Intervention de Maina Sage

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage :

Mayotte est devenue un département en 2011. Lorsque je suis arrivée à l'Assemblée nationale, en 2014, en cours de mandat, je ne connaissais presque rien de ce territoire, hormis les clichés qui nous sont régulièrement servis par les médias – clichés qui concernent d'ailleurs l'ensemble des outre-mer.

Je me rappelle donc bien cette première conversation avec un ancien collègue mahorais, à qui je demandais combien Mayotte comptait d'habitants. « Officiellement, 250 000 », me dit-il en riant ; « officieusement, certainement le double ». Stupéfaite, j'ai découvert l'envers du décor : comment, en France, en 2014, une telle situation était-elle possible ? Je me suis trouvée profondément préoccupée des inégalités qui subsistent dans notre pays, et sur le retard de certains territoires ultramarins.

Si je vous rapporte ces réflexions, c'est pour souligner qu'avant de prendre des décisions qui auront des conséquences à plusieurs milliers de kilomètres de l'Hexagone, il faut se rendre compte combien la réalité là-bas peut être tout autre. Je veux ici interpeller à nouveau mes collègues du groupe La France insoumise, qui se sont livrés, c'est vrai, à un beau plaidoyer pour que l'on parle de Mayotte autrement ; mais ils doivent aussi comprendre que la disposition que nous allons rétablir ici est le fruit de longues discussions.

Bien évidemment, lorsque l'on parle de Mayotte, il ne faut pas parler uniquement de la question migratoire. Mais qu'ont tenté de faire nos anciens collègues mahorais ? En 2014 et 2015, la question du rattrapage des retards de ces territoires d'outre-mer se posait. Ce terme de « retard » n'est pas péjoratif ; je parle de faits. Une partie de ceux-ci sont communs à tous les territoires ultramarins : on a tenté de nous assimiler, de nier nos différences, de ne pas regarder de près comment adapter nos règles, et surtout de niveler par le bas. C'est en arrivant ici que j'ai découvert qu'à Mayotte, le SMIC est trois fois inférieur à celui de l'Hexagone ! Comment est-ce encore possible ? C'est encore ici que j'ai découvert que les allocations, que la couverture sociale n'ont là-bas rien à voir à ce qu'elles sont dans l'Hexagone.

Issue d'un territoire autonome, qui gère ses propres politiques publiques, je peux comprendre qu'il existe des différences ; mais, lorsqu'il s'agit de départements, je ne comprends pas.

La solution passe bien sûr par un plan global. En 2016 – je m'adresse ici notamment à mes deux actuels collègues mahorais, – la Cour des comptes avait publié un rapport sans concession sur l'évolution de Mayotte. M. Didier Migaud, premier président de la Cour, était venu nous le présenter – et je peux vous assurer qu'il se déplace rarement pour cela. Il nous avait montré l'ampleur de notre responsabilité. On a fait n'importe quoi, on a décidé n'importe quoi, à 8 000 kilomètres de l'archipel ! La réforme a été mal préparée, mal pilotée, alors qu'il y a là-bas un potentiel, des énergies, des richesses, des chefs d'entreprise. Les Mahorais doivent avoir le droit et la chance de se développer. Encore faut-il les y aider.

Pour cela, il faut lever les freins existants – et le premier de ces freins, c'est la pression migratoire. Tous ceux qui sont allés sur place le disent, toutes les études le montrent : c'est un facteur qui aggrave, de façon tout à fait particulière, les handicaps de ce territoire.

Arrive, en 2016, le projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer. Cette loi vaut ce qu'elle vaut, mais, bien évidemment, la question de Mayotte n'y a pas été abordée seulement sous l'angle migratoire ! Je me sens d'autant plus libre de vous en parler que j'étais à l'époque dans l'opposition – une opposition qui s'est voulue constructive, et qui a essayé d'apporter sa contribution.

Je vous invite à regarder par exemple le PIB par habitant de ces territoires : il existe, bien sûr, des écarts entre les différentes régions de l'Hexagone, mais je peux vous assurer qu'ils sont sans commune mesure avec ceux que l'on constate entre les outre-mer et l'Hexagone. Cette loi visait à aider les outre-mer à rattraper leur retard ; elle a instauré des dispositifs dans les domaines économique, environnemental et social – santé, logement… Nous avons brassé tous les sujets. Cette loi est certes très imparfaite ; mais, arrivée ici avec 15 articles, elle en comportait 115 lors de son adoption définitive.

Je vous renvoie à ce texte ; vous constaterez qu'un seul territoire y fait l'objet d'un titre spécial : Mayotte. Ce territoire est en effet une priorité, en particulier en matière sociale.

C'est dans cette loi que figurait la disposition que nous voulons corriger aujourd'hui. Mais c'est aussi dans cette loi qu'il était question de rattrapage de droits sociaux ; j'y insiste, car j'entends dire depuis tout à l'heure que l'on survole le sujet, que rien n'a été fait, que nous passons à côté des problèmes, que nous ne traitons que de la question migratoire. Non ! Cette loi, je le redis, est imparfaite, et il y a beaucoup à faire ; et je serai toujours de ceux qui soutiendront toujours Mayotte, laquelle mérite tout particulièrement notre intérêt.

Mais nous avons voté de nombreuses mesures pour aider Mayotte, ne serait-ce que pour donner à ce département un minimum de droits équivalents à ceux des autres départements, notamment sur le plan social. Je veux d'ailleurs rappeler ici le rôle de tous mes collègues de la précédente législature, notamment Mme Ericka Bareigts, alors ministre des outre-mer, et M. Victorin Lurel, mais aussi ceux de l'opposition. Ce travail a été mené sur tous les bancs !

Oui, il faut parler de Mayotte ; oui, madame la rapporteure, monsieur Kamardine, ce département doit constituer une priorité, et je m'associerai aux travaux qui seraient lancés sur cette question. Aujourd'hui, nous corrigeons une virgule ; je rejoins d'ailleurs les propos de Mme Karamanli sur ce point. Comprenez combien, quand on s'est battu trois ans, il peut être rageant de perdre trois heures pour corriger cette simple erreur !

Cette proposition de loi viendra donc compléter notre arsenal dissuasif – car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les faits. Les amendements qui ont été déposés nous permettront aussi de reparler du droit du sol. Celui-ci constitue à notre sens un droit fondamental. Mais ces questions ne sont pas faciles. Nous ne souhaitons pas ouvrir la porte à une dérogation, et nous sommes donc plutôt défavorables aux dispositions proposées, même si j'entends aussi ce qui est dit par nos collègues, notamment par M. Kamardine, qui propose par exemple de décaler dans le temps l'application de certaines dispositions. Mais notre nation ne doit pas revenir sur le droit du sol, fondateur à nos yeux de la République.

Le groupe UDI, Agir et indépendants votera cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.