Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 16h00
Création du centre national de la musique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

Afin d'étayer cette affirmation, permettez-moi de revenir sur quelques points.

Fallait-il un Centre national de la musique ? La réponse est oui. Depuis le début des années 2000, nous vivons sur nos acquis. Nous vivons encore avec le mythe d'un État qui soutiendrait la création culturelle. Malheureusement, ce mythe a vécu et, depuis François Mitterrand et Jack Lang, qui avaient vraiment réussi à faire bouger les lignes, la culture n'est plus suffisamment un levier pour soutenir la cohésion de notre société et, en son sein, la musique.

Nous vivons encore avec l'idée que la France serait la mère bienveillante de l'exception culturelle. Cela reste vrai dans certains secteurs mais c'est malheureusement en recul dans d'autres. Pour l'illustrer, il suffit de regarder quelques-unes des publications de l'Office statistique de l'Union européenne, EUROSTAT. Ce dernier a par exemple publié, en février dernier, une étude sur la part de personnes qui travaillent de près ou de loin dans le milieu dit de la culture, ce qui va des bibliothèques en passant par la musique, les musées ou encore la production de programmes télévisés. Intuitivement, on pouvait imaginer que la France figurerait en tête de peloton. Ce n'est pas du tout le cas : elle est en deçà de la moyenne européenne, derrière l'Allemagne ou l'Italie ; elle fait seulement mieux que la Roumanie, la Grèce, le Portugal ou la Bulgarie. Ce constat est à mes yeux très alarmant.

Dans ce contexte, la situation de la musique me paraît encore moins favorable, à la fois de manière absolue – dans votre rapport, monsieur le ministre, vous aviez parfaitement décrit la baisse des ventes de musique enregistrée, celle de l'exposition de la musique dans les médias ou le fait que la valeur de la musique se déplace vers l'extérieur de la filière – et au regard de ce que font d'autres pays. Je pense notamment aux politiques de la Russie pour la musique classique.

Si nous sommes d'accord sur l'objectif de création du Centre national de la musique et sur votre démarche, quels sont les points de votre proposition de loi qui ne nous satisfont pas complètement ?

D'abord, comme cela a été dit : les moyens. Dans votre rapport de 2011, monsieur le ministre, vous chiffriez le budget nécessaire à 145 millions d'euros. Cela a été dit sur tous les bancs, nous en sommes loin.

Ensuite, s'agissant du partage de la valeur ajoutée, dans votre rapport de 2011, vous pointiez la tendance défavorable qui voit le contenant prendre le pas sur le contenu ; autrement dit, ce sont les plateformes qui captent la plus grande part de la valeur ajoutée. Même s'ils sont écoutés des dizaines de milliers de fois, les interprètes de musique ne perçoivent presque rien. Un article très bien documenté publié sur le site de France Musique en novembre 2015 montrait que, sur un abonnement de 9,99 euros à une plateforme que nous connaissons bien et que nous utilisons sans doute, seulement 0,46 euro revenait aux artistes, et encore moins aux artistes de musique classique, du fait du mode d'écoute de cette dernière – on n'écoute en général pas l'Or du Rhin en boucle comme on peut le faire pour Bigflo & Oli. Sur cette question du partage de la valeur ajoutée, vous vous en remettez un peu trop au rôle d'observatoire du CNM.

Quelles que soient nos orientations politiques, je crois que chaque législature peut être l'occasion d'accomplir un pas. Sous la précédente, nous avons créé la taxe sur les revenus publicitaires des plateformes, dite « taxe YouTube ». Je rappelle tout de même que cette taxe a été votée par 12 voix contre 11 – c'était un vendredi matin, il n'y avait pas grand monde sur les bancs. Ce résultat illustre les résistances qui peuvent exister. Je profite de cette tribune pour remercier Bruno Le Maire, qui, même s'il n'avait alors pas voté la taxe, a pris le décret pour qu'elle soit appliquée.

