Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 6 décembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

– J'ai plaisir à vous retrouver. Je regrette que ce Conseil ne se réunisse pas plus souvent, et plusieurs d'entre vous m'ont fait part de leur disponibilité. Nous tâcherons, avec le président Gérard Longuet, dont je vous prie d'excuser l'absence, de vous solliciter davantage : nous sommes toujours preneurs de bonnes volontés ! Déjà, chaque fois que nous nous saisissons d'un sujet pour rédiger un rapport ou une note, si un membre du Conseil est spécialement compétent sur ce sujet, nous l'en informons et l'associons à notre réflexion.

Nous avons enrichi le personnel de l'Office en y intégrant de jeunes conseillères scientifiques : une docteure en astrophysique, travaille maintenant à plein temps pour faciliter nos rapports avec la science dans le domaine de la physique ; et de même une ingénieure et docteure en neurosciences nous aidera dans le domaine des sciences de la vie. Nous prévoyons des recrutements supplémentaires pour nous aider pour ce qui concerne les sciences de l'information et les sciences humaines et sociales. Nos conseillères, dont l'aide nous est très précieuse, sont déjà impliquées dans plusieurs projets, qui vont de la politique de vaccination à la recherche sur l'énergie nucléaire, en passant par la question des grands collisionneurs de hadrons ou les projets d'accélérateurs linéaires électrons-positrons en cours de discussion.

Notre dernière réunion remonte au 27 septembre 2017 : un peu après les élections législatives et juste avant le renouvellement du Sénat.

Concernant la gouvernance de l'Office, conformément à la tradition, le Sénat assure la présidence pendant trois ans, sous l'autorité de Gérard Longuet, et je suis premier vice-président chargé de la coordination avec l'Assemblée nationale. Sur les trente-six membres que compte l'Office, seize des dix-huit députés et douze des dix-huit sénateurs sont nouveaux.

Permettez-moi de dresser le bilan des travaux conduits depuis un an.

Nous avons réalisé trois études longues. Le rapport d'information de Valéria Faure-Muntian, Claude de Ganay et Ronan Le Gleut portant sur le fonctionnement et les enjeux des blockchains a été publié en juin dernier ; le rapport d'information de nos collègues Annie Delmont-Koropoulis et Jean-François Eliaou, qui concerne l'évaluation de l'application de la loi de 2011 relative à la bioéthique, a été publié fin octobre ; enfin, à la suite du débat sur le glyphosate, Philippe Bolo, Anne Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias examinent actuellement les modalités de l'expertise des risques sanitaires et environnementaux, l'indépendance et l'objectivité des agences d'évaluation, l'analyse des risques sanitaires, une étude qui aboutira dans les semaines qui viennent.

Par ailleurs, nous avons organisé un certain nombre d'auditions publiques sur des sujets sensibles, afin d'éclairer, voire d'avertir, la puissance publique. Ainsi, l'une des auditions a porté sur les algorithmes au service de l'action publique, avec, en particulier le cas du portail Admission Post-Bac (APB), devenu Parcoursup. Gérard Berry a joué un rôle important en la matière : il n'était pas inutile d'alerter le ministère sur l'urgence à s'emparer de certains aspects algorithmiques dans la mise en oeuvre de Parcoursup. Nous avons d'ailleurs procédé à une nouvelle audition, il y a quelques jours, pour faire le bilan de cette plateforme, et nous nous félicitons que certaines de nos préconisations formulées l'année dernière aient été prises en compte par le Gouvernement, notamment la publication du code source, de l'algorithme et du cahier des charges des traitements automatisés correspondants.

Les enjeux des compteurs communicants, parfois appelés abusivement « compteurs intelligents », ont également fait l'objet d'une audition. Nous connaissons tous le dossier sensible et parfois douloureux du compteur Linky, avec son lot d'informations et de rumeurs mêlées. L'installation de ces compteurs a cruellement manqué de pédagogie, notamment auprès des consommateurs. Le manque de confiance qui en a résulté fait peser sur l'ensemble du programme un risque très supérieur aux risques purement technologiques et techniques.

Nous avons aussi organisé une audition sur le thème de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques : experts et associations ont pu exposer des points de vue contradictoires. Le travail de l'Anses a été particulièrement mis à l'honneur : cette agence a traité, pour la première fois, le sujet d'une manière à la fois rigoureuse, complète et reconnue comme légitime par tous les acteurs présents. Mais beaucoup reste à faire pour définir des protocoles de recherche adaptés à ce sujet sensible.

Une autre audition récente a porté sur les enjeux et perspectives technologiques de la 5G. Nous avons également étudié les nouvelles tendances de la recherche en matière d'énergie nucléaire, et une table ronde sur les tendances de la recherche dans le domaine des énergies renouvelables sera organisée au début de l'année 2019.

Enfin, avec les délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et du Sénat, nous avons organisé une audition publique sur les femmes et les sciences, un sujet important à l'heure où les clichés et les déterminismes en la matière ont tendance à se renforcer avec une intensité inattendue.

Ces auditions publiques sont désormais diffusées en direct, consultables sur les sites internet de l'Assemblée nationale et du Sénat, donnent lieu à une publicité sur les réseaux sociaux des deux assemblées et sont participatives : les internautes peuvent poser des questions en direct. Nous avons plus que jamais besoin d'impliquer nos concitoyens dans les grands débats de société.

