Intervention de Christophe Castaner

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 16h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Madame la présidente, mesdames les députés, messieurs les députés, les violences conjugales sont un fléau – personne n'en doute. Pourquoi ? Parce qu'elles blessent, parce qu'elles murent les victimes trop souvent dans le silence et dans la honte, et aussi parce qu'elles tuent. C'est bien de cela que l'on parle, de cette violence du quotidien qui peut aboutir à la violence ultime, celle de tuer.

Il faut garder à l'esprit que les violences conjugales sont avant tout des actes révoltants, des actes dramatiques ;ce ne sont pas des faits divers, ces violences revêtent une dimension psychologique, humaine, familiale, allant jusqu'à l'extrême.

En 2018, 121 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ancien compagnon. Elles étaient 130 en 2017, 160 en 2012. Le chiffre baisse, mais chaque mort est inacceptable car la vie humaine a de l'importance, non la statistique. Il est donc essentiel que nous trouvions systématiquement les meilleures solutions pour que la liberté et la sécurité des femmes soient protégées et garanties parce que mourir sous les coups de son conjoint ne doit pas arriver. Point. Et c'est le seul discours que le ministère de l'Intérieurdoit porter.

C'est parce que nous en sommes convaincus collectivement que le Gouvernement a agi dès les premiers instants du mandat d'Emmanuel Macron, d'abord en plaçant prioritairement au centre des préoccupations de l'action gouvernementale l'égalité entre les femmes et les hommes et en décidant d'en faire la grande cause du quinquennat parce que c'est un combat que nous devons mener au quotidien pour ouvrir les esprits quand ceux-ci considèrent que l'inégalité serait un élément du quotidien, mais aussi pour protéger toute personne en situation de faiblesse.

L'égalité entre les femmes et les hommes passe aussi par l'assurance qu'une femme ne doit plus subir les coups de son compagnon. Il s'agit de lutter résolument contre toutes les atteintes à l'intégrité physique des femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes et contre les violences conjugales. Même si vous m'avez invité sur le sujet des violences conjugales, qui peuvent aller jusqu'à l'ultime, c'est-à-dire à l'assassinat, il n'est pas possible de séparer ces éléments : il s'agit d'un tout.

Madame la présidente, je reprends vos propos et, si vous le permettez, en les nuançant : le meurtre n'est pas l'acte ultime des violences conjugales, il peut l'être. Cependant, la moitié des meurtres environ n'est pas précédée de violences conjugales. Cela peut produire lorsque la femme annonce qu'elle a décidé de refaire sa vie et de divorcer pour des raisons qui lui appartiennent. Il n'y a jamais eu de violences préalablement et pourtant l'homme à ce moment-là « disjoncte », va jusqu'à la violence ultime et tue sa femme. En 2019, il est totalement ahurissant de mourir parce que l'on a décidé de quitter quelqu'un ! Pourtant, une telle situation est loin d'être rare. Je l'évoque parce qu'elle a été passée sous silence dans les discussions politiques alors que nous devons en être conscients pour trouver la bonne façon d'accompagner une femme dans ces moments-là. Elle doit pouvoir demander secours, assistance, alors même qu'il n'y a pas encore eu de violences marquées. Ne pas aborder ce sujet reviendrait à ne pas traiter une menace.

Nous avons pris des mesures au sein du ministère pour ne rien laisser passer. Il s'agit d'une exigence profonde que nous portons et à laquelle nous croyons : ne laisser passer aucune violence, aucune atteinte, aucun coup, nous permettra de gagner ce combat. Personne, ici, ne peut sérieusement penser que plus aucune femme ne sera tuée demain dans le cadre de violences tout comme personne ne peut penser qu'il n'y aura plus de violences dans la société, mais notre responsabilité est de trouver la solution pour parer à ce fléau.

