Intervention de Roger Genet

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 10h10
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Sur la communication et de façon générale sur l'opposabilité de nos avis.

Le principe même de fonctionnement de l'agence est celui d'une expertise collégiale et contradictoire. Nos comités sont formés d'experts avec des disciplines très complémentaires, de façon à ce qu'il y ait un débat au sein des comités. On va avoir des comités d'experts spécialisés par grands domaines : qualité de l'eau, qualité de l'air, risques chimiques, mais on va également avoir des groupes de travail que l'on demande de façon spécifique, sur une question donnée. En l'occurrence, quand on a une situation de crise, nous constituons ce que l'on appelle un groupe d'expertise collective d'urgence (GECU). Il est fait rarement appel à un ou deux experts, sauf si on doit rendre un avis en quelques heures, au moment d'une situation de crise, parce qu'évidemment il faut quand même du temps pour animer ces collectifs. Le principe est de monter un groupe d'expertise collective. Il y avait huit experts dans le groupe d'expertise collective, formé en urgence, pour travailler sur l'incendie de l'usine Lubrizol.

Le principe de nos avis, c'est la transparence, c'est-à-dire que nos avis sont rendus publics, ils sont consultables sur le site internet. Ce n'est pas une décision administrative. C'est une recommandation à destination des pouvoirs publics, il n'y a pas d'opposabilité. Quand il y a des avis divergents ou des avis minoritaires, tout est tracé dans nos avis. On ne cherche pas spécifiquement le consensus. Si les experts expriment des positions minoritaires ou divergentes, cela est tracé dans nos avis. L'avis n'est pas, contrairement à d'autres agences en Europe, un avis de nos comités d'experts, c'est un avis de l'Agence. C'est-à-dire que le comité d'experts va donner des conclusions.

Quand nous avons un groupe de travail et que nous avons du temps, ce groupe de travail (GT) présente ses conclusions à nos comités d'experts spécialisés qui sont des comités permanents créés par notre conseil d'administration, il y en a 24. Le comité d'experts spécialisés va faire des recommandations, sur les recommandations du GT, puis l'agence fait une conclusion, que je signe et l'avis de l'agence, c'est l'ensemble.

L'avis de l'agence ou la conclusion peut être simplement : « nous endossons les recommandations de notre comité d'experts spécialisés » ou cela peut être beaucoup plus détaillé. Quand il s'agit d'une expertise complexe, l'Agence reprend dans ses conclusions la synthèse de la conclusion agence, donc c'est bien un avis de l'agence.

Il n'est pas contestable au sens juridique du terme, mais comme tout avis scientifique, il doit être revu en permanence. Nous sommes très humbles, nous n'estimons pas avoir la vérité. Il n'y a pas de vérité scientifique. C'est ce que nous pouvons dire en l'état des connaissances, le jour où l'on signe l'avis.

Les connaissances nouvelles pourront éventuellement amener à des avis révisés. Et nous révisons, chaque fois que cela est nécessaire. Si je prends la téléphonie mobile, nous produisons des avis que nous révisons tous les trois ou quatre ans, sur la base de la littérature scientifique.

Quand ce sont des avis sur des sujets aussi sensibles d'un point de vue sociétal que les radiofréquences, nous avons mis en place des comités de dialogue, qui réunissent toutes les parties prenantes, à la fois les opérateurs de téléphonie mobile, l'agence de régulation des radiofréquences, mais aussi les associations d'électro-hypersensibles comme Robin des Bois. Notre rôle n'est pas de chercher un consensus entre ces parties prenantes de la société, mais de leur rendre compte de nos méthodes, d'être totalement transparents sur la méthodologie d'évaluation, de façon à ce qu'il n'y ait pas de contestation sur la façon dont on opère. Les gens peuvent ne pas être d'accord sur les conclusions. Généralement, ils ne le sont pas. Certains trouvent que nous allons trop loin, d'autres pas assez. Mais ce qu'on veut, c'est être totalement transparent sur la méthodologie scientifique qui est à la base, et aussi avec un poids énorme aujourd'hui sur l'intégrité et la déontologie, c'est-à-dire énormément de travail sur le cadre déontologique et la traçabilité des conflits d'intérêts potentiels, et donc la traçabilité des liens d'intérêt pour écarter les conflits d'intérêts, qui est un point majeur dans l'expertise scientifique aujourd'hui.

C'est la méthode générale. On pourrait aller plus loin avec un forum citoyen qui crée un débat, c'est une bonne idée. Simplement, je vous le dis honnêtement, vu le spectre d'activités d'une agence, qui produit 250 avis par an, nous n'avons pas les moyens d'animer un forum sur ces questions. Animer un forum c'est répondre aux questions, c'est donner du grain à moudre, c'est donner des connaissances pour alimenter. Nous sommes incapables aujourd'hui de le faire, avec les moyens que nous avons, sur l'ensemble des sujets qui sont portés chez nous.

