Intervention de Pierre-Henri Dumont

Séance en hémicycle du mercredi 17 juillet 2019 à 15h00
Accords entre l'union européenne et le canada — Motion d'ajournement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont :

C'est d'autant plus urgent, dans la balance de cet accord de libre-échange, que vous mettez – une première dans ce type de traité – un contingent de produits sucrés, 30 000 tonnes, sans en préciser la provenance. Vous créez ainsi un dangereux précédent, qui, s'il est démultiplié demain dans les autres accords de libre-échange, mettra en péril les filières françaises du sucre, qu'elles se trouvent dans le nord de la France pour la betterave, ou en outre-mer pour la canne à sucre. Cela n'est pas tolérable pour une filière déjà lourdement déstabilisée par le Brexit.

Nos agriculteurs n'ont pas besoin d'accords de libre-échange pour exporter leurs productions : ils le faisaient avant, ils le feront après, et le marché européen leur offre déjà des perspectives immenses, dans un marché où les normes sont les mêmes pour tous.

Le libre-échange conduit à l'hyperspécialisation des productions de chaque pays, de chaque continent. Signature d'accords de libre-échange après signature d'accords de libre-échange, l'agriculture française perd des parts de marché. Désormais, en Europe, l'Allemagne et les Pays-Bas détiennent des parts de marché supérieures à la France sur les marchés mondiaux dans le domaine agricole. En ce qui concerne la balance commerciale, notre excédent agricole n'existe que grâce aux vins et spiritueux. Sans cette filière, le déficit commercial agricole de la France aurait dépassé 6 milliards d'euros en 2017.

Ne vous y trompez pas : cette tendance est structurelle. Entre 2011 et 2017, l'excédent agricole français a été divisé par deux. À ce rythme de décroissance, la France connaîtra son premier déficit agricole en 2023. En permettant de doubler l'importation des matières agricoles, le CETA impose une double peine : nuire à deux filières bénéficiaires nettes, les sucres et les bovins, et aggraver le déséquilibre de la balance commerciale agricole. Ainsi, depuis 2000, les importations ont presque doublé en France alors que les exportations n'augmentaient que de 50 %.

L'alimentation, c'est l'énergie de demain. Sur une planète où la démographie explose – le nombre d'habitants approche 8 milliards d'individus et atteindra 10 milliards demain – , la question de l'alimentation est essentielle. Les pays qui peuvent exporter parce que leur production agricole suffit à nourrir leur population acquerront une nouvelle puissance à l'échelle mondiale et pourront imposer leurs lois, leurs règles, leurs normes, aux pays demandeurs.

La balance commerciale agricole de la France sera déficitaire demain – elle l'est déjà. L'autosuffisance agricole doit devenir une priorité nationale absolue. Malheureusement, en sacrifiant nos différentes filières, accord de libre-échange après accord de libre-échange, secteur après secteur, vous créez les conditions d'une dépendance alimentaire. « Pitié pour la nation dont les habitants mangent un pain dont ils n'ont pas récolté le grain », écrivait le poète libanais Gibran Khalil Gibran. Nous connaissons les conséquences : les agriculteurs français continueront de proposer des aliments de qualité mais qui ne seront accessibles qu'à une certaine élite – et je ne parle pas des homards, fussent-ils canadiens… Pendant ce temps, les classes populaires devront se contenter de consommer ce que leur portefeuille leur permet d'acheter : aujourd'hui du boeuf nourri aux farines animales canadiennes, demain du boeuf OGM dopé aux hormones de croissance ou des kebabs, comme le suggérait le porte-parole du Gouvernement.

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