Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

Aujourd'hui encore, des dizaines de milliers de personnes handicapées ne perçoivent pas intégralement ou pas du tout l'allocation aux adultes handicapés, simplement parce que leur conjoint travaille. Cette aide, qui est l'unique ressource financière de nombreuses personnes, n'est que de 860 euros. Prenons l'exemple d'une personne en situation de handicap qui s'installerait avec son conjoint gagnant 1 125 euros net par mois, soit moins qu'un SMIC à plein temps : si son conjoint est augmenté de 70 euros, elle perdra 60 euros ; si son conjoint gagne encore 300 euros de plus, elle perdra 210 euros, et ainsi de suite, jusqu'à ce que son AAH disparaisse complètement. Rendez-vous compte de la situation malsaine que cela peut créer !

Cette proposition de loi de notre collègue communiste Marie-George Buffet, très attendue par les associations et les personnes handicapées et signée par de nombreux députés de tous bords, propose d'y remédier. Or, une fois de plus, la République en marche fait front commun pour refuser cette avancée majeure. Chers collègues de la majorité, à ceux d'entre vous qui oseraient voter pour cette motion de rejet, comme vous l'ordonne votre groupe, nous demandons d'avoir non pas pitié mais simplement une once de bon sens et d'humanité. Lorsque le conjoint de la personne handicapée est augmenté de 70 euros, son couple ne perçoit en réalité que 10 euros supplémentaires.

L'actuelle prise en compte des revenus du conjoint est propre, non pas à faire fonctionner la solidarité familiale, mais à la casser : en effet, lorsque les conditions de vie sont difficiles, il peut malheureusement arriver que deux personnes se séparent si, de cette façon, elles gagnent davantage qu'en restant ensemble. Il faudrait être bien déconnecté des réalités pour ne pas le reconnaître : c'est visiblement votre cas. De plus, l'AAH est inférieure au seuil de pauvreté, alors même que les bénéficiaires sont sujets à davantage de frais du fait des complications quotidiennes liées à leur handicap. Si ce minimum fond lorsque la personne handicapée est en couple, celle-ci peut légitimement avoir le sentiment que la société lui refuse les bonheurs élémentaires.

Contrairement à ce qui a pu être dit en commission, la prestation de compensation du handicap ne remplace en aucun cas l'AAH, puisqu'elle n'est attribuée qu'à certaines personnes handicapées ayant besoin d'un tiers pour les aider. Dès lors, l'AAH est bel et bien indispensable pour les personnes handicapées souhaitant préserver leur autonomie.

Vous comparez l'AAH au RSA ou à d'autres aides pour justifier ses modalités d'attribution et son montant. Faut-il, parce que d'autres minima sociaux sont moins bons, refuser de faire de l'AAH une aide plus juste ? Ne pouvez-vous pas, pour une fois, vous poser simplement la seule question qui vaille : est-il normal qu'une personne handicapée n'ait droit à aucune autonomie financière, au seul motif qu'elle est en couple avec une personne qui travaille ? C'est avant tout par le revenu qu'une personne peut s'émanciper : il s'agit donc d'un droit élémentaire. Or nous parlons ici de dizaines de milliers de personnes qui, de par la loi, dépendent entièrement de leurs conjoints pour vivre. Cette condition rétrograde doit être supprimée. Jouer sur des mécanismes aussi mesquins pour faire des économies est tout simplement indécent !

En commission, vous disiez compter sur la solidarité familiale. Si elle existe, et c'est heureux, merci de ne pas l'utiliser comme prétexte pour justifier le fait que l'État se désengage de ses missions. Supposer que le revenu du conjoint doit venir compléter les faibles revenus, voire l'absence totale de revenus des personnes handicapées, c'est s'immiscer dans les affaires personnelles des couples. Ce n'est ni le rôle de l'État, ni celui des parlementaires.

Votre véritable intention, en refusant à nouveau de voter cette proposition de loi et même d'en débattre, est de faire des économies sur le dos des personnes en situation de handicap, tout en soulevant un faux argument de justice sociale.

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