Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 25 novembre 2019 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Vous avez largement piétiné le travail parlementaire – et je ne crois pas être le seul à le penser – parce qu'en plus d'ignorer systématiquement nos amendements, vous ne nous laissez désormais même plus le temps de les déposer.

Comment penser que vingt-quatre heures suffisent pour analyser un texte de 150 pages, repérer ses faiblesses, réfléchir à des modifications utiles puis déposer des amendements qui auront été rédigés de façon argumentée ? Qui oserait affirmer qu'il est normal de nous avoir obligés à déposer nos amendements avant même que les débats aient pu avoir lieu en commission ? C'est pourtant ce qui s'est passé. Dès lors, à quoi servent ces discussions si elles ne permettent pas d'avancer, de construire ensemble, de modifier, d'affiner nos propositions, voire d'influer sur nos positions respectives, monsieur le ministre ? À quoi servent toutes ces heures passées à décortiquer vos textes si elles sont sans conséquence, s'il ne s'agit en réalité que d'une mise en scène de démocratie, d'une façade ?

Vous ne faites désormais même plus semblant de nous laisser travailler correctement. Même des députés de la majorité se plaignent de ne pas réussir à se faire entendre. Vous imposez des amendements que vous tentez de faire adopter en douce à la dernière minute. Vous faites revoter le Parlement sur ceux dont le sort ne vous a pas plu. Cela s'est vérifié au cours de l'examen du PLFR ainsi que de celui du PLF – nous en sommes témoins. Les conditions dans lesquelles ce PLFR a été présenté à notre assemblée auraient dû, à elles seules, constituer une ligne rouge. Collègues, que vous soyez ou non issus de la majorité, je vous le dis : arrêtons de nous faire ainsi marcher dessus. Nous sommes censés faire la loi et voter le budget – c'est pour accomplir ces missions que nous avons été élus – et non être le tapis du Gouvernement.

Ces méthodes honteuses sont de surcroît au service d'une politique honteuse. Elles vous permettent en effet d'annuler pour plus de 1 milliard d'euros de crédits de paiement, pour des raisons parfois obscures, et pas seulement parce que nous manquons de temps pour les comprendre. Je citerai un seul exemple : lorsque je vous avais fait remarquer que vous aviez retiré 19 millions d'euros au programme « Prévention des risques » – pourtant malheureusement d'actualité – , vous aviez rétorqué que ce chiffre correspondait au montant, non consommé, destiné à l'origine à solder le contentieux relatif à l'immeuble Le Signal. Or cette somme s'élevait en réalité à seulement 7 millions. Vous ne nous avez pas éclairés concernant les 12 millions restants. Nous savons que cet exemple illustre hélas assez bien le manque de lisibilité de ce budget dans son ensemble.

Les millions retirés auraient pourtant été utiles à chacune des missions concernées, comme nous l'avons déjà longuement rappelé. La loi de finances pour 2019 n'offrait déjà pas suffisamment de crédits pour que l'État et les services publics fonctionnent correctement. Le mouvement des gilets jaunes, comme les mobilisations qui l'ont suivi, l'a amplement montré. La grève prévue à partir du 5 décembre prochain, je l'espère, le prouvera aussi.

Vos budgets se succèdent et ne répondent – chacun le sait – ni à l'urgence sociale ni à l'urgence écologique. Vos alignements de chiffres tiennent si peu la route qu'il y a un an, vous avez été contraints de mettre en scène, au dernier moment, l'instauration de mesures « gilets jaunes ». Non seulement celles-ci étaient insuffisantes mais vous souhaitez en plus, un an plus tard, les financer en retirant discrètement des crédits à de nombreuses missions tout aussi nécessaires au peuple en colère.

Ces annulations de crédits sont donc d'autant plus absurdes que vous devrez probablement, je le pense et l'espère, avoir recours en décembre à un plan d'urgence de dernière minute, un nouveau PLFR en quelque sorte, comme vous l'avez fait l'an dernier pour répondre à la colère sociale traduite par le mouvement des gilets jaunes.

Car il faut bien le voir : le personnel hospitalier craque, celui de l'Éducation nationale craque, les étudiants craquent, les pompiers craquent, le pays craque. Certains Français vont même malheureusement jusqu'à se suicider sur leur lieu de travail. Nous devons reconstruire sans plus attendre un État solidaire, protecteur et redistributeur. Nos urgentistes, nos pompiers, nos policiers sont carbonisés par la fatigue. Créons massivement des postes pour que nos compatriotes soient traités avec dignité lorsque leur santé leur fait défaut. Tous les lieux qui accueillent les Français – nos casernes, nos commissariats ou nos hôpitaux – doivent être rénovés. Notre pays est suffisamment riche pour éradiquer la misère en adoptant un plan « zéro SDF » destiné à faire une réalité de ce qui n'a été que la promesse d'un candidat. Il est aussi capable d'éradiquer la précarité dans le secteur de la recherche française, où 13 000 vacataires travaillent dans des conditions indignes.

Vous trouvez ces propositions dans le contre-budget élaboré par le groupe La France insoumise pour répondre à la situation d'urgence que nous connaissons. J'espère très sincèrement que les Français qui se mobiliseront à partir du 5 décembre sauront s'en inspirer pour leurs revendications, au-delà même de leur refus de votre projet de loi sur les retraites, qui ne prévoit rien d'autre que la casse du système par répartition.

Chers collègues, vous feriez bien de prendre des mesures comparables. Sinon, ce sont peut-être les grévistes qui vous les arracheront. Dans cette hypothèse, que j'espère voir se réaliser, nous nous retrouverons fin décembre pour examiner un nouveau PLFR, destiné cette fois à répondre au mouvement social.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.