Intervention de Josiane Corneloup

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJosiane Corneloup :

Cette proposition de loi vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés. Plus de 205 000 couples sont concernés par cette mesure.

Le handicap n'est pas choisi, il est subi au quotidien. Chaque jour est une bataille.

Des améliorations sont apparues depuis le 1er janvier 2019. En effet, chacun des 965 centres de formation des apprentis de France a désormais l'obligation de nommer un référent handicap. Avec 19 % de personnes handicapées sans emploi, cette mesure a du sens et je m'en réjouis. Toutefois, les personnes handicapées rencontrent toujours des problèmes pour trouver un logement adapté, un emploi ou une formation qualifiante. De plus, de véritables zones d'ombre ainsi que de profondes inquiétudes sont apparues depuis la récente adoption de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

En effet, afin de favoriser l'emploi direct des personnes handicapées, la loi prévoit que les contrats de sous-traitance conclus par les entreprises ou les collectivités avec les établissements d'aide par le travail, les entreprises adaptées et les travailleurs indépendants en situation de handicap ne pourront plus être comptabilisés dans le quota des 6 %. Cette mesure ne va pas dans le bon sens car les donneurs d'ordre ne seront plus incités de la même manière à avoir recours à la sous-traitance. Les associations sont très inquiètes et craignent que cela ne fragilise le travail des 250 000 personnes en situation de handicap qui ont aujourd'hui accès à l'emploi grâce à un accompagnement spécifique des ESAT ou les entreprises adaptées. Je suis favorable à l'inclusion et au travail en milieu ordinaire, mais nous savons tous que toutes les personnes handicapées ne pourront pas rejoindre ce milieu ordinaire. Une nouvelle fois, les personnes les plus lourdement handicapées seront affectées par cette mesure. Les ESAT et les entreprises adaptées sont des acteurs incontournables de la politique d'emploi des travailleurs handicapés.

L'individualisation de l'allocation aux adultes handicapés mobilise les personnes concernées et les associations depuis de nombreuses années. C'est une question cruciale, car son montant varie actuellement en fonction des autres ressources et des revenus du conjoint du bénéficiaire. Le versement de l'AAH devient dégressif à partir de 1 126 euros de revenu pour le conjoint du bénéficiaire et est entièrement supprimé si ces revenus sont supérieurs à 2 169 euros par mois. Alors que le principe de cette allocation est de garantir l'autonomie des adultes en situation de handicap, cette règle du versement dégressif crée de fait une dépendance financière entre les conjoints.

De plus, bien que l'AAH ait augmenté en 2018 et doive augmenter encore en 2019, cette mesure ne bénéficiera pas aux allocataires vivant en couple. Avant le 1er novembre 2018, ces derniers pouvaient percevoir la revalorisation de l'AAH si leurs ressources et celles de leur conjoint ne dépassaient pas 1 620 euros par mois, soit deux fois le montant maximal de l'AAH. La revalorisation versée était alors proportionnelle à la différence entre 1 620 euros et les ressources du couple. Fin 2019, du fait de la revalorisation, ce plafond aurait dû grimper à 1 800 euros, mais il sera gelé à 1 620 euros car le coefficient multiplicateur sera ramené de 2 à 1,8. Ainsi, personne ne verra son AAH diminuer, mais aucune hausse n'interviendra pour les personnes en couple dont les ressources dépassent ce plafond. Les bénéficiaires de l'AAH, dont le couple affiche un niveau de ressources inférieur à 1 530 euros, connaîtront une revalorisation intégrale de 90 euros. Avec des ressources comprises entre 1 530 et 1 620 euros, la revalorisation sera partielle. Autrement dit, en revalorisant l'AAH, le Gouvernement fera en sorte que de nombreuses personnes atteignent mécaniquement un plafond empêchant toute revalorisation future.

Ce n'est que l'un des différents tours de passe-passe budgétaires que le Gouvernement a effectués. Je pense aussi à la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome, au motif que la coexistence de ces deux dispositifs nuirait à la lisibilité des droits. Seule la majoration pour la vie autonome subsistera, ce qui entraînera indubitablement une baisse de revenus pour la personne handicapée.

