Intervention de Yannick Favennec-Bécot

Séance en hémicycle du jeudi 21 février 2019 à 21h30
Fonds de soutien à la création artistique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec-Bécot :

Il serait inadéquat de considérer l'art et la culture comme de simples divertissements ou des domaines futiles insuffisamment nobles ou importants pour que le législateur s'en saisisse. Le groupe Libertés et territoires considère bien au contraire que la culture participe de notre capacité à faire société. Elle constitue un vecteur d'émancipation personnelle et collective, un pilier de notre cohésion sociale en même temps qu'une véritable ouverture sur le monde : c'est pourquoi nous souscrivons à l'objectif d'un accès le plus large possible à la culture.

Plus précisément, l'accès à la culture est de notre point de vue à garantir dans les deux sens, tant du côté des citoyens, qui reçoivent les oeuvres, que du côté des artistes qui les créent.

Dans la période trouble que nous traversons, des questions sur les fondements même du vivre ensemble sont soulevées. Cela peut alors paraître dérisoire, mais cela ne l'est pas : dans ce contexte, encore plus que d'ordinaire, la culture, qui nous élève et nous rassemble, a un rôle essentiel à jouer.

En outre, si la culture n'est pas un produit comme les autres, elle est néanmoins un secteur d'excellence vital pour la croissance, l'innovation, l'emploi, le dynamisme de nos territoires et le rayonnement de la France à l'étranger. Facteur d'attractivité et de richesse, elle attire en effet les touristes français et étrangers et contribue à hauteur de 2,2 % au produit intérieur brut.

Elle doit par conséquent être soutenue par des politiques publiques et territoriales ambitieuses et efficaces.

Notre groupe est donc tout à fait conscient de l'enjeu fondamental de l'accès à la culture, et par là de l'importance du soutien qu'il est nécessaire d'apporter aux artistes et aux acteurs du monde culturel.

Or la précarité des artistes et des créateurs est réelle. Elle est telle que nous assistons de plus en plus à l'émergence de générations de jeunes aspirants artistes qui, en dépit de leur talent, sont tiraillés entre l'impératif de faire des études supérieures, de s'accommoder du monde du travail et de s'insérer dans l'univers de la culture et du spectacle. Je le mesure d'ailleurs à titre personnel au quotidien, dans ma propre, famille et j'en vois, malheureusement, les conséquences.

Rares sont les artistes à pouvoir vivre de leur travail. Ils doivent souvent prendre un travail alimentaire, ou bien poursuivre des études qui ne les intéressent pas, au cas où, pour se rassurer. Sans les minima sociaux, en particulier sans le RSA, certains ne créeraient tout simplement pas.

Il existe donc un paradoxe au sein de notre société qui confère à l'artiste un statut parmi les plus valorisés et en même temps l'un des plus précaires.

Ainsi, votre proposition de loi soulève, monsieur le rapporteur, un enjeu légitime : celui de donner aux artistes la place et le temps de se consacrer à la création, qui est une activité à part entière. Notre groupe veut répondre présent et témoigner de son soutien au monde de la culture.

En premier lieu, celui-ci passe par un soutien indéfectible à celles et ceux qui la font vivre au quotidien : j'entends par là les intermittents du spectacle.

Nous sommes en effet attachés à la pérennité du régime des intermittents. Nous souhaitons ainsi soutenir certaines avancées qui le concernent, et qui sont nécessaires. Je pense par exemple aux dysfonctionnements actuels de leur régime d'assurance chômage, dont le discrédit rejaillit malheureusement sur toute la profession. Je pense aux carences de ce régime, pour les artistes plasticiens par exemple, qui ne bénéficient pas d'un statut équivalent à celui d'intermittent, qui garantit une relative sécurité au cours des périodes creuses.

Ainsi, avant de proposer la création d'un nouveau dispositif d'aides, l'amélioration de la situation professionnelle des artistes dépend d'un certain nombre d'avancées. Cela pourrait notamment passer par la limitation du recours aux intermittents par les opérateurs de l'État et par le secteur audiovisuel public, ou par la lutte contre les dévoiements qui fragilisent le système – il faut revoir la liste des fonctions, métiers et entreprises qui peuvent en bénéficier. Je pense encore à la possibilité de créer un contrat de travail à durée indéterminée réservé aux intermittents, ou au fait de favoriser des dispositifs de financement extrabudgétaire de la création, pour le spectacle vivant.

