Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Protocole france-djibouti sur les compétences de la prévôté à djibouti — Motion d'ajournement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Or l'un des témoins, ou complices, de cette affaire se cacherait à Djibouti. Cet individu, c'est Wahib Nacer. Banquier et ancien responsable de la banque de gestion privée Indosuez-Crédit Agricole à Genève, il s'est réfugié à Djibouti depuis 2017 après que son nom est apparu dans l'affaire Sarkozy-Kadhafi. Il aurait en effet eu un rôle dans la vente d'une villa à Mougins achetée à un prix anormalement élevé par les autorités libyennes pour le compte d'Alexandre Djhouri, qui aurait bénéficié de ce généreux montant pour le compte de Nicolas Sarkozy. Tout cela est au conditionnel.

Les autorités djiboutiennes seraient-elles en train de monnayer l'interrogation de M. Wahib Nacer par le juge Tournaire en échange du renvoi de M. Kadamy à Djibouti ? La question mérite d'être posée. La France essaierait-elle de racheter un peu de son influence auprès d'Ismaïl Omar Guelleh au prix du renvoi de M. Kadamy vers Djibouti et vers une mort probable ? Car Mohamed Kadamy connaît trop bien la nature de ce régime. Dès 1968, il a participé à Djibouti aux manifestations lycéennes et a été mis en prison pour cela. Alors que M. Kadamy était depuis peu réfugié politique en France, le régime djiboutien a demandé plusieurs fois son extradition – en 1979 et en 1995 – , sans succès.

C'est l'Éthiopie qui livre finalement, en 1997, M. Kadamy à Djibouti, juste avant que cette dernière lui offre un accès maritime. Coïncidence ? Mohamed Kadamy s'est alors retrouvé enfermé dans la prison de Gabode, subissant mauvais traitements et tortures avec plusieurs autres dirigeants du FRUD et avec sa femme enceinte, qui ne sera libérée que quelques jours avant son accouchement. Bien qu'elle concerne une personne à qui elle a donné l'asile politique, la France restera muette sur cette affaire. Le traitement des prisonniers politiques à Djibouti constitue d'ailleurs toujours un grave problème, renforçant l'inquiétude éprouvée par les soutiens de Mohamed Kadamy à l'idée qu'il soit extradé.

Le 2 août 2017, c'est Mohamed Ahmed, dit Jabha, un autre opposant politique à Ismaïl Omar Guelleh, qui est mort en prison. Accusé d'être un agent érythréen, il a été placé en détention provisoire en 2010 pendant sept ans, puis a été condamné à quinze ans de prison ferme. Malgré les très nombreuses alertes de son avocat, son état de santé n'a jamais été pris en considération lors de sa détention. Il en est mort.

Chers collègues, la présente motion a pour objet de vous demander l'ajournement de ce projet de loi. J'ai tenté de vous démontrer en quoi la politique du dictateur Guelleh découlait de la position stratégique de l'État qu'il dirige, et de vous montrer sa capacité à jouer avec les instabilités géopolitiques de la région. Autocrate protégé par les puissants, cet homme n'exerce aucunement son pouvoir de manière démocratique ni républicaine.

Les députés communistes vous alertent sur le soutien inconditionnel donné par notre pays à certains hommes peu fréquentables dans le seul but de maintenir sa position géostratégique. De même, au Tchad, la France utilise des arguments de realpolitik pour conserver une capacité de projection militaire. Mais réfléchissons bien : ce sont des peuples entiers qui souffrent, qui sont mis à l'écart, qui restent dans la pauvreté, l'ignorance, l'absence de soins et d'emploi au nom de nos tout petits privilèges de grandes puissances. Gardons des casernes et notre prévôté à Djibouti, mais de grâce, ne protégeons pas les dictateurs qui les accueillent. Et je sais que tous ensemble nous ferons en sorte que jamais on n'extrade Mohamed Kadamy de France.

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