Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du mardi 2 juillet 2019 à 21h35
Restauration de notre-dame de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Il y a bientôt deux mois, je défendais ici même la position du groupe La France insoumise lors de la première lecture de ce projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet. Moins d'un mois s'était écoulé depuis l'incendie du 15 avril 2019, qui avait ravagé ce chef-d'oeuvre vieux de 856 ans, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO – Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture. Émus par cette douloureuse actualité, nous avions mentionné l'élan de générosité hors du commun suscité par la catastrophe. Effectivement, dans les jours qui ont suivi l'incendie, plus de 850 millions d'euros de promesses de don ont été annoncés.

Or, deux mois après l'effondrement de la flèche de Notre-Dame de Paris en direct sur nos écrans de télévision, seuls 82 millions d'euros avaient été récoltés, soit 9 % du total des promesses de don initiales. La Fondation de France a reçu 9 millions d'euros sur les 29 millions de promesses de don. Pour la Fondation du patrimoine, 54,5 millions d'euros ont été perçus, alors que 221 millions d'euros sont espérés. En ce qui concerne la Fondation Notre-Dame, sur 395 millions d'euros, seuls 15 millions ont été récoltés. Le Centre des monuments nationaux constate une différence de 1 million d'euros entre les dons effectifs et les promesses, qui s'élevaient à 4,5 millions d'euros.

Ces 82 millions d'euros de dons, arrivés par chèque ou virement, proviennent en majeure partie de particuliers. La différence entre les promesses originelles et les dons véritables tient aux fonds promis par quelques milliardaires. Ces donateurs richissimes se sont empressés de vanter leurs propres mérites dans la presse, mais ils n'ont pas précisé alors que cet argent serait envoyé « petit à petit, en fonction du devis de la reconstruction » dans le but « d'éviter que l'État fasse fructifier leurs centaines de millions d'euros en les plaçant avant que les travaux ne soient lancés », comme nous l'explique France Info.

Les Françaises et les Français qui contribueront à l'effort de reconstruction de ce monument ne tireront pas tous les mêmes bénéfices de leur générosité. Les donateurs les plus modestes auront à charge 100 % de leur don s'ils ne sont pas imposables, alors que le généreux mécène qui offrira 100 millions d'euros pourra bénéficier d'une réduction d'impôt de 66 millions, compensée par l'État, donc par le contribuable.

En première lecture, vous avez refusé d'améliorer l'article 5 bis, voté en commission des finances, qui demande un rapport sur la part et le montant des dons et versements effectués au titre de la souscription nationale ayant donné lieu aux réductions d'impôts. Dans le but de mettre en lumière le caractère injuste du système de don, nous vous avions proposé de confier une mission d'éclaircissement supplémentaire au Gouvernement dans le cadre de ce rapport : étudier le profil de ceux qui ont bénéficié de la réduction d'impôt par décile de niveau de vie. Les dons perçus pour Notre-Dame de Paris provenant principalement des particuliers, nous considérons que cet amendement est d'autant plus légitime en nouvelle lecture. Nous vous le proposerons donc de nouveau tout à l'heure.

Vous prévoyez que les collectivités territoriales puissent elles aussi effectuer des versements au titre de la souscription nationale. Vous précisez dans l'exposé des motifs, mais non dans le dispositif, que ces versements seront considérés comme des « subventions d'équipement », qui sont des dépenses d'investissement. Des incertitudes juridiques persistent quant à la capacité des régions à réaliser ce genre de versements. Pourtant, nous pouvons voir que certaines d'entre elles, qui se disaient déjà asphyxiées financièrement par la baisse des dotations de l'État, ont su trouver les ressources nécessaires pour participer à cet élan de générosité. Nous vous proposerons néanmoins, comme en première lecture et comme le Sénat le suggère, de ne pas comptabiliser ces dons dans les dépenses soumises au plafond de 1,2 % d'augmentation que les collectivités doivent dorénavant respecter dans le cadre de la contractualisation.

La meilleure solution pour couvrir les frais de restauration et de conservation de notre patrimoine est l'impôt. La solidarité nationale peut financer un tel dispositif. Nous pourrions, par exemple, envisager un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes et sur les grandes entreprises.

