Intervention de Jean-François Lagneau

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-François Lagneau, président d'Icomos :

– Icomos est effectivement une ONG qui se consacre à la préservation du patrimoine culturel mondial. Nos membres sont répartis en 110 comités nationaux ; je préside le comité français. Nous élaborons progressivement un corpus de textes doctrinaux servant de fondement aux politiques de conservation. Le plus connu, vous le citiez, est la charte de Venise de 1964 qui reprend les recherches des théoriciens de la restauration en confirmant la prééminence de l'authenticité de la matière et la préférence pour la conservation. S'agissant des conséquences d'un événement traumatique, la déclaration de Dresde a amorcé le débat en 1982, puis le document de Nara, de 1994, a élargi la notion d'authenticité à l'immatériel ; ils ont été complétés en 2000 par la charte de Cracovie. Il en ressort que la reconstruction à l'identique est admise lorsque des motivations sociales et culturelles la justifient. La demande sociale constitue dès lors une donnée reconnue et incontournable, au même titre que l'analyse des experts.

S'appuyant sur nos travaux, l'Unesco nous a associés à la Convention du patrimoine mondial de 1972 : nous constituons son organisation consultative pour les biens culturels et intervenons pour les dossiers d'inscription et le suivi des projets. Les rives de la Seine appartiennent ainsi au patrimoine mondial depuis 1991. Ces dernières années, nombre d'événements tragiques – catastrophes naturelles, accidents ou faits de guerre – ont affecté gravement le patrimoine. Je pense notamment à l'incendie du bazar de Tabriz en Iran la semaine dernière. L'Unesco nous a demandé, en 2016, de préciser quelle attitude post-traumatique il convenait d'adopter dans de telles circonstances.

Il convient de rappeler quelques notions, fréquemment sources de malentendus : restauration, réparation, reconstruction, récupération et restitution ne recouvrent pas la même définition selon que les termes s'appliquent à tout ou partie d'un édifice. La restauration consiste à faire perdurer un édifice et à lui conserver son intégrité. Selon la charte de Venise, elle n'est admise que si elle se fonde sur le respect de la substance ancienne et sur des documents authentiques et cesse où commence l'hypothèse. La restitution rétablit tout ou partie d'un édifice à l'identique. Pour résumer : restaurer signifie réparer et restituer, rétablir. Nous parlons souvent, s'agissant de Notre-Dame, de reconstruction. Il s'agit d'une facilité de langage : on reconstruit un édifice entièrement détruit, on restitue un élément disparu, on restaure un monument. Au-delà des mots, quel est l'objectif recherché ? Conserver un témoignage douloureux ou, au contraire, l'effacer ? Restaurer l'édifice à l'identique afin de faire revivre un symbole ou restituer les parties détruites dans un autre style pour conserver la trace du traumatisme vécu ? Ce choix primordial déterminera le projet architectural. Les exemples passés montrent que chaque intervention de stricte conservation, de restauration, de reconstruction, voire d'éradication, est issue d'une demande sociale relayée par le pouvoir politique. S'agissant d'édifices emblématiques, la reconstruction à l'identique est souvent considérée comme un remède au traumatisme. Nous l'avons récemment observé en Italie, à l'Aquila et à Norcia.

Notre méthodologie constitue une aide à la décision qui doit être conduite sans idée préconçue ; elle n'a nullement la prétention de se substituer aux décideurs institutionnels. Par définition, tout bien inscrit sur la liste du patrimoine mondial possède une valeur universelle exceptionnelle (VUE), assise sur des attributs matériels et immatériels. Lors d'une destruction, il importe d'évaluer précisément et méthodiquement les atteintes à ces attributs, puis d'identifier les options permettant leur rétablissement ou leur substitution. Concernant les attributs matériels, il convient de définir les formes, les matériaux et les techniques utilisés, dans le respect du critère de développement durable.

Pour assister l'État, seul responsable in fine du choix d'intervention pour la cathédrale Notre-Dame, nous préconisons l'installation d'un comité scientifique composé d'experts et de représentants de la société civile, en liaison avec le Centre du patrimoine mondial de l'Unesco. Le projet sera ensuite porté par des professionnels aguerris qui mettront en oeuvre le parti architectural retenu. C'est ainsi que le bien pourra retrouver sa VUE et que sera assurée sa transmission aux générations futures.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.