Intervention de David Habib

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2019 à 16h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavid Habib :

Nous nous opposons à cette réforme du règlement de notre Assemblée telle qu'elle résulte du travail de la commission des lois. Nous espérons qu'au cours de la discussion parlementaire, vous prendrez acte de nos propositions et amendements, afin d'aboutir à un texte de rassemblement, comme Mme la présidente de la commission vient de l'évoquer. Il est encore temps.

Permettez-moi de vous rappeler, en écho à ce que vous venez de dire, que cette exigence de consensus avait animé Claude Bartolone en 2014. Plutôt que d'imposer des dispositions qui ne faisaient pas l'unanimité, il avait préféré les retirer de sa réforme.

Vous avez jusqu'à présent choisi de privilégier le fait majoritaire. Ce débat peut nous permettre d'évoluer positivement pour aboutir à cette recherche d'équilibre.

Bien sûr, monsieur le président, vous nous direz que votre réforme crée de nouveaux droits pour l'opposition : nous vous donnons acte de la réforme du comité d'évaluation et de contrôle, de la composition du bureau des commissions, ou de l'élection d'un premier vice-président appartenant à l'opposition. Je veux également souligner qu'il a été très agréable de travailler avec M. le rapporteur, sous l'autorité de Mme la présidente, et que le président de notre Assemblée, M. Richard Ferrand, a multiplié les initiatives pour écouter les propositions dont nous étions porteurs.

Ces mesures positives ne contrebalancent cependant pas les défauts que nous avons identifiés et que je vais détailler.

La motion de rejet préalable que nous présentons se justifie par l'inopportunité flagrante du projet de résolution et par le caractère manifestement inconstitutionnel de certaines des dispositions proposées.

Son inopportunité tient tout d'abord dans le calendrier retenu. M. le rapporteur vient de nous en révéler la faiblesse. Cette réforme apparaît ainsi comme une réforme sandwich, coincée entre une réforme constitutionnelle avortée et une réforme constitutionnelle annoncée. Si une réforme doit intervenir, c'est celle de la Constitution, avant celle du règlement de notre Assemblée !

Il en était ainsi en 2008 et 2009. Vous, vous faites l'inverse. Vous dites vouloir fluidifier, dynamiser et moderniser le travail parlementaire pour, en réalité, mieux protéger la majorité parlementaire lors de ce prochain débat constitutionnel.

Il est d'ailleurs assez remarquable de noter que certaines mesures qui étaient inscrites dans le premier projet de loi constitutionnelle se retrouvent dans la présente réforme du règlement. Le renforcement des irrecevabilités des amendements, notamment, qui relevait du niveau constitutionnel en juillet 2018, s'inscrit dans un simple projet de résolution en mai 2019. Cherchez l'erreur !

Mais l'inopportunité consiste aussi à mal identifier les dysfonctionnements de notre vie parlementaire et à ne les corriger de fait qu'à la marge. Vous venez d'évoquer le temps passé dans cette assemblée, ou le nombre d'amendements – je donnerai également quelques statistiques tout à l'heure. Mais, monsieur le rapporteur, n'avez-vous pas l'impression que le premier fautif est l'exécutif, le Gouvernement, souvent versatile, peu respectueux de nos procédures, mal éclairé sur les réalités de notre pays ?

Cela ne vaut pas que pour la présente majorité, mais pour toutes les majorités, tous les exécutifs. Vouloir faire porter sur les seuls parlementaires la responsabilité de ces dysfonctionnements est une erreur manifeste. Vous la commettez, comme tous les pouvoirs qui se trouvent majoritaires dans cette Assemblée.

Quant à l'inconstitutionnalité, c'est d'abord la remise en cause du mandat représentatif : on nous impose par touches successives un mandat impératif.

L'inconstitutionnalité, c'est aussi l'absence de clarté et de sincérité de nos débats, alors que le Conseil constitutionnel, à six reprises, a statué sur cette exigence.

L'inconstitutionnalité, enfin, c'est méconnaître le principe d'égalité entre nous.

Nous faisons du respect de la parole parlementaire un préalable absolu. Nous refusons que cette parole soit diminuée, dévaluée et, à terme, dégradée. La première des blessures que vous nous infligez, c'est de substituer à la libre expression de chacun une seule expression par groupe. Au nom de quoi ?

Vous dites que c'est au nom de la rapidité et de l'efficacité. Qu'il soit ici définitivement dit, comme l'a démontré Olivier Marleix, que la durée d'adoption d'un texte est plus longue en Allemagne qu'elle ne l'est en France. Toute votre réforme du règlement est basée sur « moins d'expression pour les députés » – et vous égrenez les décisions en ce sens.

Il en va ainsi des motions de procédure. Vous nous proposez de modifier les articles 91 et 108 de l'actuel règlement pour limiter les motions de procédure. Vous supprimez la motion de renvoi en commission et vous réduisez le temps de défense des motions avec un argument imparable : aucune motion ou presque présentée par l'opposition n'a été adoptée. Mais si tel était le cas, supprimez alors les amendements de l'opposition, supprimez les questions posées par elle et auxquelles jamais l'exécutif ne répond !

Pour la bonne information de nos collègues, nous sommes passés en 2009 de trois motions de procédure à deux. En 2019, nous nous apprêtons à passer de deux motions de procédure à une seule. En outre, depuis 1999, le temps de présentation des motions de procédure n'a cessé de décroître : alors qu'il était illimité avant 1999, il a été réduit à une heure trente en 1999 puis à trente minutes en 2006. Si votre projet était adopté, ce temps de présentation ne serait plus que de quinze minutes à partir de 2019.

Par ailleurs, les articles 8 et 23 de ce projet de résolution entendent limiter les prises de parole en discussion générale. Désormais, la règle serait un seul orateur par groupe, pour cinq minutes. Imaginez : cinq minutes pour un groupe sur le projet de loi de transformation de la fonction publique ; cinq minutes demain, sur les retraites ; cinq minutes après-demain, sur les lois de bioéthique ! Qui peut croire, qu'en cinq minutes, une famille de pensée puisse éclairer l'opinion publique sur la globalité d'un texte ?

Outre les motions et les prises de parole en discussion générale, les interventions sur les articles seront limitées. En proposant de modifier les articles 54 et 95 de l'actuel règlement, vous annoncez que le nombre des inscrits sur les articles sera limité à un orateur par groupe, ainsi qu'un député non inscrit. L'orateur sera désigné par le président du groupe. Quant aux explications de vote sur les articles, elles seraient supprimées.

Et il y a encore des modifications sur les amendements, sur leur nombre, sur les rappels aux règlements, sur les demandes de suspension de séance…

Nous contestons cette dérive, cette volonté qui vous anime de réduire la possibilité qu'ont les députés de s'exprimer dans l'Assemblée.

Reconnaissez qu'il n'y a pas eu d'abus dans notre Assemblée. J'y siège depuis 2002, comme d'autres ici, et certains peut-être même depuis plus longtemps : nous n'avons jamais connu de dérives en la matière !

Monsieur le président, puisque c'est cela que vous avez en tête, ce qui a déraillé en juillet dernier, ce n'est pas la procédure parlementaire : c'est un chef de cabinet adjoint de l'Élysée qui s'est comporté comme un nervi. Ce qui a déraillé, c'est l'Élysée lui-même qui, à la surprise de tout le pays, l'a gâté et protégé au-delà de la normale. Pénaliser la procédure parlementaire parce qu'il y a eu Alexandre Benalla, cela est nul et cela nourrit le mauvais climat que connaît notre démocratie.

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