus pour atteindre nos objectifs. Certes, les violences intrafamiliales ne tuent pas toujours, mais les spécialistes sont unanimes quant aux dégâts qu'elles occasionnent sur les enfants qui en sont les victimes. Le manque d'estime de soi est la source de toutes les souffrances et de tous les échecs à venir.

Dans le même temps, une évidence s'impose : on ne naît pas parent ou éducateur, on le devient, et le chemin pour construire avec nos enfants une relation saine, enrichissante et respectueuse n'est pas si simple. Un enfant à qui l'on ne parle pas et que l'on enferme dans une violence physique et psychologique, un enfant à qui l'on ne fixe des limites que par la force et la contrainte, est condamné à vivre seul, sans repères qui le structurent, qui le rassurent, sans horizon possible que la peur et le stress permanents.

Nous devons donc renforcer la politique d'accompagnement à la parentalité, offrir davantage de médiation et d'espaces de rencontres et, surtout, informer encore et toujours, afin que la lutte contre la violence faite aux enfants et leur souffrance ne soient plus acceptées.

Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser les adultes qui ont recours à ces pratiques, sans quelquefois en comprendre la portée psychologique négative : il s'agit de créer avec eux les conditions d'un dialogue, qui les conduise à s'interroger sur le caractère inefficace et destructeur de cette violence répétée dans laquelle enfants et adultes sont enfermés.

Notre société doit se montrer à la hauteur de ses principes, humanistes et républicains, en affirmant par un texte de loi clair sa vision de l'éducation et de la place qu'elle donne à l'enfant. C'est pourquoi la majorité précédente avait voté un amendement à la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté de décembre 2016, visant à interdire les violences éducatives ordinaires. Cet amendement complétait la définition de l'autorité parentale du code civil en précisant qu'elle exclut « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». À la suite de la saisine du Conseil constitutionnel par les députés Les Républicains, cet article de la loi avait été censuré au motif que cette disposition n'avait pas de lien direct avec les objectifs initiaux de la loi.

Aujourd'hui, ce texte nous invite à légiférer de nouveau, afin d'interdire, dans le code civil, les punitions corporelles. Tout comme en 2016, le groupe Socialistes et apparentés partage l'objectif poursuivi. Il souhaite que la France rejoigne les cinquante-quatre pays qui ont déjà adopté une loi similaire et ne fasse plus partie des cinq pays de l'Union européenne qui n'interdisent pas encore les violences éducatives ordinaires.

Toutefois, nous pensons nécessaire d'aller plus loin que le texte proposé, en introduisant un principe général d'interdiction du recours aux violences à l'encontre de l'enfant dans le cadre d'une fonction éducative, comme le proposait la rapporteure en commission. Nous défendrons un amendement en ce sens.

Nous voterons ce texte qui est très important pour changer les choses.

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