Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du mardi 5 février 2019 à 21h30
Débat sur l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en seine-saint-denis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille, rapporteur du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, monsieur le ministre chargé de la ville et du logement, monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, mes chers collègues, le rapport que j'ai eu l'honneur de rédiger avec M. Kokouendo, dans le cadre du CEC, sur l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis met en lumière deux grands constats.

Le premier est l'action inégalitaire de l'État, caractérisée par des différences inexplicables. En un mot, à population égale, la Seine-Saint-Denis n'est pas traitée comme un autre département. En ce qui concerne les missions régaliennes de l'État central – éducation nationale, sécurité, justice – , ses habitants reçoivent moins de service public que les autres, alors même que leurs besoins, chacun le sait, sont particulièrement criants. Il y a là quelque chose d'inacceptable pour tout républicain. Le rapport met cette difficulté en exergue.

Ce constat, je le souligne, est de nature politique. Loin de rédiger un rapport sur l'éducation nationale, la sécurité ou la justice, nous avons voulu montrer que la problématique de l'État est globale, et appelle sans doute une réponse globale.

Le second constat est tout aussi déstabilisant et perturbant : la politique de l'État est non seulement inégalitaire, mais inadaptée face à certains phénomènes qui émergent très fortement et qui remettent en cause nos outils d'action publique.

Le premier de ces phénomènes est l'explosion de la population. M. Kokouendo et moi-même avons été sidérés d'apprendre que l'on ne peut pas évaluer le nombre d'habitants de la Seine-Saint-Denis à 10 %, à 20 %, voire à 30 % près. Si, dans le rapport, je ne suis pas allé au-delà de ce taux, c'est afin d'éviter de passer pour un fou, mais des gens très sérieux, qui, madame et messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, travaillent dans vos administrations, et dont je n'ai pas voulu révéler le nom, ont avancé des chiffres beaucoup plus inquiétants. L'inégalité que j'ai signalée tout à l'heure est encore plus grave si 25 %, 30 % ou 40 % de la population, qui connaît des difficultés particulières, échappe aux statistiques et n'est pas prise en compte.

J'ai noté aussi la grande qualité de ceux qui travaillent dans ce département. Leur sens du service public est exceptionnel. On ne saurait donc les incriminer, pas plus que les membres du Gouvernement. Mais l'engagement très fort des fonctionnaires n'empêche pas une difficulté, dans les échelons supérieurs, à reconnaître certains phénomènes émergents et difficiles.

Je sais que vous vous battez sur ce point, monsieur le ministre de l'éducation nationale, mais je m'étonne que l'on n'ait aucune idée du niveau des élèves de Seine-Saint-Denis. Dans ces conditions, comment pourriez-vous réduire les inégalités sociales ? Quoi que vous racontiez, il vous faudra beaucoup d'inventivité pour nous convaincre.

En matière de sécurité, tous les acteurs – policiers, magistrats mais aussi enseignants – ont pointé une explosion de l'économie souterraine – je ne parle pas seulement de la drogue – qui déstabilise non seulement les outils traditionnels mais aussi toute la société. La police ne sait pas comment répondre à ce phénomène.

Dans un domaine comme le logement, que connaît bien M. Peu, on constate l'explosion des marchands de sommeil, mais on manque d'outils.

Dans certains secteurs, il faut mettre la Seine-Saint-Denis à niveau, en termes de traitement par la fonction publique. Ailleurs, il faut savoir comment agir, face à des problématiques totalement nouvelles.

Tels sont les deux axes de ce rapport. Je suis heureux que nous ayons pu fédérer autour de ces constats l'ensemble des parlementaires, toutes couleurs politiques confondues, ainsi que tous les élus locaux, qui divergent parfois entre eux, et enfin le Premier ministre. Je me réjouis de sa réponse, mais je reste vigilant, car les risques d'enlisement administratif de ce dossier sont élevés. La lettre du Premier ministre et la présence de plusieurs membres du Gouvernement dans cet hémicycle tendent à me rassurer, mais je ne sous-estime ni ces risques ni celui de rester au niveau local, quand les enjeux sont nationaux.

J'insisterai donc sur quelques points.

D'abord, il faut aller vite, car nous avons entre quinze et vingt ans de retard. C'est d'ailleurs le signe que le gouvernement actuel n'est pas responsable de la situation. Ne versons donc pas dans la politique politicienne.

Ensuite, si l'on veut faire ce travail, il faut que vos administrations acceptent la transparence, à laquelle elles répugnent en temps ordinaire, sur l'affectation des effectifs. Sans doute faut-il les y pousser afin de bâtir assez rapidement un plan de rattrapage. Les élus de Seine-Saint-Denis sont conscients que celui-ci ne se fera pas en deux ans. Aller trop vite conduirait d'ailleurs à recruter des personnels qui ne seraient pas au niveau. Or je répète qu'il faut un plan sérieux, un véritable plan de rattrapage.

Enfin, il faut engager un travail sur les outils d'avenir, afin de faire de ce département un laboratoire permettant d'imaginer les futurs instruments de l'action publique.

Je suis très heureux d'avoir mené cette mission, et je tiens à ce qu'on la prenne au sérieux. Vous l'avez compris : notre démarche n'est ni partisane ni politicienne. Je souhaite que, dans la durée, on reste à ce niveau. C'est important pour la Seine-Saint-Denis, qui doit savoir si elle appartient vraiment à la République, mais aussi pour la République et pour nous-mêmes.

À une époque où le Gouvernement et les députés sont remis en question, il me semble intéressant de montrer que nous sommes capables collectivement de mener ce travail novateur, de dépasser la routine administrative et de nous affranchir d'une approche partisane, pour la Seine-Saint-Denis et pour la France.

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