Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 21h30
Jeunes majeurs vulnérables — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Notre assemblée est saisie ce soir d'un sujet d'importance. Il est d'ailleurs si important que l'ensemble des groupes est tombé d'accord, lors de son examen en commission des affaires sociales, sur la nécessité d'aller beaucoup plus loin et de corriger en profondeur les insuffisances de nos politiques publiques dans ce domaine. En France, aujourd'hui, environ trois cent mille jeunes bénéficient d'une mesure de protection de l'enfance et grandissent dans un foyer ou une famille d'accueil. Ils y sont placés par les services de l'aide sociale à l'enfance, gérés par les départements. Chacun le sait, les placements effectués par l'ASE concernent les enfants victimes de violences ou de négligences graves, et retirés en conséquence à leurs familles par décision de justice. Il s'agit donc d'enfants dans des situations difficiles ou conflictuelles, marqués par des traumatismes douloureux et qui gardent parfois ce stigmate d'enfants placés. Face au regard des autres, face aux interrogations anodines des professeurs ou des camarades, ils sont ceux qui n'ont pas une enfance normale.

Grandir dans ces conditions, ce n'est pas la même chose. C'est bien souvent ne pas disposer des bases affectives qui sont évidentes pour les autres enfants. C'est connaître l'isolement, le sentiment d'une injustice, mais aussi celui – permanent – d'insécurité. Pour reprendre le mot très dur d'une ancienne enfant des foyers français, « c'est terriblement compliqué de sortir de l'ASE et de se rendre compte que, en fait, on a besoin de reconnaissance, et qu'on n'y a pas accès ». Les conclusions du Conseil économique, social et environnemental ont alerté la représentation nationale sur l'énorme gâchis économique et social que constituait cette situation. La proposition de loi que nous examinons ce soir vise à corriger une injustice, celle des sorties sèches dont sont souvent victimes les enfants placés par l'ASE qui ne sont pas accompagnés lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans. La présidente de notre commission des affaires sociales, Brigitte Bourguignon, en est à l'initiative ; qu'elle en soit remerciée.

Alors que la puissance publique investit près de 7,4 milliards dans les dispositifs de protection de l'enfance, l'inefficacité et l'injustice de nos politiques à ce moment charnière doivent nous interpeller. Il s'agit d'ailleurs d'un paradoxe. Aujourd'hui, nos enfants accèdent à l'autonomie de plus en plus tard et connaissent une plus grande précarité qu'auparavant. Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est élevé, autour de 20 %, et la moitié des personnes pauvres a moins de 30 ans. Face aux difficultés grandissantes pour entrer sur le marché du travail, nous consacrons de plus en plus de moyens et d'énergie à l'acquisition de diplômes ou d'expérience. En conséquence, il n'est pas étonnant que les jeunes « classiques » bénéficient de davantage d'aide et de soutien de la part de leurs parents et de leurs proches.

La société demande donc bien davantage à des jeunes adultes qui ne disposent d'aucune ressource ni d'aucun filet de sécurité. Ils ont l'obligation d'être plus matures et plus autonomes que ceux qui ont bien moins de difficultés. Il est vrai que, depuis 1974, les contrats jeunes majeurs permettent de maintenir, à l'arrivée à la majorité et jusqu'à 21 ans, une assistance éducative et financière pour les anciens enfants placés. Selon l'Observatoire national de la petite enfance, un peu plus de vingt mille jeunes de 18 à 21 ans bénéficiaient fin 2017 de cette mesure de suivi, soit environ un tiers seulement des personnes potentiellement concernées, selon une estimation du CESE dans son rapport de juin dernier.

En effet, le dispositif du contrat jeune majeur n'est pas aujourd'hui appliqué de façon uniforme selon les départements. Si certains prévoient un accompagnement long jusqu'à 25 ans, d'autres ne le mettent en oeuvre que pendant 6 mois seulement, voire ne le proposent pas du tout. En conséquence, pour une partie des enfants placés, devenir majeur ne constitue pas ce moment heureux synonyme d'ouverture face à l'infini des possibles. Devenir majeur, avec la fin de l'accompagnement que cela entraîne, est plutôt synonyme de grande précarité et d'isolement. Selon un collectif, un quart des sans-abri âgés de 18 à 25 ans ont été des enfants placés. Il s'agit bien d'un véritable « carnage social », pour reprendre l'expression d'Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes.

Face à ce drame, je me garderai bien, cependant, de mettre en cause l'action des départements, qui sont trop souvent débordés et ne disposent pas des moyens nécessaires pour traiter de manière appropriée l'ensemble des situations sur le terrain.

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