Sous la précédente législature, nous avions essayé de répartir le produit de la taxe YouTube entre le CNC et ce qui est encore le CNV. Ce fut un échec ; là aussi il y eut des résistances. Nous vous proposons maintenant un amendement afin que la taxe YouTube bénéficie à la fois au CNC et au Centre national de la musique, tout simplement parce que les plateformes proposent aussi bien du cinéma que de la musique. En l'état actuel des choses, je ne prétends pas que cela rapporterait une fortune au Centre national de la musique – sans doute entre 3 millions et 5 millions d'euros – mais cela constituerait quand même une reconnaissance pour le secteur de la musique. Il serait logique de ne pas réserver cette taxe au seul CNC – qui compte manifestement de nombreux soutiens, dont je fais partie.

Troisième désaccord avec vous, dont nous avons déjà discuté : la place de la musique dite « classique ». Je n'aime pas beaucoup l'adjectif car il comporte une connotation rétro qui ne me semble pas juste. Quoi qu'il en soit, alors que la musique classique a toujours été partie prenante de notre histoire, son image me paraît écorner par certains qui voudraient l'affubler d'un caractère élitiste. Certes le public des concerts vieillit au fil des ans, surtout depuis une trentaine d'années, mais je pense que cette évolution peut être renversée. On le voit dans d'autres pays : en Chine, le public des concerts de musique dite « classique » est très jeune et bien plus important qu'en France. Il est regrettable que votre proposition de loi soit muette sur cette tendance préoccupante, alors même que notre pays compte de nombreux interprètes et compositeurs adulés à l'étranger tandis que les scènes françaises et la télévision se montrent très frileuses à valoriser.

Ma remarque dépasse le champ stricto sensu de la proposition de loi, mais, je vous l'ai déjà dit, monsieur le ministre, je suis ahurie de constater que certains festivals de musique classique, y compris les plus anciens, qui proposent des créations, ne reçoivent pas le moindre euro de subvention de l'État, alors que celui-ci verse des dizaines de millions d'euros de crédits d'impôt à des productions étrangères dont les entrées au box-office ne traduisent pas toujours un large succès. Cette disproportion est extrêmement choquante, et je ne peux que vous inviter à vous y pencher sérieusement. Si je plaide pour la musique classique – certains diront par goût personnel, et c'est vrai – , c'est surtout au regard de ce qui se passe dans le reste du monde : nous sommes en train de perdre du terrain – je pense à la Chine, à l'Allemagne ou à la Russie, qui ont adopté des programmes très intéressants en faveur de la musique classique, il faut bien le reconnaître.

Enfin, tous nos collègues, je crois, ont évoqué la gouvernance du Centre national de la musique. Monsieur le ministre, dans votre rapport de 2011, vous proposiez que des parlementaires siègent au conseil d'administration du CNM, comme c'est le cas au CNC. Vous écriviez : « La composition du conseil d'administration (CA) devrait comprendre une majorité de représentants de l'État, principal financeur, des personnalités qualifiées, des parlementaires et des représentants du personnel de l'établissement. » Or, dans la proposition de loi, cette suggestion a disparu. Il nous reste les débats en séance pour vous convaincre de revenir à vos écrits de 2011 et de permettre aux parlementaires – je parle pour eux, mais cela vaut peut-être pour d'autres catégories – de participer au conseil d'administration. Vous ne pouvez pas, pendant tout le grand débat, afficher votre volonté d'écouter les Français et, dans le même temps, resserrer toutes les instances de décision autour de l'État.

Pour conclure, je vous confirme que le groupe Socialistes et apparentés votera la proposition de loi visant à créer le Centre national de la musique, que nous attendons, mais nous souhaitons vivement que les débats en séance soient l'occasion de quelques avancées – à propos de la taxe YouTube, de la composition du conseil de l'administration et peut-être de l'attention portée à la musique classique – confirmant que la musique, ses compositeurs, ses créateurs et ses interprètes pourront de nouveau bénéficier d'un vrai soutien, surtout face à des plateformes qui accaparent de plus en plus la valeur ajoutée.

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