Intervention de Christian Boulocher

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 13h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Christian Boulocher, directeur général de l'entreprise Normandie Logistique :

C'est un sujet qui est revenu à plusieurs reprises, pour lequel j'avais déjà eu à répondre lors de la mise en place du premier comité de transparence du 11 octobre à Rouen. Il est important pour que vous compreniez bien de se replacer dans le contexte qui était le nôtre. Le 26 septembre, nous n'avions plus du tout accès à nos locaux. Nous n'avions évidemment pas accès au site qui a été détruit par l'incendie ni aux locaux de proximité qui sont nos sièges administratifs à Rouen, où nous avons toute notre organisation.

La journée du 26, il a fallu dans un premier temps dire à nos salariés de ne pas venir, qu'il s'agisse de ceux de la société de transport ou ceux de l'activité logistique. Nous n'avions plus d'informatique. Nous avons dû nous redéployer sur un site à Grand-Quevilly à 3 ou 4 kilomètres, récupérer du mobilier, de l'informatique, un réseau en 4G. Nous étions dans la difficulté. Les 26, 27, 28 et 29, nous n'étions pas du tout intégrés dans le plan d'intervention d'urgence. Nous n'avons eu l'arrêté préfectoral que le 30. Les 26, 27, 28, nous avons pris des initiatives. Le lundi 30, avec les moyens que nous avions, il nous a été demandé de communiquer les stocks.

Nous avons imprimé des stocks qui étaient donnés manuellement à notre interlocuteur de la DREAL. Le lundi après-midi du 30, nous avons eu la première visite d'inspection du site, et nous avons été intégrés au comité opérationnel départemental. J'étais accompagné de 3 ou 4 personnes pour gérer cela. Nous avions de nombreuses commissions. Quand je sortais de la commission, j'allais sur le chantier, je mettais des bottes, un équipement, et le soir, comme nous étions trois Rouennais, nous prenions les astreintes de nuit. Ce sont les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, avec de nombreux questionnements.

Vous avez raison de nous interroger sur la nature des produits, qui ne relève pas au départ de nos compétences premières, en tant qu'entrepositaires.

Nous avons donné ces stocks le mardi 1er octobre lors du centre opérationnel départemental (COD), et l'interlocuteur de la DREAL m'a juste dit que nos stocks étaient faux ! Ce que nous avons donné à la date du 30 est la totalité des stocks que nous avions, sans – je le reconnais – la précision millimétrée que l'on peut être en droit d'attendre des produits qui avaient brûlé. Il a été rappelé que nous faisions historiquement sur ce site du stockage de masse. C'était le cas sur les gommes arabiques, sur les bauxites et les magnésies. Concernant les produits Lubrizol, la mitoyenneté, l'historique et le mode de fonctionnement des relations amenaient à des réunions hebdomadaires le vendredi, au cours desquelles on nous annonçait les mouvements de marchandises qui rentreraient et sortiraient. Nous avions également des informations au quotidien, par email ou par téléphone, pour nous indiquer lorsqu'il fallait nous « retransférer » un fût, etc.

La DREAL nous a dit qu'elle n'avait pas confiance dans le stock que nous lui avions fourni et qu'elle prenait celui de Lubrizol. Je voulais faire un contrôle physique pour apporter la certitude et la garantie qui était attendue. Nous avions bien donné la nature des produits. Nous n'avons pas de produits cachés. Je suis rouennais depuis toujours et cela fait plus de quarante ans que j'exerce à Rouen. J'y ai développé les activités économiques, et je suis intégré dans la communauté économique et portuaire. Je prends ma part sur ce qui est dit sur son attractivité, et je suis un « battant » sur ces sujets-là. Quand vous dites que la population est inquiète, j'ai aussi ce ressenti puisque je vis à Rouen et mes petits-enfants aussi. J'ai été aussi un spectateur inquiet de la situation avec ce fameux panache.

Ma volonté était de donner quelque chose d'exact. Il a fallu reconstituer au fur et à mesure, toujours dans un mode très dégradé, avec des collaborateurs choqués, à en perdre la lucidité et le recul. Nous avons travaillé sous pression, dans la précipitation, et dans ces conditions, nous ne travaillons pas bien. Nous avons reconstitué dans le délai qui était prévu par l'arrêté préfectoral, même si ce n'était pas le délai qui était attendu par la population. C'est très clair. J'ai cru comprendre dans vos propos introductifs, monsieur le président, quelles sont les leçons à en tirer. Nous sommes au milieu d'un évènement inimaginable en tant que PME. Bien évidemment, cela nous interpelle, Sylvain Schmitt et moi-même. Nous nous demandons quelle sera notre contribution pour que cela n'arrive plus. Heureusement, il n'y a pas eu de victimes. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut toujours avoir à l'esprit.