La première étape est la libération de la parole, en accompagnement de phénomènes médiatiques, certes, mais tellement utiles, qui ont libéré la parole. Nous devons agir sur ce message. Aussi, au mois de novembre 2018, avons-nous créé une plateforme de signalement en ligne, ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

La communication se fait à travers un tchat. Il n'est pas besoin de décliner son identité, mais il est possible également de la donner. Selon la zone où la personne habite – que l'opérateur identifie –, un policier ou un gendarme guide la personne dans sa réflexion, ce qui peut l'amener à prendre des mesures immédiates de protection. La personne peut quitter le domicile, appeler la police ou la gendarmerie et porter plainte. Dans certains cas ultimes, en cas de niveau de risque élevé et même si la personne ne porte pas plainte, cela permettra à l'opérateur – policier ou gendarme – de signaler à la commune la présence d'un risque et l'origine de l'appel, sans pour autant dévoiler l'identité de l'intéressée.

Un travail de pédagogie, d'accompagnement psychologique est réalisé auprès de nos policiers et de nos gendarmes qui travaillent sur cette plateforme. Ils sont formés pour donner les bons conseils, mais également pour amener la personne à donner son identité, avec son accord, pour mieux la protéger.

Dans le même esprit, nous avons amélioré la formation des policiers et des gendarmes ; c'était nécessaire. À l'heure actuelle, ils bénéficient tous en école de formation initiale d'une formation sur les violences sexuelles et sexistes.

Nous avons aussi mené un effort significatif visant à améliorer la prise en charge des victimes au commissariat ou en en brigade de gendarmerie et avons désigné des référents dans les unités opérationnelles. Ceux-ci sont spécialement formés pour accueillir et orienter les victimes.

Nous avons également lancé un ambitieux plan de recrutement de psychologues pour les commissariats. Ce plan de recrutement aboutit aujourd'hui.

Enfin, nous devons affirmer la plus grande fermeté que ces actes sont inacceptables. C'est ainsi que la loi du 3 août 2018 renforce les sanctions. La Délégation a été pleinement partie prenante de cette discussion afin de renforcer les sanctions contre les auteurs de violences sexuelles.

Mais il faut dire une chose simple : tant que nous aurons à déplorer des victimes, cela signifiera que l'on peut faire mieux. L'objectif, dans le cadre du Grenelle et à partir de maintenant – ce n'est que le début d'un processus – est de faire mieux. Tel est le sens des annonces du Premier ministre et mon ministère porte plusieurs d'entre elles.

Le premier axe que je souhaite améliorer porte sur la prise en charge des victimes. Je veux que toute femme puisse se rendre au commissariat ou à la caserne de gendarmerie en sachant qu'elle sera parfaitement accueillie et écoutée.

Je connais le travail des policiers et des gendarmes, je sais qu'ils sont attentifs et engagés. C'est la réalité dans l'immense majorité des cas, et je ne peux pas laisser dire le contraire, mais il ne doit y avoir aucune faille, aucun événement isolé qui pourrait ensuite dissuader les victimes de porter plainte. Chaque jour, dans notre pays, 200 femmes sont accueillies, accompagnées, protégées par des policiers et des gendarmes dans le cadre des 70 000 procédures qui sont engagées. Il arrive qu'il n'y ait pas de procédure. Le nombre de 220 000 cas de violences conjugales est, certes, incertain mais, là encore, la statistique ne prime pas. Ces violences font l'objet d'interventions policières mais il peut y avoir des failles, des erreurs, des fautes qui nécessitent de nous doter d'outils pour les empêcher, à commencer par les erreurs d'appréciation.

La confiance que je place dans les policiers et les gendarmes n'exclut pas le contrôle. C'est pourquoi j'ai saisi les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales pour évaluer l'accueil des victimes de violences sexuelles et sexistes dans tous les commissariats et dans toutes les brigades de gendarmerie de France. D'ici à la fin de cette année, plus de 400 commissariats et brigades auront fait l'objet d'un audit anonyme. Nous contacterons plus de 500 victimes qui se seront présentées dans des commissariats ou des brigades pour savoir comment elles ont été prises en charge et quel a été leur ressenti, tant il est vrai que le ressenti ne correspond pas toujours à la réalité. Mais, dans tous les cas, si le ressenti est négatif, c'est qu'il existe un problème. Je refuse donc que pour les violences faites aux femmes, l'on oppose sentiment et problème au même titre que je le refuse pour le ressenti et les problèmes d'insécurité. Qu'une personne ait le sentiment d'avoir été mal accueillie est une anomalie. Aussi, devons-nous faire en sorte que notre accueil soit irréprochable et adapté. Nous changerons, par conséquent, ce qui doit l'être.

