Intervention de Pascal Brindeau

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau :

Nous sommes appelés à débattre d'un projet de loi par essence complexe à appréhender, d'une part parce que les dispositions législatives, en matière de bioéthique, peuvent être extrêmement techniques et diverses, et d'autre part parce qu'il engage la conviction intime de chacun d'entre nous en matière de conception du monde.

Débattre de bioéthique ne peut se réduire à être pour ou contre telle ou telle mesure, mais impose bel et bien d'apprécier la cohérence des dispositions proposées avec la conception française de la bioéthique, ainsi qu'avec les lois qui la régissent depuis le début des années 1990.

Débattre de bioéthique ne peut se réduire à une opposition entre libéraux et conservateurs, entre progressistes et obscurantistes. Toutes les opinions, sur les différents points abordés par le texte, ont leur valeur, leur légitimité, leur respectabilité. Les débats méritent donc d'être sereins et non réducteurs, même si, chacun en conviendra, les points de vue sont assez irréconciliables.

Légiférer sur la bioéthique en 2019, c'est avoir à l'esprit les équilibres que les précédentes lois en la matière se sont attachées à créer, les adapter éventuellement, mais pas nécessairement, aux progrès réalisés par la recherche ainsi qu'aux attentes nouvelles de la société, et avoir à l'esprit les incidences des choix présents sur l'avenir.

Dans ce domaine si particulier plus encore que pour toutes les matières sur lesquelles nous légiférons, la maxime de Montesquieu selon laquelle il ne faudrait toucher aux lois que d'une main tremblante prend toute sa force.

Si l'avis que nous devons donner est complexe à élaborer, nous pouvons en revanche affirmer qu'il le sera avec l'éclairage de nombreux débats : voici plus d'un an que la révision des lois de bioéthiques fait l'objet d'un processus essentiel de consultations, d'avis et de tables rondes, engagé avec les états généraux de la bioéthique. Aucun acteur du débat public ne peut prétendre refléter à lui seul les attentes profondes et souvent contradictoires de la société, mais tous les acteurs ont apporté des éléments de connaissance des enjeux et d'éclairage des décisions que nous serons amenés à prendre.

Je salue également le travail réalisé par la commission spéciale, et remercie sa présidente pour l'organisation des nombreuses auditions réalisées à la fin du mois d'août, qui sont en quelque sorte l'aboutissement du travail engagé en 2018.

La première grande question à laquelle nous devons répondre, s'agissant des différents thèmes abordés dans le présent projet de loi, est au fond la suivante : les nouvelles dispositions du projet de loi garantissent-elles ou non l'équilibre des valeurs fondatrices de la bioéthique à la française, qui sont la dignité, le respect de la personne, l'indisponibilité du corps humain, la solidarité et la non-marchandisation ?

La seconde question consiste à savoir si le rôle de la loi est d'autoriser tout ce que le progrès de la science et ses applications pratiques en matière médicale permettent. Autrement dit, les lois bioéthiques qui se succèdent et continueront de se succéder au gré de leurs révisions doivent-elle exclusivement consister à valider les progrès réalisés ?

Nous pensons là aux progrès constants en matière de recherche cellulaire et de génomique, ainsi qu'à l'intervention massive à venir de l'intelligence artificielle. En somme, la loi peut-elle et doit-elle faire frontière technologique ? Autrement dit, le souhaitable est-il ou non le possible ?

La troisième question est celle de la frontière physique. La mondialisation, nous le savons bien, rend possible le recours à telle technologie ou technique. Cela est vrai dans le domaine de la procréation : des citoyens français ont recours, à l'étranger, aux techniques de la gestation pour autrui, pourtant interdite en France, et d'autres à des tests génétiques dits récréatifs, également prohibés ici. En conséquence, la loi peut-elle et doit-elle faire frontière si les techniques et les technologies pratiquées et accessibles à l'étranger heurtent nos principes éthiques ?

C'est à la lumière de ces trois questionnements fondamentaux que les députés du groupe UDI et indépendants ont apprécié le projet de loi. Les réponses sont diverses, personnelles ; toutefois, une majorité d'entre nous sera amenée à rejeter le texte.

En effet, nous considérons que celui-ci, sur certains aspects, comporte des risques importants d'effet domino. Plus qu'une adaptation du droit, certaines dispositions constituent en réalité un basculement philosophique et anthropologique irréversible, que nous rejetons.

Sans passer en revue avec exhaustivité, à ce stade du débat, les champs couverts par le projet de loi, j'aimerais expliciter, en développant quelques points, le malaise qu'il suscite.

Sur l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, la première interrogation qui nous est venue à l'esprit est de savoir pourquoi ces dispositions ont été intégrées au projet de loi portant révision des lois de bioéthique, dans la mesure où les questions soulevées par cette extension relèvent d'abord et avant tout du droit de la filiation.

Cette remarque préalable étant formulée, je tiens à dire que de nombreux collègues sont très réservés sur cette disposition, et qu'une majorité d'entre nous, dont je suis, y sont in fine opposés.

En effet, il ne s'agit pas de la création d'un droit nouveau, ni du prolongement naturel du mariage pour tous, mais bien de la transformation d'une technique médicale en un instrument de confort social, laquelle porte en elle un renversement de valeurs aux conséquences abyssales, notamment en matière de filiation.

Désormais, la volonté et elle seule sera la règle, et non l'exception, en matière de filiation. Quoi que l'on puisse en dire, en l'état actuel de la science, la réalité biologique – soit le fait qu'un enfant naît d'un homme et d'une femme, quel que soit le lien entre les deux personnes – demeure la règle de l'immense majorité des liens de filiation.

L'exception, soit l'adoption d'une part et la PMA avec tiers donneur d'autre part, ne remet pas en cause la vraisemblance biologique, ou à tout le moins le fait que l'enfant est né d'un homme et d'une femme. Au demeurant, nous regrettons que ni une réflexion ni une réforme du droit de l'adoption ne soient envisagées, alors que les personnes souhaitant adopter de même que les enfants nés en France susceptibles d'être adoptés sont traités de façon dramatique.

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