Intervention de Thierry Fellmann

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 11h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Thierry Fellmann, directeur Économie, agriculture et territoires de l'APCA :

En ce qui concerne l'augmentation du seuil de revente à perte, vous évoquez un effet pervers : les prix aux producteurs baisseraient pour ne pas augmenter le prix « conso ». Je rappellerai deux éléments. Tout d'abord, les distributeurs faisant très peu de marges sur certains produits et se rattrapant donc sur d'autres, l'augmentation du seuil de revente à perte avait pour objectif d'assurer une meilleure répartition. Il s'agit d'un dispositif expérimental. Interrogez les distributeurs : demandez-leur quels sont précisément les produits sur l'achat desquels ils sont obligés de faire pression à la baisse. Ensuite, on regardera, produit par produit, si les prix de vente des producteurs sont, ou non, exagérément élevés par rapport à leurs coûts de production et si l'application du seuil de revente à perte implique – pourquoi pas, c'est une hypothèse – une augmentation du prix consommateur. Mais si, en appliquant un seuil de revente à perte minimal, in fine, le consommateur ne paye pas assez cher par rapport au coût de production, c'est qu'il y a un problème sur l'ensemble de la chaîne. On pourra en tirer un certain nombre d'enseignements, soit sur le coût de production du produit de base, qui pourrait être encore moins cher – mais c'est difficile –, soit sur la chaîne de valeur. En tout cas, il faut étudier chaque produit ; c'est tout l'intérêt d'un dispositif expérimental. En règle générale, au plan économique, pour beaucoup de produits sur lesquels il y a des pressions fortes sur les producteurs, les marges sont bien supérieures au seuil de revente à perte.

Il n'y a donc pas de problème, sauf peut-être pour quelques-uns d'entre eux. Aidez-nous à les identifier, et nous travaillerons avec les producteurs sur les coûts de production.

En ce qui concerne les indicateurs de coûts de production, c'est un aspect positif de la loi ÉGAlim que d'avoir mis cette notion sur la table. Dans ce domaine, nous rencontrons au moins deux difficultés qui sont étudiées par les interprofessions. Premièrement, faut-il intégrer, intégrer partiellement ou ne pas intégrer les aides dans les coûts de production ? Actuellement, dans la plupart des cas, les opérateurs proposent de les déduire ; l'aide est donc intégralement captée par l'aval, peut-être jusqu'au consommateur. Mais on peut en débattre : une partie des aides pourraient être utilisées par le producteur pour innover, investir, prendre des risques. La deuxième difficulté tient à la rémunération du travail non salarié et à la valeur qu'on lui donne. Cette question n'est pas facile à résoudre car, selon l'emplacement des opérateurs dans la chaîne alimentaire, certains tirent cet indicateur le plus bas possible.

Deux autres points me semblent importants. En ce qui concerne les pratiques déloyales des distributeurs, l'Europe, je le rappelle, a adopté, le 17 avril dernier, une directive sur la question. Certes, le dispositif est déjà en vigueur au niveau national, mais le fait qu'il soit appliqué au niveau européen est une avancée. Ensuite, la question de savoir si l'on parvient à convaincre les producteurs de porter plainte contre leurs acheteurs se pose de manière récurrente. Oui, l'arsenal juridique existe et, en principe, il protège le producteur. Mais il faut juger de l'efficacité de la loi à l'épreuve des faits.

Je conclurai par un point positif. Les distributeurs commencent à solliciter les chambres en vue de construire, à l'échelle d'un territoire, des relations contractuelles et une chaîne de valeur un peu plus vertueuse. Cela répond en partie à votre question, monsieur le rapporteur. Le problème vient notamment du fait que, dans le secteur alimentaire, la construction de la chaîne de valeur repose sur un raisonnement fondé sur le prix : le consommateur voulant payer le moins cher possible, le distributeur s'efforce de faire des coups en achetant le moins cher possible aux transformateurs, qui essaient eux-mêmes d'acheter le moins cher possible à l'agriculteur, lequel a peu de variables d'ajustement : il supporte donc des variations de revenus d'une année sur l'autre. Le problème est donc lié au fait qu'on n'est pas capable – cela rejoint la question de l'intégration – de créer une chaîne de valeur un peu plus robuste, dans laquelle les volumes et les prix seraient davantage stabilisés. Cela ne doit pas forcément concerner l'intégralité de la production, car la loi de l'offre et de la demande existe bien. Mais on pourrait imaginer, à l'échelle d'un territoire, et les chambres y travaillent, des stratégies de développement « produit » un peu plus robustes, du producteur jusqu'au distributeur et au consommateur qui, s'il n'est pas un acteur économique au sens strict, est en bout de chaîne et fait la pluie et le beau temps. L'alternative consisterait à revenir à des mesures de régulation des volumes, mais plus personne ne le conçoit.

Encore une fois, les grandes surfaces commencent, c'est nouveau, à solliciter les chambres d'agriculture pour développer ce type d'approche. C'est donc plutôt positif, même si c'est encore très anecdotique. C'est un signal faible, comme on dit en économie.

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