Madame la secrétaire d'État, ce n'est pas la première fois que nous nous prononçons en faveur de la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés. Déjà, en avril 2016, lors du précédent quinquennat, à l'occasion de la présentation du rapport Sirugue sur les minima sociaux, mon collègue Gilles Lurton était intervenu en commission des affaires sociales pour demander cette suppression. L'auteur du rapport avait alors reconnu le bien-fondé de cette demande.

Madame la secrétaire d'État, la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés est une véritable injustice faite à des personnes diminuées physiquement et, surtout, qui n'ont pas fait le choix de vivre avec ce handicap. Personne ne choisit d'être enfermé dans un corps qui ne fonctionne plus suffisamment pour occuper un poste de travail. L'allocation aux adultes handicapés est clairement une allocation spécifique attribuée aux personnes en situation de handicap : elle doit donc être soumise à des règles spécifiques.

Face à cette proposition, le Gouvernement se targue d'avoir augmenté le montant de l'allocation aux adultes handicapés. Dont acte : nous approuvons cette mesure. Mais nous regrettons que cette augmentation ne profite pas davantage aux personnes qui vivent en couple. Comment pouvons-nous admettre qu'un couple, dont l'un des membres est en situation de handicap, doive aujourd'hui se séparer pour que ce dernier puisse percevoir l'allocation à laquelle il a droit du fait de son handicap ? Comment pouvons-nous admettre qu'une personne en situation de handicap devienne aussi dépendante de son conjoint, quelle que soit la composition du couple ? Comment admettre qu'une telle humiliation vienne s'ajouter à l'humiliation parfois ressentie du fait du handicap ?

Vous proposez l'inclusion mais, paradoxalement, vous vous apprêtez à balayer d'un revers de la main cette proposition de loi. Après avoir supprimé, les uns après les autres, les articles de ce texte en commission des affaires sociales, vous avez déposé une motion de rejet préalable, comme vous avez l'habitude de le faire, alors que nous aurions voulu débattre de ces articles et vous soumettre nos idées pour améliorer les conditions de versement non seulement des allocations aux adultes handicapés, mais également des pensions d'invalidité.

Le système est trop injuste. Je pense à cette femme qui vient de m'écrire. Alors qu'un accident lui avait rendu difficile la reprise de son travail, finalement, grâce à de nombreux efforts et à une volonté hors du commun, elle y parvient, à trois quarts de temps. Son salaire est ramené à 1 500 euros, complétés par une pension d'invalidité de 500 euros. En raison de la qualité de son travail et de ses efforts, son patron décide de lui verser une prime de 500 euros, qui n'a d'autre conséquence que la suppression, un mois plus tard, de sa pension d'invalidité de 500 euros. Quelle humiliation supplémentaire ! Voilà autant de sujets que nous aurions souhaité aborder, comme tant d'autres, au cours de cette discussion qui nous sera une nouvelle fois refusée.

Pour justifier le rejet de chacun des articles en commission des affaires sociales, vous avez considéré que l'AAH est un RSA amélioré et adapté aux personnes handicapées, et non une compensation financière du handicap : elle n'avait donc pas vocation à être individualisée. Or le RSA est une aide temporaire visant à faciliter le retour au travail, tandis que l'AAH est une aide financière liée à l'incapacité de travailler. Il n'est donc, selon moi, pas possible d'assimiler l'AAH à un RSA.

Vous avez également tenté de justifier le rejet en arguant que l'individualisation de cette allocation reviendrait à nier la situation familiale du bénéficiaire et que la solidarité familiale devait prévaloir sur la solidarité nationale. C'est une belle preuve d'hypocrisie de la part d'une majorité si prompte à défendre le prélèvement à la source.

Pour toutes les personnes en situation de handicap qui nous regardent aujourd'hui, nous ne pouvons malheureusement que le regretter. Toutefois, un jour viendra où, à force de combats politiques, nous parviendrons à faire gagner nos idées et permettrons aux personnes en situation de handicap de bénéficier de la plénitude de leurs droits.

Le groupe Les Républicains, qui demeure profondément attaché à la famille et à la notion de foyer, considère cependant que le cas des personnes en situation de handicap nécessite une considération particulière – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai moi-même cosigné cette proposition de loi. Je regretterais donc que la motion de rejet préalable dont elle fera l'objet soit adoptée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.