Donc nous n'avons pas organisé de débat citoyen ou de forums au niveau d'internet, parce que nous n'avons pas les moyens. Par contre, nous avons nos instances de dialogue, qui sont à l'agence, qui se réunissent régulièrement. Nous avons un comité de dialogue sur les radiofréquences, sur les nanomatériaux, sur les produits pesticides. Nous avons des comités de dialogue sur notre programmation annuelle donc sur nos priorités.

Nous en sommes là, je pense qu'on pourrait encore faire mieux. Je pense aussi que c'est une question de moyens que l'on met sur la communication, sur le débat citoyen qui est essentiel aujourd'hui pour la crédibilité de l'expertise.

Non, nos avis n'ont pas du tout été remis en cause, nous en avons peu qui sont remis en cause, mais il peut y avoir du débat scientifique, notamment sur la base de publications nouvelles qui arrivent. J'ai été auditionné hier sur les succinate dehydrogenase inhibitors ou SDHI, qui sont des fongicides sur lesquels nous avons eu une alerte de la communauté scientifique il y a deux ans. Nous avons rendu un avis. Un nouvel article est publié aujourd'hui. Il y a donc un débat. On peut aussi avoir un débat portant sur le fait de savoir si l'Agence, quand elle est décisionnaire, comme c'est le cas pour les mises sur le marché de produits vétérinaires ou pesticides, a pris suffisamment de mesures adaptées. Est-ce que le fait d'autoriser ou de retirer un produit est adapté par rapport à l'évaluation des risques ? On peut avoir un débat sur ce thème c'est notre responsabilité. Mais sur l'évaluation, nous sommes dans le cadre du débat scientifique, c'est normal.

Sur les avis que nous avons publiés, nous n'avons pas du tout eu de réactions. Généralement, c'est la presse qui est le vecteur des réactions, y compris quand ce sont des réactions scientifiques. Quand c'est le cas, nous y répondons et, le cas échéant, nous révisons notre avis sur la base des données complémentaires qui pourraient être produites.

Je vais laisser Matthieu répondre sur le modèle probabiliste et sur la question du lait maternel. Pour le lait maternel, nous l'avons appris par la presse hier, nous n'avons pas vu les résultats qui ne nous ont pas été communiqués. On ne sait pas comment ont été sélectionnées les neuf femmes, ni comment les analyses ont été conduites. Nous avons très peu de données à vous fournir aujourd'hui, sachant que bien évidemment, Santé Publique France va avoir un oeil sur le côté populationnel, épidémiologique et va travailler sur ce sujet-là. Matthieu a souligné comment nous travaillons avec l'INERIS, sur la partie risques, sur la source, le danger. Avec Santé publique France, l'agence travaille sur la partie exposition et Santé Publique France sur la partie impact populationnel. Nous sommes très complémentaires, nous travaillons ensemble.

Pour répondre à M. le député, je m'étais déjà un peu expliqué avant. Mais je vais le préciser. Depuis 1998, création de l'Association française du syndrome d'Angelman, après la crise de la vache folle, ce n'est malheureusement pas la première fois que l'agence est sollicitée sur un évènement et une crise majeure comme celle-là ; des crises qui sont liées à des évènements industriels et à l'impact d'évènements industriels ou de feux. Nous nous sommes aussi exprimés par exemple, je le citais tout à l'heure, s'agissant de l'usine Sanofi à Mourenx et au sujet de l'exposition liée aux rejets de valproate, notamment sur la qualité de l'évaluation quantitative du risque qui était faite par l'industriel, en termes de protection de la population et au titre de la santé au travail des salariés de l'usine, puisque nous sommes chargés de la santé au travail. Puis nous intervenons, en matière de sécurité des aliments, sur des crises sanitaires qui touchent la santé animale, la grippe aviaire, la peste porcine africaine, les salmonelloses... Le nombre de saisines en urgence ne fait que croître, ce qui montre que l'agence est finalement en capacité de répondre. Concernant la peste porcine africaine, plus de treize avis ont été rendus par nous en urgence et en quatre mois, entre septembre 2018 et février 2019.

Évidemment, cela désorganise beaucoup notre programme de travail qui est un programme à moyenlong terme, sur des saisines importantes, mais nous adaptons ce programme aux saisines demandées, particulièrement en cas de crise. Cela a été le cas pour la crise des oeufs contaminés au fipronil, c'était un 7 août, nous avons rendu un avis le 11 août.

Nous sommes en capacité, même au coeur de l'été, de mobiliser nos experts et nos services pour offrir un appui au gouvernement, dans des conditions qui sont, je pense, efficaces et rapides, selon ce que nécessite la crise.

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