Intervention de Isabelle Rauch

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Accord de partenariat entre l'union européenne euratom et l'arménie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Rauch, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

L'accord entre l'Union européenne et l'Arménie inscrit à l'ordre du jour de notre Assemblée est un texte d'une grande importance. En effet, les deux parties ont su trouver un compromis traduisant leur volonté commune de partenariat, tout en tenant compte des contraintes géopolitiques.

Du point de vue européen, cet accord s'inscrit dans ce qu'on appelle la « politique de voisinage », et plus précisément dans sa déclinaison pour les voisins orientaux de l'Union, formalisée en 2009 sous l'appellation de « partenariat oriental ».

Cette politique, orientée vers six anciennes républiques soviétiques, a pour objet de leur proposer l'intégration la plus large possible à l'espace européen, sans pour autant ouvrir de perspectives explicites d'adhésion. Trois partenaires orientaux, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, ont signé des accords de ce type en 2014. Deux autres, la Biélorussie et l'Azerbaïdjan, n'étaient pas intéressés, en raison de leurs choix politiques.

L'Arménie était donc la dernière de ces six anciennes républiques soviétiques à ne pas avoir signé d'accord de partenariat avec l'Union européenne.

Or, par son tropisme vers les valeurs européennes, ce pays occupe une place d'acteur déterminant de la politique de voisinage. Une diaspora d'origine arménienne très nombreuse vit dans les pays occidentaux, notamment aux États-Unis et en France, ce qui crée des liens très intenses avec l'Occident. Près d'un quart du commerce extérieur a lieu avec l'Union européenne. Enfin, le peuple arménien a fait preuve l'année dernière de son attachement aux valeurs démocratiques lors de ce que l'on a appelé la « révolution de velours » en avril 2018.

Volontairement tournée vers l'Europe, l'Arménie souhaite toutefois conserver une alliance stratégique très étroite avec la Russie, conformément à ses intérêts vitaux. La politique étrangère arménienne reste en effet déterminée par les conséquences du conflit du Haut-Karabagh. Ce conflit a été l'un des plus terribles de la fin de l'URSS, puisqu'il a causé 30 000 morts et l'exil forcé de 1,2 million de personnes. Il est apaisé depuis le cessez-le-feu de 1994, mais n'a jamais été formellement résolu sur le plan politique.

Actuellement, le climat est à l'apaisement, voire à la négociation, notamment grâce à l'activité du groupe de Minsk. Par conséquent, l'Arménie peut difficilement se passer d'une réassurance stratégique de la Russie.

Lorsque la Russie a formé l'Union économique eurasiatique en 2015, en y invitant ses alliés parmi les anciennes républiques soviétiques, l'Arménie a naturellement décidé d'en faire partie. Il s'agit d'une union douanière, de sorte que ses membres lui transfèrent leur souveraineté en matière commerciale. Dans ces conditions, l'Arménie ne pouvait pas signer avec l'Union européenne un accord d'association comprenant un volet de libre-échange. C'est pourquoi elle a interrompu les négociations engagées en ce sens depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, l'Union européenne et l'Arménie ont cherché à partir de 2015 une solution alternative et négocié l'accord que nous examinons aujourd'hui, signé en 2017. Ce texte « sur mesure » est large, ambitieux, juridiquement contraignant, mais ne prend pas la forme d'un accord d'association. Il institue un partenariat dit « global et renforcé ».

Avec près de 400 articles, 12 annexes, 2 protocoles et une déclaration commune, ce texte est un document très touffu, très complet, traitant de nombreux sujets. La largeur du champ d'intervention explique d'ailleurs qu'il s'agisse d'un « accord mixte », dépassant les compétences propres de l'Union européenne, et à ce titre soumis à la ratification de chacun des États-membres de l'Union, même si l'essentiel de ces dispositions est déjà entré en vigueur à titre provisoire.

De nombreuses clauses sont des dispositions génériques, présentes dans la plupart des accords de l'Union, et à la portée juridique plus ou moins grande. Elles rappellent notamment l'adhésion des parties signataires à de grands principes communs tels que la démocratie, les droits de l'homme, le multilatéralisme, le développement durable, etc. , ou prévoient qu'elles coopéreront dans de nombreux domaines.

Parmi les champs de coopération, il est notamment question de l'énergie nucléaire. D'un point de vue formel, c'est pour cette raison que l'accord est également passé au nom de la Communauté européenne de l'énergie atomique – Euratom – , puisque cette organisation reste juridiquement distincte de l'Union européenne et doit donc être partie aux traités qui concernent ses compétences.

Au-delà de la question formelle, cette mention de l'énergie atomique représente un enjeu particulier dans le cas de l'Arménie. Le pays continue en effet à exploiter la centrale nucléaire de Medzamor, située à 30 kilomètres de sa capitale, au coeur de sa seule grande plaine agricole, et à 16 kilomètres de la Turquie. Son exploitation avait été interrompue suite à la catastrophe de Tchernobyl et au terrible séisme qui a ravagé le nord de l'Arménie en 1988, mais a été reprise en 1995 alors que le pays faisait face à une situation économique très difficile et au blocus de deux de ses voisins. Medzamor fournit plus de 40 % de l'électricité arménienne ; on comprend son caractère stratégique.

Déjà, en 1999, le plan d'action accompagnant le précédent accord de partenariat entre l'Union européenne et l'Arménie prévoyait le développement d'énergies alternatives pour aboutir à une fermeture définitive de la centrale. Une aide compensatoire de 100 millions d'euros avait été proposée. Mais rien n'a été fait.

