Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mercredi 9 octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Seconde délibération

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Deuxième raison pour laquelle je m'y oppose, ces dispositions ouvrent une voie de détournement de la procédure d'adoption. M. Touraine évoque, dans son amendement, la « régularité internationale » des jugements. Telle est précisément ma préoccupation.

En effet, nous avons signé des engagements internationaux en matière d'adoption dont le principal objectif – qui est également un objectif de valeur constitutionnelle – est la protection des enfants. Je pense notamment à la convention de La Haye de 1993, ratifiée par notre pays, qui permet d'éviter les trafics d'enfants. Ces conventions internationales, dont la France est partie, garantissent l'effectivité des contrôles et des vérifications qui sont opérés par les autorités centrales du pays de l'adoptant, donc de l'adopté.

Ce qui fonde la nécessité d'un tel contrôle, celui du juge français en l'occurrence dans la procédure d'adoption, c'est l'intérêt de l'enfant. La prise en compte de celui-ci permet au juge de contrôler tant la rupture du lien entre l'enfant et la mère biologique que l'établissement du lien avec la famille qui veut l'accueillir. Or l'amendement de Jean-Louis Touraine interdit tout contrôle par le juge français autre qu'un contrôle formel sur le jugement étranger. Compte tenu de la rédaction proposée, on peut tout imaginer, par exemple des jugements de complaisance rendus dans certains pays qui seraient ipso facto intégrés directement dans le droit français. Je ne peux pas l'accepter.

Enfin, dernière raison pour laquelle je m'y oppose, ces dispositions entrent en contradiction avec nos principes éthiques et juridiques qui interdisent la GPA. En effet, elles autorisent la reconnaissance de plein droit d'une filiation d'un enfant né d'une GPA dès lors que celle-ci aurait fait l'objet d'un encadrement juridique garanti par un jugement, encadrement dès lors supposé acceptable par l'auteur de l'amendement. On voit bien là le glissement qui pourrait s'opérer et qui nous mettrait en contradiction avec nos principes éthiques constamment réaffirmés dans notre droit de la filiation et de la bioéthique.

On le voit bien, le fait de distinguer, dans la loi, une GPA qui serait considérée comme acceptable, parce que découlant d'un jugement, et une autre qui ne le serait pas, faute de jugement, fait peser des risques juridiques et ouvre une brèche dans la prohibition absolue de la GPA que nous avons posée.

Je pense que le droit français en vigueur apporte les garanties nécessaires alors que l'amendement introduit une forme de confusion juridique et politique sur un sujet qui mérite la plus grande clarté.

Je le répète devant vous, l'arrêt Mennesson rendu par la Cour de cassation le 4 octobre dernier, qui tranche un cas d'espèce, réaffirme la conformité du droit français aux dispositions de la convention européenne des droits de l'homme. Dans notre système actuel, à l'égard du parent biologique, la filiation est directement établie par la retranscription de l'acte d'état civil ; en revanche, à l'égard du parent d'intention, la filiation doit être établie, en principe, par l'adoption. La Cour de cassation le précise très clairement dans son communiqué : « le lien avec la mère d'intention doit être établi en privilégiant un mode de reconnaissance qui permette au juge français de contrôler la validité de l'acte ou du jugement étranger et d'examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l'enfant. L'adoption répond le mieux à ces exigences. »

Cinquième et dernier point, j'attendais l'arrêt de la Cour de cassation pour que le droit soit pleinement stabilisé. C'est désormais le cas. Compte tenu de la complexité de ces questions, je m'engage à mener deux actions. D'une part, ainsi que je vous l'avais annoncé, je vais publier une circulaire, destinée aux officiers d'état civil, aux magistrats et à nos consulats à l'étranger, qui permettra d'assurer une application homogène du droit sur l'ensemble du territoire. D'autre part, je m'engage à trouver des solutions pour simplifier le recours à l'adoption et améliorer les délais de traitement des procédures d'adoption. L'idée est de garantir une plus grande célérité de ces procédures.

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