Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Grave aveu de faiblesse : vous nous dites finalement que l'État, et sa justice, n'ont ni le temps ni les moyens d'assurer le contrôle de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Vous préférez donc privatiser une partie de la justice pour la confier à des entreprises, dont l'une des plus puissantes du monde, étrangère de surcroît !

Mais vous ne vous arrêtez pas là : vous ordonnez à ces plateformes d'agir en vingt-quatre heures ; vingt-quatre heures pour décider de ce qui relève de la haine ou non. Vous nous dites que c'est simple : quand les propos sont haineux, on les supprime ; quand ils ne le sont pas, on les laisse. Très bien, mais que fait-on pour tous ceux qui se trouvent dans cette zone grise, celle qu'un juge, pourtant familier de ces sujets, a parfois du mal à trancher ? Et si les plateformes ne vont pas assez vite, si elles dépassent le délai imparti de vingt-quatre heures, on leur infligera des sanctions financières magistrales. De quoi inciter à censurer au maximum puisque, en cas de manquement à leurs obligations, les amendes pourront aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial ! Soit, pour Facebook, entre 2 et 3 milliards de dollars – rien que ça – , une amende complètement disproportionnée, pour ne pas dire absurde, et qui laisse planer le doute sur le sérieux de votre proposition de loi et sur la constitutionnalité de cette mesure, notamment.

Ce n'est pas tout. Poursuivant cette mascarade, vous déroulez le tapis rouge au CSA, en lui confiant la tâche « d'émettre des recommandations pour mieux accompagner les opérateurs de plateformes dans l'identification des contenus illicites ». Le CSA, dont chacun sait qu'il n'est pas le moins du monde politisé, toujours à l'abri des pressions et imperméable à l'air du temps… Décidément, cette proposition de loi pourrait même nous faire sourire.

Votre cri de ralliement : « Ce n'est pas une opinion, c'est un délit. » Votre leitmotiv : « La régulation n'est pas la censure. » Vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État. C'est pourtant bien ce chemin que le texte indique. Je vous mets donc en garde une nouvelle fois : attention à la censure au nom des bonnes intentions, attention à la mise à l'index au nom de la tolérance. La liberté d'expression n'est pas seulement l'un des socles sur lesquels se construit une démocratie, elle est aussi, plus profondément, ce qui nous fait hommes, parce que libres. Et, chaque fois qu'un régime la restreint, c'est une blessure qu'il inflige à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pour mieux manquer à son esprit, pour mieux la trahir.

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