L'article 42 du présent accord prévoit donc une coopération dans le domaine énergétique qui enveloppe explicitement la sûreté nucléaire. Il est stipulé que cette coopération recouvre non seulement des mesures d'échanges de bonnes pratiques et de formation, mais aussi « la fermeture et le déclassement sécurisé de la centrale nucléaire de Medzamor et l'adoption rapide d'une feuille de route ou d'un plan d'action à cet effet, compte tenu de la nécessité de remplacer cette centrale par de nouvelles capacités ». Il y a donc une forme d'engagement à la fermeture de la centrale, mais conditionné au développement de capacités électriques alternatives.

S'agissant des mesures dans le domaine commercial et économique, comme je l'ai dit, l'appartenance de l'Arménie à l'Union économique eurasiatique interdit tout engagement spécifique en matière de droits de douane. L'accord rappelle donc seulement les engagements relatifs à l'OMC.

Cependant, l'accord comprend des engagements nouveaux de l'Arménie dans certains domaines dits non tarifaires. Par exemple, l'Arménie s'engage à mettre en conformité sa législation avec celle de l'Union européenne, au terme de délais variables, en matière de marchés publics, avec les exigences que cela induit, ou encore concernant la réglementation de plusieurs secteurs de services, tels que les services informatiques, la communication électronique, les services postaux, les services financiers, les transports et le commerce électronique.

Il faut enfin dire un mot d'une question qui intéresse spécialement notre pays. L'Union européenne a demandé à l'Arménie, comme elle le fait avec ses autres partenaires, de respecter et protéger ses indications géographiques.

C'est pourquoi l'article 237 de l'accord prévoit le renoncement de l'Arménie aux appellations litigieuses, au terme d'une période de transition, courte pour le champagne, plus longue pour le cognac, puisqu'elle est de treize ans pour la vente en interne et même de vingt-quatre ans pour l'export, sous réserve que les étiquettes ne soient pas libellées en caractères latins et ne puissent induire en erreur le consommateur sur la véritable nature de ces boissons. Je rappelle que l'enjeu principal est le marché russe.

En contrepartie, l'Union européenne s'engage dans l'accord à fournir à l'Arménie une aide technique et financière en vue de la création d'une nouvelle dénomination alternative à celle de « cognac » et d'actions de promotion et de commercialisation visant à éviter les désagréments en termes de compétitivité. Cette question est suivie attentivement pas nos administrations.

Je voudrais enfin évoquer un point sur lequel l'accord ne comprend pas d'engagements nouveaux et contraignants, mais qui est sensible : les conditions de circulation des hommes et des femmes entre l'Arménie et l'Union européenne. L'Arménie, comme les autres pays du voisinage de l'Union européenne, souhaite parvenir le plus vite possible à une suppression de l'obligation de visa à l'entrée de ses citoyens dans l'espace Schengen, pour les séjours de moins de trois mois – les Moldaves bénéficiant déjà de cette exemption depuis 2014, les Géorgiens et les Ukrainiens depuis 2017.

Cependant, il faut savoir qu'avec tous les pays et pas seulement l'Arménie, cette question délicate est traitée à part des grands accords de portée générale. Avec tous, l'Union a organisé un dialogue spécifique, comprenant des phases successives et des vérifications du respect des engagements pris, afin de maîtriser les risques sécuritaires et migratoires. Il doit en être de même avec l'Arménie. C'est pourquoi l'accord rappelle, dans son préambule, que « le renforcement de la mobilité des citoyens [… ] dans un environnement sûr et bien géré reste un objectif essentiel », mais renvoie la question des visas à un dialogue qui sera ouvert « en temps voulu », « pour autant que les conditions [… ] soient réunies ». Il n'y a donc pas d'engagement nouveau.

À ce jour, neuf États membres ont ratifié l'accord que nous examinons aujourd'hui – ou plutôt dix États membres, si nous comptons le Royaume-Uni qui devrait bientôt quitter l'Union européenne.

Il est dans l'intérêt de la France et de l'Arménie que nous ratifiions rapidement cet accord. Nous entretenons en effet une relation particulière avec la république arménienne, qui ne tient pas uniquement à des enjeux économiques – restant relativement limités – , mais aussi à la force des liens humains et affectifs tissés entre nos deux pays. Un demi-million de nos compatriotes ont une origine arménienne plus ou moins lointaine. Ils enrichissent la France et sa culture, à l'image de la personnalité symbolique de Charles Aznavour. La France est le pays qui accueille la communauté d'origine arménienne la plus nombreuse en Europe, en dehors de la Russie. Par ailleurs, 20 000 Arméniens au sens strict, c'est-à-dire citoyens de la république d'Arménie, résident ou séjournent durablement sur notre sol.

De multiples coopérations bilatérales lient nos pays, et notamment de nombreuses coopérations décentralisées. Nos relations politiques sont excellentes, et les rencontres sont fréquentes au plus haut niveau des deux exécutifs.

Chacun sait avec quelle vigueur notre assemblée a débattu de la reconnaissance du génocide de 1915, et du négationnisme dont il a pu faire l'objet. Conformément à l'engagement du Président de la République, ce génocide a été commémoré le 24 avril dernier. Le Premier ministre a prononcé à cette occasion un très juste et beau discours.

Si la plupart des dispositions de cet accord sont déjà entrées en vigueur à titre provisoire – comme il est généralement procédé pour les accords européens – , ce n'est pas le cas de tous ses articles, notamment de celui qui traite de la sûreté nucléaire. Ces articles ne s'appliqueront que lorsque tous les États membres auront ratifié le texte.

La France doit donc rapidement manifester son approbation à l'égard de cet accord qui renouvelle les relations entre l'Union européenne et l'Arménie. Je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi, qui a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires étrangères.

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