Nous avons aussi procédé à des auditions simples, dont certaines en lien direct avec les grandes questions d'actualité de la recherche. Nous avons auditionné Olivier Le Gall, président de l'Office français de l'intégrité scientifique, dont les progrès seront soumis à une évaluation rigoureuse, dans un contexte nécessitant une action très énergique en la matière. Les scandales passés et à venir contribuent à remettre en question le lien de confiance que nous avons avec les citoyens. Anne Genetet, qui a participé à un certain nombre de réunions en la matière, aura à coeur, à l'instar d'autres membres de l'Office, de maintenir la veille et l'action sur ce sujet et d'épauler les organismes nationaux.

Michel Cosnard, président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcérès), est intervenu pour parler de la position scientifique de la France dans le monde au travers d'un rapport de l'Observatoire des sciences et des techniques. La présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes a été auditionnée à propos du rapport sans concession de la Cour sur les outils du programme d'investissements d'avenir consacrés à la valorisation de la recherche publique, un thème également essentiel.

Je dirai maintenant quelques mots sur la préparation des nouvelles notes scientifiques de l'Office.

L'une des innovations de l'année écoulée, née de la volonté d'agir sur le temps court et de façon très opérationnelle pour les citoyens, les politiques et nos collègues chargés de ces sujets, consiste en la préparation de notes synthétiques de quatre pages sur des sujets d'actualité. Ces dernières ont porté sur les objets connectés, la fabrication additive dite « impression 3D », le stockage du carbone dans les sols, les enjeux techniques des blockchains, le transport à très grande vitesse sous vide dit « hyperloop », la politique de rénovation énergétique des bâtiments, les enjeux sanitaires et environnementaux de l'huile de palme et l'exploration de la planète Mars. Chacune de ces notes est accompagnée, sur nos sites, d'une courte vidéo de présentation de deux minutes par les membres de l'Office qui les ont rapportées.

D'autres notes sont en préparation : sur les lanceurs spatiaux réutilisables, sur les accélérateurs de particules et le grand projet dit ILC (pour International Linear Collider) au Japon, sur les technologies quantiques, une note qui sera déclinée en trois ou quatre parties selon que l'on parle d'ordinateurs quantiques, d'informatique quantique, de capteurs de données quantiques ou encore de cryptographie quantique.

Par ailleurs, une note sur ce que l'on appelle parfois la sixième extinction des espèces ou la tragique réduction actuelle de biodiversité est quasiment achevée. Une autre note sur le stockage de l'énergie est en cours et une note sur la politique de vaccination sera l'un des sujets d'action de notre nouvelle conseillère scientifique en sciences de la vie pour faire aboutir un sujet engagé voilà un an déjà et dans lequel notre collègue Jean-François Éliaou s'est impliqué. Nous avons bien sûr l'intention de faire appel à vous pour traiter ces nouveaux sujets.

Nous proposons d'instruire certains thèmes dans l'année à venir, en particulier la politique de publication scientifique, dont les enjeux sont non seulement scientifiques mais également économiques et politiques, ainsi que la diplomatie scientifique. Il s'agit là d'entrer dans les arcanes des politiques étrangères des grands organismes de recherche nationaux et internationaux et de considérer les initiatives engagées par les ministères des affaires étrangères en matière de diplomatie ou par l'intelligence économique. Au-delà des enjeux scientifiques et technologiques proprement dits, la mise en oeuvre de grandes innovations fait de plus en plus intervenir des éléments de sciences humaines et sociales, telles que l'économie, la psychologie, les actions liées à la cohésion.

Nous sommes preneurs de tous vos retours sur les travaux déjà engagés et de toutes vos suggestions sur ceux qui sont à venir. La parole se veut ici aussi libérée et franche que possible.

Avant de vous laisser la parole, permettez-moi d'évoquer deux études spéciales en cours, qui sont parfaitement alignées avec de grands enjeux politiques.

Il s'agit, d'une part, du travail sur l'élaboration de scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif de l'arrêt de la commercialisation de véhicules reposant sur des énergies fossiles à l'horizon 2040, objectif annoncé par le Gouvernement en juillet 2017. D'autres gouvernements étrangers affichent des objectifs plus ambitieux : 2035, voire 2025 en Norvège. Mais à quoi bon annoncer ces dates si l'on n'a pas de scénario technologique et économique pour mettre en oeuvre ces mesures, sauf à se contenter d'un wishful thinking, comme disent nos collègues anglo-saxons. Huguette Tiegna et Stéphane Piednoir sont aux manettes pour travailler sur ce sujet. Dans ce cadre, nous avons déjà organisé une audition publique sur la question des infrastructures de recharge. Pour la modélisation et les simulations de différentes projections, nous avons décidé de recourir à l'expertise de deux organismes extérieurs, l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui ont accepté de répondre sur commande à une étude en la matière.

Il s'agit, d'autre part, d'une étude sur la valorisation énergétique des terres agricoles. Nous n'en sommes qu'à l'étape de la saisine ; nous pourrons prochainement vous en dire plus.

Je vous remercie chaleureusement, au nom de l'Office, pour la contribution que vous nous apportez et sur laquelle nous savons pouvoir compter.

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