La représentation nationale se doit d'exiger une gestion transparente et transpartisane de ces fonds. Le groupe La France insoumise souhaite que cette souscription nationale ne soit pas placée sous le haut patronage du Président de la République, et que le comité de contrôle des fonds soit composé de deux parlementaires issus de l'opposition de chaque assemblée, et qu'il remette régulièrement des conclusions, publiées sur un site internet, pour que chacun soit informé des évolutions de ses travaux. Nous pourrions aussi, à cette occasion, inscrire dans la loi que le surplus d'argent récolté, si tant est qu'il existe, serve à financer d'autres bâtiments faisant partie de notre patrimoine public et nécessitant des rénovations.

Nombre de nos concitoyens ont manifesté leur désaccord sur les différentes dérogations que le projet de loi prévoit, dérogations aux règles de l'urbanisme, de la protection de l'environnement et même de la participation du public. Le régime d'exception que vous souhaitez introduire dans la loi nous inquiète particulièrement en ce qui concerne la mise en conformité des documents de planification, la délivrance des autorisations de travaux et de construction, les modalités de la participation du public à l'élaboration des décisions et de l'évaluation environnementale, l'archéologie préventive, ainsi que les règles en matière de commande publique, de domanialité publique, de voirie et de transport.

Votre tendance à déroger aux dispositions légales se confirme jusque dans la nomination de la direction de l'établissement public chargé de la reconstruction. Vous persistez à prévoir que les dirigeants de l'établissement ne soient pas soumis aux règles de limite d'âge applicables dans la fonction publique d'État. Au moment où les Françaises et les Français expriment un rejet très net du népotisme et font valoir la nécessité de rendre l'État plus exemplaire, cette proposition, supprimée à raison par le Sénat, vise à garantir que le général Jean-Louis Georgelin puisse prendre la tête de cet établissement et recevoir un traitement à cet effet. Sans préjuger de la qualité de la personnalité dudit général, cela renforce notre idée que ce projet de loi multiplie les exceptions à la loi et à l'éthique, ce qui nous semble contraire à l'intérêt général.

C'est précisément l'intérêt général qui devrait prévaloir. Nous pourrions ici tirer les leçons d'une situation qui nous est certes imposée, mais dont l'éventualité n'était pas exclue : l'incendie de Notre-Dame de Paris n'était pas prévisible, mais il était possible. Nous constatons qu'en l'état actuel des finances du ministère de la culture, l'État n'avait aucune possibilité de réaction. Cela paraît d'une logique implacable quand on se rend compte que, depuis 2009, le budget consacré au patrimoine architectural et aux monuments a été amputé de 25 %, passant de 440 à 332 millions d'euros. L'État se désengage toujours plus des affaires culturelles au profit du mécénat privé, qu'il encourage à grand renfort d'exonérations fiscales, que le contribuable supporte.

C'est la raison pour laquelle nous nous étions opposés au relèvement de 66 à 75 % de la réduction d'impôt sur le revenu pour les dons et versements dans la limite de 1 000 euros. À notre grande surprise, la commission des finances a supprimé l'article 5 qui prévoyait cette mesure fiscale. La commission des affaires culturelles a fait de même, contre l'avis de la rapporteure. Refusant les décisions de circonstance, les mesures d'exception et le désengagement de l'État du soutien aux politiques culturelles au détriment du contribuable, nous souhaitons vivement que cet article ne soit pas rétabli.

Nous le répétons, la culture est la variable d'ajustement des budgets de l'État. Pourtant, elle est un vecteur d'émancipation, donc de liberté. C'est l'antidote absolu contre l'obscurantisme. À une certaine époque, Notre-Dame était l'incarnation d'un temps nouveau qui commençait. Il est fondamental que sa reconstruction se fasse dans un esprit qui respecte les grandes questions qui nous animent aujourd'hui, autant que celles qui ont pu animer les bâtisseurs des temps anciens. Les questions sociales, environnementales, éthiques, démocratiques doivent être au coeur des préoccupations de celles et ceux qui auront la mission de reconstruire ce monument de l'histoire de France.

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