Intervention de Bertrand Deroubaix

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Bertrand Deroubaix, conseiller auprès du président-directeur général, directeur des affaires publiques du groupe Total :

Puisque vous nous demandez à la fois de parler des freins et d'exprimer le point de vue des grands groupes, je rappellerai d'abord que Total est une entreprise mondiale, active dans 130 pays et dans toutes les formes d'énergie sauf deux : le charbon, que nous avons quitté récemment, et le nucléaire, pour lequel nous avons cédé nos activités, il y a plusieurs décennies, à la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA).

Depuis plusieurs années, Total intègre le scénario « 2 degrés » dans sa stratégie d'investissement de court, moyen et long terme. C'est peut-être moins connu, mais nous produisons mondialement davantage de gaz que de pétrole. On nous qualifie toujours de société pétrolière, mais nous préférerions être reconnus comme une société gazière, pétrolière et active dans l'électricité bas carbone. Nous sommes également très actifs dans le solaire et l'éolien. Comme chacun le sait sans cette salle, nous le serons peut-être prochainement en France dans l'hydraulique. Nous sommes également très actifs dans le stockage d'énergie.

Les batteries représentent un point central du secteur de l'automobile. Nous avons acquis, il y a quelques années, la société Saft, un des leaders du domaine. On parle beaucoup de développer des solutions de batteries européennes, ce qui n'est pas évident de notre point de vue, même si nous avons la volonté forte de nous développer dans ce domaine.

Total est donc entièrement engagé dans la transition énergétique, au niveau français, au niveau mondial et au niveau européen.

L'étude des évolutions montre que toutes les formes d'énergie resteront présentes durant des dizaines d'années, y compris en France. Pour certaines activités, comme le transport aérien, le transport maritime et des industries telles que les cimenteries, la sidérurgie ou la pétrochimie, les chercheurs ne voient pas, pour les années qui viennent, d'autre solution à l'échelle industrielle que le pétrole. Quoi qu'on en pense, et nous pensons que la diminution du recours au pétrole est une bonne chose, on ne le voit pas disparaître avant assez longtemps.

Concernant les freins, je ne reviendrai pas sur le problème des coûts, pour les citoyens mais aussi pour l'État, dont on a déjà parlé. J'entends dire que l'État doit attribuer des subventions, mais tout le monde sait bien que ce n'est pas si évident.

Le point qui nous paraît essentiel, c'est la progressivité. Il convient certes d'avoir des objectifs ambitieux et clairs mais, paradoxalement, il faut aller assez vite pour être efficace et pas trop pour ne pas braquer tout le monde. La vitesse peut être un frein si l'on se heurte à des ensembles, des corporations ou des citoyens qui ne peuvent pas suivre et qui sont brutalisés dans leur vie. Il y a un rythme à trouver. Je ne dis pas qu'il faut aller lentement, mais que la brutalité peut être contre-productive.

J'en viens aux accélérateurs possibles.

Le premier, ce sont les économies d'énergie. C'est pour nous le gisement évident, notamment dans le bâtiment. La meilleure énergie est bien celle qu'on ne consomme pas.

Le deuxième exemple, qui n'a pas été cité, ce sont les biocarburants. Ils économisent environ 50 % des émissions de CO2 par rapport aux carburants fossiles historiques. Nous pensons qu'il y en Europe, notamment en France, un vrai champ pour le développement des biocarburants, soit à base d'éthanol, pour l'essence, soit à base de biodiesel ou d'huile végétale, pour le diesel, car il y aura encore du diesel en France pour un petit moment.

J'ajouterai le travail sur les puits de carbone, dont on parle peu en France mais beaucoup dans le monde et même en Europe. Il s'agit non seulement des solutions naturelles – espaces verts, forêts ou zones humides – mais aussi de la possibilité d'injecter du CO2 dans des structures souterraines. Nous y sommes assez engagés avec plusieurs de nos confrères, notamment en Norvège où nous réalisons d'importantes expérimentations à taille réelle. C'est une autre voie pour diminuer significativement les émissions de CO2 dans les décennies qui viennent.

J'évoquerai enfin quelques sujets qui peuvent être des freins ou des accélérateurs selon la façon dont on les utilise Je ne m'étendrai pas sur la stabilité des règles dont on a déjà amplement parlé. Quand une règle change tout le temps, les acteurs individuels, collectifs ou les entreprises, perdent confiance, et il n'y a plus de visibilité. Certes, il faut s'adapter parce que la société bouge. Comme pour la vitesse, il ne faut pas ne jamais rien changer, mais changer constamment est néfaste.

Tout cela doit être traité dans le cadre d'une dynamique européenne et dans un contexte européen. Nous sommes en Europe, il y a encore des frontières, mais plus tellement. L'Europe est le cadre adéquat. Elle doit nous aider, mais aussi nous protéger. Nous sommes nombreux à être motivés, y compris plusieurs autour de cette table, pour produire des batteries européennes pour les voitures électriques. Encore faut-il que nous ayons un minimum d'instruments de défense contre les batteries asiatiques, notamment chinoises, qui ne manqueront pas de nous envahir, comme cela a été le cas pour les panneaux solaires, si nous restons centrés sur la libre concurrence et le marché totalement ouvert.

Nous pensons qu'il faut mettre en place un système de tarification du carbone, au minimum à l'échelle européenne, car le faire à l'échelle d'un seul pays n'aurait aucun sens, avec un prix plancher du CO2. Nous avons émis l'idée que ce prix plancher ne soit pas inférieur à 20 euros par tonne. Ce chiffre à un intérêt économique mais c'est aussi un signal pour inciter les acteurs à évoluer. Nous militons pour que ce signal soit envoyé à l'ensemble des acteurs de l'énergie.

Enfin, le fait d'être un frein ou un accélérateur est aussi une question d'acceptabilité sociale, non seulement par les citoyens – nous en voyons quotidiennement la nécessité à la télévision – mais aussi par les professionnels. Nous pensons que les professionnels peuvent être un frein s'ils sont brutalisés et un moteur s'ils sont engagés et si l'on a pu convenir avec eux d'une trajectoire.

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