Intervention de Alain Espinasse

Réunion du mardi 12 novembre 2019 à 18h10
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Alain Espinasse, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale au ministère de l'Intérieur :

J'essaierai également à travers ce propos de répondre aux questions que vous avez bien voulu me transmettre avant cette audition.

Parler de services déconcentrés revient sans doute, au premier chef, à évoquer les préfets : il me paraît donc important de rappeler que l'action de ceux-ci, du point de vue de l'application des lois, est précisée au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution. Celui-ci dispose en effet que « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »

C'est donc ce principe primordial qui guide l'action des services déconcentrés de l'État, sous l'autorité des préfets. Au-delà du cadre dans lequel ces services agissent, ce principe résume une éthique professionnelle : nous sommes là pour appliquer les lois votées par le Parlement ainsi que les règlements déclinant ces lois.

Pour le représentant de l'État et pour ses services, appliquer les lois sur le terrain revient à s'assurer de leurs effets concrets.

La concrétisation de la loi passe d'abord par les décrets d'application. Je ne m'attarderai pas sur cet aspect que Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, a dû assez largement traiter. Elle passe ensuite par la pédagogie dont font preuve le représentant de l'État et les services déconcentrés auprès de nos concitoyens, des usagers de l'administration et de nos partenaires pour faciliter la mise en oeuvre de la loi. En effet, rédiger un projet de loi ou une proposition de loi, en discuter et l'adopter est une chose, l'appliquer concrètement sur le terrain en est une autre. Il faut la rendre à la fois lisible et intelligible pour nos concitoyens qui peuvent parfois, et c'est normal, n'être concernés que par un aspect très précis du texte.

Mon propos se situe à deux niveaux : en effet, si le préfet représente tous les ministres, c'est-à-dire qu'il a la charge de l'application de l'ensemble des lois relevant de l'ensemble des départements ministériels, il est lui-même porteur de textes, au titre du ministère de l'Intérieur.

À cet égard, s'agissant de la XIVème législature, 98 % des décrets d'application ont été pris – soit 204 décrets sur 208 –, déclinant ainsi 45 lois. Pour la législature en cours, 96 % des décrets ont d'ores et déjà été publiés, soit 74 décrets sur 77. Le ministère de l'Intérieur s'efforce, et c'est normal, d'être irréprochable dans la rédaction des décrets d'application d'une loi dont il a la responsabilité.

Ce ministère est par ailleurs extrêmement déconcentré au niveau départemental, par l'intermédiaire des préfectures et des sous-préfectures. Il lui revient donc d'appliquer les lois au plus près de nos concitoyens, alors que d'autres ministères ne disposent en dernier niveau d'application que de services de niveau régional. Cette organisation oblige le ministère de l'Intérieur et lui confère une spécificité, voire des facilités particulières, dans les discussions visant à mettre en oeuvre les textes.

En tant que parlementaires, vous êtes bien placés pour le savoir, la mise en oeuvre des lois peut se heurter à un certain nombre de difficultés. J'en citerai trois : la complexité du texte à appliquer, une contradiction – cas assez classique – entre deux textes, soit entre deux articles de loi, soit entre deux dispositions réglementaires, enfin, et même s'ils paraissent triviaux ils ont leur importance, les problèmes tenant aux moyens et à l'organisation des services de l'État.

Le rôle du préfet s'avère déterminant en cas de blocage tenant à la complexité d'un texte ou à la contradiction entre deux textes, voire à une difficulté née de l'absence de précision suffisante du texte à appliquer. Il lui appartient alors d'apprécier la loi et le texte réglementaire qui la décline, dans un souci de sécurité juridique. Il devra interpréter, concilier et appliquer.

De même, face à une nouvelle disposition législative, il devra affecter les moyens, et, le cas échéant, réorganiser ses services en fonction des contraintes découlant du nouveau cadre législatif ainsi créé, ou d'une nouvelle mission naissant de celui-ci.

S'agissant des innovations, je ne citerai que le droit de dérogation des préfets. En effet, le décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet permet à celui-ci de déroger, en matière réglementaire, à un certain nombre de dispositions. Nous arrivons au terme de cette expérimentation prévue sur deux ans : nous avons établi des éléments de bilan que nous devons partager avec l'ensemble de la communauté interministérielle. Un rapport sera ensuite remis au Parlement.

Le bilan de cette expérimentation est extrêmement positif, tout d'abord parce que des arrêtés de dérogation ont été pris dans de nombreux domaines, et dans un cadre juridique qui semble sécurisé puisque, saisi d'un recours contre le décret, le Conseil d'État a débouté le requérant. En outre, aucun des 140 arrêtés pris n'a fait l'objet d'un recours auprès du tribunal administratif. J'y vois en partie le résultat du travail de pédagogie mené par les préfets et leurs services.