En d'autres termes, nous estimons que le soutien à la culture dépasse la simple question posée par la création d'un fonds de soutien artistique. Au-delà même du statut des intermittents, je pense notamment aux enjeux fondamentaux que représente la révolution numérique pour ce secteur, à la défense de l'exception culturelle ou encore à la reconnaissance du bénévolat associatif, qui fait aussi beaucoup pour la diffusion culturelle dans nos territoires – ce dont je prends régulièrement la mesure dans mon département de la Mayenne.

Par ailleurs, de nombreuses aides à la culture existent déjà, et il serait sûrement plus judicieux de les repenser afin de les rendre plus efficaces avant de créer un nouveau dispositif. Par exemple, quid de la création du fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle, voté dans le cadre du budget 2017 ? Ce dispositif avait pour mission de favoriser l'emploi durable dans le secteur du spectacle, en soutenant la création de CDI et la conclusion de contrats longs : quels en sont les résultats ?

Les dispositifs d'aides sont si nombreux qu'il est difficile d'en faire l'inventaire. Les artistes bénéficient notamment de l'action des directions régionales aux affaires culturelles – DRAC. Des aides au spectacle vivant existent également, grâce au dispositif d'aide à la création de textes dramatiques, confié au Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre.

Le monde du livre est également concerné, puisque le ministère apporte son soutien aux résidences et aux structures qui accompagnent les auteurs. Ces derniers peuvent aussi s'appuyer sur la Fondation de France, ainsi que sur le Centre national des arts plastiques, sans compter les différents organismes de gestion collective, comme la SACEM pour la musique ou encore SOFIA pour les auteurs, qui doivent affecter 25 % des sommes collectées à des dispositifs de soutien à la création. Ces organisations existent dans presque tous les domaines artistiques, qu'il s'agisse des arts visuels, des arts dramatiques, ou encore des arts graphiques et plastiques. Enfin, le secteur est également soutenu par de très nombreux crédits d'impôts, qui animent chaque année nos débats budgétaires.

Toutes ces aides sont très certainement imparfaites ; il ne suffit pas de les lister, de dire qu'elles existent, pour les rendre efficaces. Simplement, ajouter des aides aux aides sans repenser le système existant nous paraît contre-productif. Le système d'aides actuel est opaque, à tel point qu'il décourage même certains artistes de déposer des demandes. Cela mérite que nous nous attaquions à son illisibilité. Nous sommes donc davantage favorables à une réflexion de fond qui porterait sur une simplification et une meilleure articulation des différents dispositifs de soutien.

Enfin, le groupe Libertés et territoires est attentif à la question des déserts culturels et de l'accès à la culture dans tous les territoires. Ainsi, plutôt qu'une réponse passant par un fonds national, notre groupe pense qu'il serait plus pertinent de remettre le territoire au centre de l'action publique en matière culturelle. Aujourd'hui, les DRAC soutiennent la création par le biais d'aides directes telles que les aides individuelles à la création, ou encore les aides à l'installation. Les fonds régionaux d'art contemporain participent, eux aussi, à la distribution d'aides financières. Ces aides qui proviennent des collectivités territoriales sont bien plus adaptées à la réalité des territoires, et peuvent s'articuler à des aides à l'installation et à la mobilité.

Nous préconisons donc une meilleure utilisation des dispositifs actuels, en lien avec une meilleure offre culturelle dans nos territoires, dans une logique de culture pour tous à laquelle la création d'un fonds national ne paraît pas répondre.

Finalement, la motion de renvoi en commission déposée par le groupe La République en Marche ne nous permettra certainement pas de débattre davantage de votre proposition, dont nous partageons pourtant les objectifs, à savoir garantir la liberté de création et donner aux artistes les moyens de leur indépendance. Cependant, nous n'adhérons pas complètement à votre dispositif, car le fonds que vous proposez de créer et ses modalités de financement ne nous paraissent pas apporter une réponse à la hauteur des enjeux auxquels sont confrontés les femmes et les hommes qui font vivre la culture dans chacun des territoires de notre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.