Le repérage était difficile à faire à partir d'un stock qui n'était pas nécessairement le nôtre. En octobre, Lubrizol devait reprendre contact avec moi sur le projet d'acquisition, et devait opérer l'inventaire physique la semaine suivant l'incendie, comme ils le faisaient tous les ans. Ils réalisaient bien un inventaire physique comme un stock déporté tous les ans. Tous les mois, ils nous donnaient leur inventaire pour la déclaration d'assurance.

Nous n'avons jamais eu d'informations nous indiquant que nous avions des écarts d'inventaire. Nous sommes donc partis sur des bases compliquées. Nous les avons fournies. Nous avions un outil qui fonctionnait bien pour les stocks de masse, et qui n'était peut-être pas suffisamment adapté à la gestion de Lubrizol, qui gérait fût par fût.

Une autre complexité venait des unités facturables à Lubrizol en termes de surface. Si nous avions des palettes qui dépassaient le normatif, nous facturions différemment. Cela donnait aussi potentiellement un écart. Le point essentiel de départ était la nature des produits stockés globalement. Y avait-il ou non des produits à haute toxicité ? C'est une interrogation qui a été recoupée avec Lubrizol et nous n'avons pu fournir la liste définitive que trop tardivement.

Par ailleurs, il a été constaté l'état des bâtiments lors de la visite de la DREAL en 2017. Il me semble que c'est M. le directeur de la DREAL qui vous l'a dit ici. J'ai accompagné lors de cette visite les gens de chez Lubrizol et de la DREAL pour vérifier physiquement le projet de Lubrizol. Nous étions plutôt accompagnateurs à la réunion de debriefing. Personne ne nous a dit qu'il y avait des éléments sur lesquels nous devrions porter attention. Si cela avait été le cas, nous aurions regardé précisément. Nous répondions bien à des protections, y compris incendie, dans le cadre de la norme. Il n'y avait pas de sprinklers puisque notre classement ICPE ne le nécessitait pas. Il y avait en plus le régime d'antériorité. Nous n'avons été sensibilisés à aucun danger pour nous ou pour l'extérieur.

Les quantités stockées font partie des sept écarts par rapport à la réglementation, qui ont été qualifiés d'infractions pénales. Je ne suis pas sûr que celui qui dresse le rapport ait la qualification pour dire la nature de l'infraction. Je pense que c'est plutôt au juge de le faire. Ce rapport nous a été transmis. Il a été également transmis au Parquet de Paris. Nous avons dans un délai rapide répondu point par point à chacun de ces écarts. Nous avons apporté notre réponse. Elle ne sera peut-être pas retenue, mais c'est notre point de vue. Parmi ces écarts, il y a la non-production d'un stock parfaitement exact et à jour. Nous avons fait part de notre méthode. Concernant l'enregistrement lié à des modifications de 2010, nous avons un point de vue différent de la DREAL, puisque celle-ci connaissait ces activités, avait fait une visite dans le cadre du pré-PPRT, et que nous avions un délai d'un an pour effectuer l'enregistrement si nous avions une modification majeure de nos activités, ce qui n'était pas le cas. Nous avons considéré – peut-être à tort, le juge nous le dira – qu'il n'était pas nécessaire d'aller faire une manifestation supplémentaire, puisque nos activités étaient restées les mêmes, toujours dans du stockage de produits combustibles. C'est l'histoire de ce site. Cette antériorité est très importante, puisque là où nous sommes installés, il y avait la centrale des bois. Sur des photos très anciennes, vous ne verrez que nos seuls bâtiments entourés de stockage de bois. Nous ne sommes pas au milieu de deux sites « SEVESO ». Mais ce sont deux sites « SEVESO » qui sont devenus mitoyens du nôtre. C'est un autre questionnement. Nous avons répondu point par point sur ces sept écarts à la DREAL. Je ne sais pas si ce courrier vous est transmissible. J'ai le courrier qui a été fait et nous avons bien une réponse sur chacun des points.

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