Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

S'ajoute à cela le phénomène amplificateur des algorithmes utilisés par les plateformes pour diffuser des contenus pertinents. La Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – elle-même a estimé dans un rapport que « tout algorithme est [… ] est en un sens biaisé, dans la mesure où il est toujours le reflet [… ] d'un système de valeurs et de choix de société ».

Derrière l'objectivité et la neutralité de ces algorithmes se cachent en réalité les opinions et les intérêts subjectifs de celles et ceux qui les créent et les utilisent. Non, ces algorithmes ne sont pas neutres. Ils ne sont en aucun cas de simples propriétés intellectuelles, puisqu'ils ont un impact direct sur le fonctionnement de notre démocratie, sur le comportement des citoyens. Ainsi, saviez-vous que, une semaine avant les élections européennes, le réseau WhatsApp avait supprimé la liste de diffusion du groupe relié à la formation politique espagnole Podemos ? Cette décision avait été prise sans justification, si ce n'est que ce groupe envoyait des messages trop longs. Or une autre formation politique, le PSOE – le Parti socialiste ouvrier espagnol – , venait de faire la même chose.

En Équateur, Rafael Correa, ancien Président de la République, a vu sa page Facebook tout simplement supprimée. Et, lorsqu'il a demandé l'ouverture d'une autre page, on lui a répondu qu'il était impossible de rouvrir une page fermée en raison du non-respect des conditions d'utilisation de Facebook, lesquelles ne lui avaient jamais été transmises. Il se trouve que M. Correa avait critiqué le refus du Président actuel d'accorder l'asile diplomatique à Julian Assange.

On mesure bien l'influence que ces réseaux peuvent exercer. Cela doit nous conduire à mettre en place un contrôle par les juges et non à donner à ces réseaux des pouvoirs supplémentaires.

Sur le site Spicee, le journaliste Thomas Huchon, qui s'est intéressé à Facebook, a démontré l'existence de procédés consistant à sélectionner des contenus générateurs de réactions afin de favoriser les partages de « likes » ou la création de groupes. L'impact des algorithmes sur la vie politique de notre démocratie est démesuré ; or personne ne les contrôle réellement. Là est le problème de fond.

Si nous critiquons votre dispositif, nous partageons le constat. Nous proposons la création d'une 17e chambre spécialisée dans les affaires numériques, incluant des juges ad hoc sur le modèle des juges financiers et des chambres consacrées aux délits de presse. Pour cette raison, nous nous opposons à votre projet de parquet numérique national, qui serait une instance non indépendante vis-à-vis du pouvoir politique et, disons-le, peu adaptée au traitement des contentieux de masse.

Il faut établir une transparence des algorithmes. Si l'on considère qu'un algorithme est d'intérêt public, sa finalité et ses paramètres, de même que les banques de données qu'il utilise, doivent être connus de tous. Une autorité compétente doit également avoir accès à son code source, tandis que des mécanismes de correction des biais anti-démocratiques doivent être inclus. Pour toutes ces raisons, ce projet de loi n'est pas acceptable en l'état malgré les objectifs légitimes qu'il poursuit. Le pouvoir judiciaire doit rester compétent en la matière, ne pas être sacrifié. Il est le seul garant des libertés fondamentales à tous les niveaux de la lutte contre les contenus illicites. La liberté d'expression ne saurait être régie par des opérateurs privés, par des intérêts économiques. Ne confions pas à Facebook les clés de notre liberté d'expression, ni à Google le soin de dicter nos opinions.

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