Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Nous sommes, là encore, au coeur des questions éthiques. Vous proposez une expérimentation, ce qui implique que l'on cherche un résultat. En réalité, vous disposez déjà de nombreux arguments pour proposer d'ores et déjà le DPI-A. Votre proposition peut donc se résumer ainsi : rechercher les aneuploïdies, c'est-à-dire essentiellement les trisomies, mais pas seulement, car elle porterait également sur celles qui provoquent des fausses couches chez des femmes chez qui l'on mène un diagnostic préimplantatoire en raison d'une maladie génétique. Tel est le sens de votre amendement.

S'agissant de la partie portant sur la recherche d'anomalies chromosomiques qui aboutirait à des fausses couches, le rapporteur l'a dit : nous n'avons aucune certitude sur celles qui provoquent réellement des fausses couches. En tout état de cause, un projet de recherche national va répondre à cette question. Même s'il existe en la matière des suspicions, la sécurité n'est pas garantie.

En recherchant des anomalies chromosomiques, on va donc découvrir des trisomies 21, mais également des trisomies 18 et des trisomies 13. L'argument est d'éviter à des familles ayant déjà un enfant souffrant d'une maladie génétique de courir un risque d'anomalie génétique supplémentaire.

C'est sur ce point que nous touchons à une question d'éthique, car nous n'avons pas besoin d'une expérimentation pour répondre à cette question : nous savons en effet que la technique est opérationnelle. Nous savons que si un DPI est en cours, il n'est pas très compliqué de mener une recherche de trisomie 21. Dans ce cas, on aboutira effectivement à un tri d'embryons. Ce tri s'effectuera en fonction du critère suivant : l'élimination d'une pathologie qui n'est pas la pathologie initialement recherchée et pour laquelle le DPI avait initialement été proposé. On va donc éliminer des embryons porteurs, notamment, de trisomie.

Le mot expérimentation ne me convient pas, car en réalité vos arguments montrent que nous avons déjà la réponse : nous savons en effet que nous sommes capables d'éliminer les embryons porteurs de la trisomie 21 en plus de la maladie génétique recherchée. Dans ce cas, le mot expérimentation signifie que l'on contourne, quelque part, la loi pour aller au-delà. En fait, vous voulez ouvrir le DPI-A.

Ce point mérite discussion, et le législateur doit faire son travail. Je ne suis d'ailleurs même pas certaine d'ailleurs qu'une telle décision puisse relever uniquement d'un gouvernement.

Nous nous trouvons en l'espèce face à des familles qui vivent des drames et qui accompagnent des enfants souffrant parfois de très graves handicaps. À l'échelon individuel, pour les équipes, pour les soignants, pour les gynécologues-obstétriciens et pour les généticiens, il est tellement simple de dire qu'on ne leur rajoutera pas ainsi le risque d'avoir un autre enfant souffrant d'une pathologie.

C'est à ce stade que je ne suis pas à l'aise, car une telle évolution signifie qu'à l'échelon collectif, on dit à la société que l'on est effectivement d'accord pour éliminer, en le sachant, un certain nombre de pathologies, essentiellement celles que l'on sait trouver le plus facilement, c'est-à-dire les trisomies. Mais, à la limite, pourquoi s'en tenir à celles-ci ? Pourquoi ne pas dire à ces parents que, dans la mesure où il existe d'autres maladies génétiques graves, on peut également procéder à d'autres recherches ? Pourquoi les laisser avoir un enfant atteint, par exemple, d'une amyotrophie spinale ? Nous allons mettre la main dans un engrenage : si on autorise le dépistage des trisomies parce qu'il est simple, qu'est-ce qui nous empêchera de subir une pression visant à aller chercher par la même occasion d'autres gènes de pathologie ?

Une telle décision est lourde à l'échelon collectif. Je suis par conséquent très mal à l'aise, même si je comprends bien entendu le drame vécu par les familles, comme l'avis des équipes qui les suivent. Mais quel message allons-nous ainsi envoyer à la population ? Aujourd'hui, la trisomie fait l'objet d'un diagnostic prénatal, ce qui signifie que ces familles bénéficieront de toute façon de la recherche de la trisomie 21 dans ce cadre. Il est vrai cependant, vous avez raison, que le processus est plus lourd car il oblige à un avortement. Elles pourront également bénéficier bientôt d'un diagnostic de trisomie 13 et de trisomie 18, puisqu'il va être inclus dans le DPN. Décider collectivement de l'ouvrir dans le cadre des examens préimplantatoires est d'une nature différente.

Je vous livre la difficulté que me pose cette proposition, qui mérite d'être discutée.

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