Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 3 octobre 2019 à 9h00
Coopération et intégration franco-allemandes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Manifestement, la vérité irrite certains collègues. C'est dommage.

Notre doctrine est celle de la souveraineté populaire, car il n'est de souveraineté que celle qui s'exprime par le peuple, ses institutions et ses représentants.

Conclu selon une méthode inacceptable, ce traité comporte en outre des dispositions toxiques et dangereuses. Il entérine l'idée d'un duo de tête, d'un couple exclusif qui décide de tout et pour tout le monde, celui de la France et de l'Allemagne.

Nous soutenons bien évidemment l'amitié franco-allemande et le principe de fraternité entre les peuples, qui est au coeur de notre tradition politique. Nous l'avons toujours dit, mais il est nécessaire de le rappeler pour prévenir les caricatures faciles et les fantasmes décalés. Dans les faits, voilà ce qui nous est insupportable : ce condominium franco-allemand va à l'encontre de l'idée même de construction européenne.

Ce traité prévoit ainsi que la France et l'Allemagne élaboreront des « positions communes » et conviendront de « prises de paroles coordonnées » dans les institutions européennes. C'est envoyer un message terrible à nos partenaires européens, notamment aux pays du Sud, qui ont toute notre sympathie. La décision est duale, mais son application est collective et obligatoire.

Dans une telle perspective, comment convaincre ? Comment les vingt-six autres États membres et leurs peuples peuvent-ils décemment l'accepter ? Pourquoi ne pas avoir signé de traité à la suite du sommet organisé à Rome le 10 février 2018 entre la France, l'Italie, le Portugal et la Grèce ?

Ce suivisme aveugle de la locomotive allemande n'a pas de sens ou n'en a qu'un seul : se ranger et se taire pour mieux se plier aux décisions contraires aux intérêts des peuples. C'est chose faite, puisque notre pays fut mis en minorité lors de l'adoption du renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour cinq années supplémentaires et que Mme Merkel refusa catégoriquement le projet alambiqué – disons-le – du Président Macron d'établir un « budget de la zone euro ».

Profitons de l'occasion pour rappeler le danger qui plane sur l'Allemagne et, par là même, sur l'Europe entière. En septembre, l'extrême droite est arrivée en deuxième position aux élections régionales, derrière le parti de Mme Merkel. Ne nous voilons pas la face quant aux raisons d'un tel résultat : l'Allemagne mène une politique de régression, revenant sur les droits sociaux conquis de haute lutte pendant des générations.

Nous nous refusons à suivre un modèle économique fondé sur les « mini-jobs », ces emplois à temps partiels précaires plafonnés à 450 euros, sans cotisation sociale ni retraite ! Ce même modèle, au coeur de la politique économique de l'Union européenne, est responsable de 87 millions de pauvres, sans parler des millions de chômeurs. Ce traité pérenniserait donc un rapport de force défavorable à la France. L'un des outils de cette convergence serait la création d'un « conseil économique franco-allemand », tourné vers la « compétitivité », chargé de formuler des recommandations à notre pays, nos propres conseils étant bien évidemment incapables de s'y atteler.

La caution sociale et environnementale affichée dans ce traité est, quant à elle, bien hypocrite. On s'efforce de concilier l'inconciliable : le traité prône la protection du climat et de la biodiversité tout en réaffirmant l'engagement « en faveur d'un marché mondial ouvert ». Nous tenons au contraire à réaffirmer notre doctrine d'un protectionnisme solidaire, seul à même de mettre un terme aux effets nocifs du libre-échange, dont nous ne cessons de constater les dérives. Des pesticides du CETA – accord économique et commerciale global entre l'Union européenne et le Canada – jusqu'aux accords de pêche qui déstabilisent des régions entières, la preuve de la défaillance de ce modèle économique n'est plus à apporter.

Nous ne voulons pas de cette convergence par le bas entre les économies et les modèles sociaux de la France et de l'Allemagne. Non content de mettre les nations en concurrence, cette politique monte les habitants les uns contre les autres au sein de chacune d'elle. L'environnement idéologique en Europe et la montée des nationalismes en Autriche, en Hongrie, en Pologne doivent nous inciter à la vigilance.

Ce traité vise de nouveau à un rattachement plus fort à l'OTAN et à l'Europe de la défense. Lors de la négociation du traité de l'Élysée avec l'Allemagne, faut-il le rappeler, le général de Gaulle avait bataillé pour protéger notre souveraineté en excluant toute référence à l'Alliance atlantique. Le vote de la loi de programmation militaire, qui soumet notre pays à l'objectif des États-Unis de consacrer 2 % du PIB à la défense en 2022, ne suffisait-il pas ?

Pour notre part, nous nous rangeons du côté de l'indépendantisme français. Il nous semble inacceptable que, sous le prétexte d'une « coopération plus étroite » entre nos industries de défense, des technologies françaises soient transférées à l'Allemagne. Ce pays, censé être notre partenaire en la matière, préfère le matériel israélien à l'hélicoptère Tigre européen. Le constat est le même dans le secteur spatial : le gouvernement allemand n'accorde aucune priorité aux tirs spatiaux de la fusée commune. Vous faut-il des preuves supplémentaires du fantasme d'une coopération censée être réciproque ? Sans oublier que la course aux armements à laquelle conduit l'Europe de la défense accentue les tensions avec notre partenaire russe, plus qu'elle ne les apaise.

En mars dernier, la question du siège permanent au Conseil de sécurité avait agité nos discussions. Nous nous félicitons que cette question ait été clarifiée. Néanmoins, il est prévu que nous plaidions en faveur de l'admission de l'Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Pourquoi ce pays et pas un autre ? Cette décision unilatérale n'est pas pourtant pas dénuée d'intérêts : ses conséquences pour nos positions politiques, diplomatiques et de défense sont réelles. Ne serait-il pas plus cohérent de faire entrer au Conseil un pays d'Amérique du Sud – ce continent n'y est pas représenté – ou encore l'Inde, où vit un septième de la population mondiale ? Ces questions sont tranchées sans nous, ni personne d'autre, alors qu'elles gagneraient à être débattues.

Venons-en au chapitre 4 du traité. La création de droits particuliers pour les régions frontalières porte une terrible atteinte aux principes d'unité, d'égalité et d'indivisibilité de la loi, pierres angulaires de notre République. En vertu de l'article 13 du traité, les collectivités territoriales frontalières pourraient devenir des zones franches dotées de « compétences appropriées » et de « ressources dédiées ».

Nous avons nos propres collectivités à statut particulier. Si nous voulons en créer d'autres, nous le déciderons nous-mêmes. L'Allemagne a son propre système : les Länder. Notre organisation territoriale est différente, et nous commettrions une grave erreur si nous remettions en cause la construction historique à l'origine de notre système.

En définitive, ce traité opère un recul qui affaiblira durablement notre pays, en entamant sa souveraineté et en foulant aux pieds les exigences sociales et environnementales plus que jamais nécessaires à notre époque.

Pour toutes ces raisons, nous exprimons notre désaccord complet avec ce traité. Nous vous invitons à y réfléchir, mes chers collègues, car vous aurez sans doute à répondre de ses conséquences.

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