Intervention de Nicolas Girod

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne :

Madame Gipson, la valeur ajoutée, ce sont l'élevage à l'herbe, le bien-être animal, l'allongement de la durée d'élevage. Des éléments qui devraient, par leur inscription dans le cahier des charges, créer de la valeur ajoutée pour les producteurs.

Lors des discussions interprofessionnelles de la filière laitière, par exemple, les syndicats agricoles minoritaires étaient les seuls à réclamer une définition de lait à l'herbe suffisamment ambitieuse pour qu'elle soit un peu contraignante.

Nous sommes, en effet, convaincus que pour créer de la valeur ajoutée, des contraintes doivent être posées ; des contraintes qui seront, demain, des atouts, puisque nous aurons fait évoluer nos modes de production.

Or nous n'avons obtenu, lors de ces discussions, qu'un lait de pâturage, c'est-à-dire un lait à l'herbe au rabais, avec des durées de pâturage et des surfaces d'accès aux pâturages pour les bovins très insuffisantes ; 85 % à 90 % des éleveurs laitiers peuvent répondre actuellement aux critères du lait de pâturage. Non seulement, nous n'allons pas créer de valeur ajoutée, mais nous allons entretenir le doute chez les consommateurs sur la notion de lait de pâturage.

Pour arriver à créer de la valeur ajoutée, nous devons, au niveau de la production – c'est l'idée que nous mettons sur la notion de montée en gamme –, nous imposer des contraintes qui obligent à des changements de pratiques. Et ces changements de pratiques créeront de la valeur ajoutée. C'est ce que nous avons fait dans la filière Comté.

Sachez cependant, que cette filière n'a pas toujours valorisé le lait au même niveau qu'aujourd'hui. À la fin des années 1980, le lait à Comté était aussi bien ou aussi mal payé que le lait industriel dans le Jura, alors que les contraintes – race de vaches, accès au pâturage, etc. – étaient plus importantes. Une majorité des paysans ont tenu bon, et, aujourd'hui, nous en tirons les bénéfices. Quand je dis « nous », c'est la génération d'après ; nous tirons les bénéfices des efforts réalisés par nos pères.

Ces paysans se sont imposé beaucoup de contraintes, qui paient, aujourd'hui, car elles se sont transformées en valeur ajoutée. Ils ont réussi à effectuer un changement de mode de production qui répond, en outre, aux attentes sociétales. Mais pour ce faire, le paysan doit pouvoir tenir, c'est-à-dire avoir la capacité financière de s'imposer des contraintes durant des années, sans bénéficier de la valeur ajoutée.

Vouloir faire de la valeur ajoutée au rabais, sans contrainte, est un mauvais choix. Il me semble que les interprofessions devraient accompagner le mouvement, car si la montée en gamme est effective, au final tout le monde serait gagnant. Et elle nous permettrait d'enclencher une démarche plus vertueuse sur toute la chaîne.

Concernant l'Observatoire de la formation des prix et marges, nous avions, dès le début, demandé que la loi l'impose comme instance de recours, pour définir les coûts de production, en cas d'échec des interprofessions. Il aurait ainsi pu pallier l'incapacité d'INTERBEV. D'autant qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour fournir des indicateurs pertinents.

Nous sommes satisfaits que l'ordonnance relative aux prix abusivement bas prévoie que le juge peut se référer aux indicateurs de cet OFPM pour motiver sa décision. Mais le recours à l'OFPM aurait également dû être prévu en amont.

Concernant la transparence, nous fournissons à nos acheteurs des indicateurs de coût de production et des informations sur notre capacité à les fournir à tel ou tel prix ; nous avons le sentiment d'être le plus transparents possible. En revanche, il est difficile de connaître, pour un paysan qui ne fait pas partie d'une coopérative, ou d'une coopérative qui est a tellement grossi qu'elle en est devenue industrielle, sur quel marché va son lait, quels produits sont fabriqués avec et à quelle valorisation ils sont vendus ?

Car aujourd'hui, le lait de ferme ne se retrouve pas directement en supermarché. Il est fragmenté et utilisé dans une multitude de produits. Or nous sommes incapables de savoir à quoi sert notre litre de lait vendu et quelle valorisation il a apportée.

L'industrie agroalimentaire agite, par ailleurs, le chiffon signifiant « nous ne pouvons pas payer votre lait, le marché de la poudre n'étant pas satisfaisant ». Nous avons vécu cet épisode, l'année dernière encore, quand le prix du beurre montait en flèche, et que les industriels ne voulaient pas nous payer davantage, sous prétexte que le marché de la poudre n'était pas satisfaisant.

Nous en revenons-là à la question de l'opacité : nous ne savons pas sur quels marchés les acheteurs évoluent et quelle valorisation ils sont capables de réaliser.

Concernant la filière du Comté, le prix, dont la répartition va être discutée par l'interprofession, est établi sur la moyenne pondérée nationale (MPN), qui est constituée par les volumes de Comté vendus par nos affineurs et leurs prix de vente. Une fois la MPN établie, nous avons connaissance du gâteau et nous engageons les discussions pour que chacun en reçoive une part satisfaisante.

Si la filière du Comté peut encore fonctionner de cette façon, c'est bien parce que nous n'avons pas d'industriels – même si Sodiaal est maintenant présent – qui, par leur taille, empêchent cette discussion. Mais la grande distribution n'est pas seule responsable. Il en va de même du secteur de la transformation, les entreprises ayant énormément grossi. Certaines entreprises sont en situation de quasi-monopole et la discussion n'est plus possible, elles ne souhaitent pas répartir la valeur ajoutée – et rien ne les y contraint.

Enfin, comment sont régulés les volumes ? Lorsque l'Union européenne a mis fin aux quotas laitiers, l'interprofession du Comté a négocié avec la Commission européenne pour qu'une limitation des volumes soit maintenue. Une limitation calculée par rapport, non pas aux fermes ou aux producteurs, mais aux hectares.

Historiquement, pour chaque paysan, étaient définis un quota laitier et une surface. Aujourd'hui, chaque producteur a un droit à « plaque verte » – que nous apposons sur le Comté – qui correspond à son ancien quota divisé par le nombre d'hectares qu'il possède ; ainsi est définie notre productivité par hectare – nous ne pouvons pas produire plus.

Historiquement encore, était inscrite dans le cahier des charges la productivité laitière à l'hectare pour l'ensemble de la filière Comté ; elle était de 4 600 litres hectare. Aujourd'hui, ma ferme, par exemple, a une productivité de 3 300 litres par hectare.

Un quota qui fait grincer nos affineurs, qui n'arrivent pas à répondre à la totalité de la demande. Mais l'interprofession souhaite tenir cette position et accepte de ne pas répondre aux marchés. Par ailleurs, si nous voulons y répondre, nous préférons le faire en augmentant, non pas notre productivité, mais le nombre de producteurs. Il s'agit pour nous d'un principe de solidarité.

Enfin, concernant le médiateur, nous ne sommes pas surpris, puisque nous avons toujours dit que si le bâton devait être manié, pour faire aboutir les négociations commerciales et la répartition de valeur, il devait l'être par la force publique.

Même en présence du Médiateur, les affrontements ont été violents et chacun est resté sur ses positions. Le Médiateur ne dispose pas du pouvoir de faire évoluer les positions. Il s'est entretenu avec chacune des parties prenantes de l'interprofession, avant la discussion en plénière, mais les négociations n'ont pas abouti, notamment sur la question de la prise en compte de la rémunération paysanne dans les coûts de production.

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