Les réformes organisationnelles participent également de la bonne application de la loi, tout simplement parce qu'elles doivent permettre de dégager les moyens nécessaires à l'amélioration de celle-ci. Lorsque, par exemple, on met en place des dispositifs de mutualisation de fonctions support, on dégage des moyens qui, certes, contribuent aux économies budgétaires que nous devons réaliser – nous ne sommes pas naïfs – mais qui peuvent être aussi réaffectés à des fonctions-métier. Or ce sont précisément celles-ci qui tendent très concrètement à mettre en oeuvre les dispositions législatives et réglementaires.

Trois éléments pour terminer. Le premier a trait à l'organisation administrative elle-même. L'organisation déconcentrée de l'État repose sur deux niveaux : régional et départemental, le premier étant le niveau d'animation et de coordination des politiques publiques, le second étant consacré à leur mise en oeuvre.

Le choix qui a été fait en 2010 de renforcer le niveau régional au détriment du niveau départemental est aujourd'hui – Claude Kupfer a sûrement eu l'occasion de le dire – plus que questionné. En effet, le niveau régional, qui a bien évidemment son importance, ne doit pas devenir un niveau d'administration supplémentaire éloigné de l'usager. Il faut veiller à ne pas créer une sorte d'échelon supplémentaire qui rajouterait de la complexité à la complexité et encadrerait l'action de l'État au-delà de l'esprit de la loi, laissant nos concitoyens au mieux dans une forme de doute, au pire dans une forme d'inquiétude. L'administration doit se montrer vigilante : le niveau régional ne doit pas rendre plus complexe l'application de la loi.

Le deuxième élément porte sur la dimension managériale, qui irrigue les différents niveaux.

Elle prend sa source dans des réunions qui ont lieu toutes les six semaines : les ministres y expliquent aux préfets ce qu'ils font, les projets de loi en discussion ou le contenu d'une loi qui vient d'être promulguée, ainsi que leurs attentes.

Les ministres, ou les chefs de service d'administration centrale, déclinent le même discours auprès des responsables de services déconcentrés.

Enfin, il appartient aux préfets, en tant que chefs de service au niveau local, de réunir les responsables locaux, que ce soit au niveau régional ou départemental, pour leur expliquer, de manière managériale, comment un texte de loi, une réglementation ou une circulaire d'application doivent être très concrètement appliqués.

Une fois que la loi a été promulguée et que les textes d'application ont été pris, les préfets peuvent malgré tout se retrouver confrontés à un certain nombre de difficultés, que l'on essaie alors de contourner. Je réponds ainsi à l'une de vos questions, madame la présidente : l'administration centrale peut-elle, dans ce cas, jouer le rôle de recours ?

Une circulaire d'application d'un texte peut alors être signée. J'ai évoqué le droit de dérogation : la circulaire du Premier ministre du 9 avril 2018 prévoit que les préfets rencontrant des difficultés peuvent frapper à la porte de la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT), qui saisira l'ensemble des ministères concernés. Nous sommes là pour leur faciliter le travail : nous procèderons à la concertation nécessaire et nous apporterons les éléments de réponse.

À défaut d'instruction, les services déconcentrés savent en règle générale quelle direction d'administration centrale saisir. Ils peuvent également interroger le Pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL) de Lyon qui est un service délocalisé de la direction générale des collectivités locales (DGCL). Il a essayé de se doter, depuis quelques années, d'un certain nombre de moyens supplémentaires. Il a notamment créé un service dit des dossiers compliqués. Nous nous sommes en effet rendu compte que les préfets, d'ailleurs davantage dans leur fonction de conseil que dans leur fonction de contrôle, étaient souvent saisis de dossiers compliqués, notamment en matière de marchés publics.

Dernier élément, le Gouvernement a souhaité – nous allons procéder dans les semaines qui viennent aux premières auditions – que chaque préfet de région soit entendu une fois par an sur la mise en oeuvre très concrète des politiques publiques. Il viendra donc présenter au Premier ministre ou à son directeur de cabinet l'action qu'il conduit en région.

Si un certain nombre de figures seront imposées, comme les contrats de plan État-région ou l'organisation territoriale de l'État, il pourra aussi, au regard des spécificités de sa région, évoquer un certain nombre de sujets qui permettront de mesurer très concrètement l'application réussie ou non des textes, ainsi que de comprendre les facteurs de succès et d'échec et les blocages rencontrés. Cela débouchera, le cas échéant, sur des décisions in situ puisque ces présentations auront lieu dans un cénacle interministériel. Il s'agit de faire progresser les choses en confrontant le pouvoir exécutif au niveau central à ceux qui appliquent les textes au niveau local, c'est-à-dire aux préfets de région.

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