Intervention de Pr Francelyne Marano

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pr Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire à l'université Paris Diderot, membre du Haut Conseil de santé publique, présidente de FRANCOPA (Plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale) :

Je vais présenter ce que l'on appelle les méthodes alternatives en recherche, je détaillerai surtout les méthodes substitutives, et vous présenterai aussi le GIS (Groupement d'intérêt scientifique) FRANCOPA, que je préside, et dont Philippe Hubert ici présent est le directeur général.

Le GIS FRANCOPA est la plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale, créée à la demande du ministère de la Recherche en 2008, afin de compléter le réseau de plateformes qui existait déjà en Europe, ces plateformes étant en avance dans un certain nombre de pays de l'Union européenne par rapport à la France. Ce réseau européen ECOPA (European Consensus-Platform for alternatives) existe toujours. Le dernier symposium ECOPA, organisé par FRANCOPA, s'est déroulé début novembre à Paris.

La plateforme FRANCOPA a pour fonction de développer en France les connaissances et les pratiques sur les méthodes alternatives en expérimentation animale. Elle comprend 15 membres, avec les quatre piliers demandés pour les plateformes au niveau européen : le pilier académique, avec les représentants de l'Inserm, du CEA, du CNRS, de l'INRA, et des associations scientifiques comme la SPTC (Société de Pharmaco-Toxicologie Cellulaire) ; le pilier institutionnel, avec le ministère de la Recherche, l'Ineris (Institut national de l'environnement et des risques), l'ANSM (Afssaps à l'époque de la création du GIS), l'Anses (Afsset à l'époque de la création du GIS) ; le pilier industriel, avec des associations professionnelles ; le pilier associatif, avec des associations de protection animale, comme Opal (Recherche expérimentale et protection de l'animal de laboratoire), LFDA (La Fondation droit animal, éthique et sciences), et nous avons eu une demande d'adhésion du GIRCOR.

Des commissions d'experts permettent également de faire le point sur l'évolution de ces méthodes, de même qu'un site web (www.francopa.fr) et une newsletter.

Ces méthodes alternatives ont été élaborées il y a presque 60 ans. W. M. S. Russell et R. L. Burch ont lancé le concept des 3 R en 1959. Dans l'esprit du public, alternative est associé à substitution ; il s'agit pourtant d'un seul des 3 R. Les deux autres R ne doivent pas être négligés pour autant.

En ce qui concerne les techniques de substitution, alors que la règle des 3 R a été énoncée il y a 60 ans, les méthodes dans ce domaine sont en fait très récentes. Elles résultent en effet des recherches en biologie cellulaire et moléculaire, dans les technologies dites « omics »(7), en modélisation et dans toutes les applications associées à la bio-informatique. Le développement des méthodes alternatives au titre de la substitution a bénéficié de tous ces apports scientifiques, qui étaient encore balbutiants en 1959. On manquait alors d'éléments pour pouvoir le mettre en oeuvre.

Aujourd'hui, on dispose vraiment d'outils très performants. Dans certains domaines, l'expérimentation animale reste absolument nécessaire, il est impossible de faire autrement. Pour la professeure de biologie cellulaire que je suis, représenter un organisme aussi complexe que l'organisme humain par des modèles substitutifs, c'est encore du domaine de la prospective.

Par contre, les modèles, les différents outils moléculaires et les outils dits in silico ouvrent des possibilités importantes. L'approche cellulaire est pratiquée de façon courante. Nous disposons de l'approche des organoïdes, de la possibilité de développer des organes sur puce, et puis tout ce qui concerne le développement de la modélisation informatique. En fournissant de grandes quantités de données exploitables, la modélisation et les techniques in silico permettent d'éviter le recours à l'expérimentation, y compris l'expérimentation in vitro, en particulier pour tout ce qui concerne la sécurité sanitaire.

Il faut prendre en considération toutes les données acquises en recherche clinique et en épidémiologie. Actuellement, c'est comme cela que sont conçus à la fois les approches fondamentales de recherche dans le domaine des pathologies, et aussi tout ce qui concerne la connaissance des effets des médicaments, des produits chimiques : cela permet une approche globalisée.

Un certain nombre de ces méthodes substitutives sont déjà utilisées dans l'industrie, notamment en industrie cosmétique, en particulier pour ce qui concerne la tolérance locale sur la peau et les yeux, la phototoxicité, la corrosion et l'irritation. Ces méthodes in vitro, les cultures de cellules en particulier, permettent de tester des produits chimiques à grande échelle. Cela concerne aussi l'absorption percutanée, et depuis longtemps déjà, les mécanismes de génotoxicité, de mutagénèse et les effets chromosomiques. Tout cela est réglementé par des directives européennes, mais aussi par des lignes directrices de l'OCDE qui proposent des protocoles très précis, que les industriels doivent utiliser.

Pour les recherches axées sur les mécanismes d'actions, on a aussi la possibilité de développer des systèmes qui reproduisent la peau, des muqueuses respiratoires (épithélium alvéolaire ou épithélium branchial). Ces systèmes peuvent utiliser des cellules d'origine humaine, cultivées dans des systèmes de culture complexe, afin de comprendre les mécanismes d'actions étudiés.

Il est aussi possible d'utiliser des cellules souches, qui peuvent être d'origine humaine, ou des organoïdes, c'est-à-dire la représentation en culture cellulaire d'un organe avec ses spécificités. Dans le passé, ces cultures cellulaires posaient un problème de dédifférenciation : elles ne présentaient plus les caractéristiques de la cellule d'origine. Tandis qu'avec les nouveaux outils, en particulier les co-cultures ou les organoïdes, on peut conserver, parfois pendant plusieurs mois, la caractéristique de l'organe en culture.

Le développement de ces méthodes repose sur l'association des recherches de plusieurs domaines, dont la physique et l'informatique. Il faut noter que les organes sur puce, grâce à leur système de chambre de culture avec compartiments, permettent d'avoir une représentation plus complète des interactions entre un organe et d'autres systèmes cellulaires.

Enfin, la bio-informatique a permis de développer de façon extraordinaire ces approches, ici avec la modélisation moléculaire. Aujourd'hui elle est largement utilisée, en particulier dans l'industrie pharmaceutique. On a maintenant accès aux structures moléculaires, qui permettent de déterminer des propriétés biologiques.

En tant que professeure de biologie cellulaire, j'ai assisté au développement de ce domaine de recherche, qui a explosé au cours des 50 dernières années ; les progrès sont considérables. C'est la recherche fondamentale qui a permis, à travers des transferts vers l'industrie, d'utiliser ces différents systèmes, à la fois pour comprendre les pathologies, rechercher de nouveaux médicaments et réglementer la sécurité sanitaire.

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