Aucun auteur ne doit échapper à la justice, c'est une évidence. Il nous faut donc renforcer les partenariats, notamment avec les hôpitaux, afin que les victimes puissent porter plainte, même si elles ne sont pas en mesure de se déplacer. La police ou la gendarmerie se déplacera à l'hôpital pour entendre la plainte.

Nous allons généraliser la possibilité offerte aux victimes de porter plainte au sein des hôpitaux. Je souhaite que les préfets engagent des discussions au plus vite avec les agences régionales de santé et les établissements de santé et que les travaux nécessaires soient achevés au plus tôt afin de rendre ce dispositif opérationnel.

Dans le même esprit, nous allons renforcer la formation des policiers et des gendarmes pour qu'ils comprennent les enjeux et adoptent les bons comportements tout au long de leur carrière. En plus de la formation initiale qui est déjà assurée en école, je souhaite qu'un module de formation continue soit instauré ou renforcé à tous les moments de l'évolution de carrière de nos policiers et de gendarmes, afin qu'ils soient sensibilisés à cette problématique.

Ensuite, nous devons anticiper au maximum les drames et identifier au mieux les risques. L'enjeu vise à élaborer une grille d'évaluation du danger suffisamment rigoureuse pour que, là encore, aucun indice ne passe inaperçu. Cet outil aidera policiers et gendarmes dans leur travail, au moment de l'accueil, du dépôt de plainte, de l'instruction. Cet outil les protégera contre une erreur d'appréciation. N'oublions jamais que les policiers et les gendarmes, à l'instar des parlementaires, sont des femmes et des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses. Plus nous les aiderons, meilleurs seront les résultats.

La Fondation des droits des femmes nous a présenté l'idée d'un projet de grille d'évaluation ; nous l'avons reprise et elle accompagnera la démarche de la police et de la gendarmerie. L'idée consiste à prendre en compte un nombre de facteurs importants. Je pense aux violences verbales ou physiques, à la durée, à la répétition des faits, à la présence d'enfants au domicile ou à la possession d'une arme, par exemple parce que le conjoint, tireur sportif, en garderait une à son domicile. Cela fait partie des indices que nous devons retenir comme nous devons prendre en compte la consommation d'alcool ou de drogues, dont on sait qu'ils peuvent être des facteurs aggravants du passage à l'acte. Ces indicateurs permettent de disposer d'un faisceau d'indices susceptibles de conduire à une décision de protection toute particulière. Policiers et gendarmes seront ainsi en possession d'une évaluation fine du danger encouru et seront en mesure d'engager les mesures nécessaires à la bonne prise en charge des victimes.

Le débat ne porte pas sur le dépôt de plainte, la forme du dépôt de plainte, la main courante ou l'absence de procédure : même si la personne qui vient parler ne veut pas porter plainte, ne veut pas non plus déposer une main courante, il est nécessaire que l'on identifie un risque trop ou très élevé et agir, dirons-nous, presque malgré elle ; il faut surtout pouvoir lui faire des propositions, lui offrir des outils, lui indiquer les associations qui pourront l'accompagner et tous les acteurs qui sont mobilisés.

Nous avons demandé qu'un document soit systématiquement remis à la personne qui rappelle les grands dispositifs nationaux mais aussi, département par département, l'ensemble des structures susceptibles de l'accompagner. Parfois, la pression et la difficulté psychologique de l'entretien d'une femme violentée avec un policier rendent l'exercice difficile, elle peut oublier des informations. Nous voulons qu'elle dispose d'un guide pratique, concret, territorialisé, qui lui permette après quelques heures, voire quelques jours, de s'en servir et d'agir.

Nous ne devons pas perdre de temps sur ces sujets, mais aller vite. C'est la raison pour laquelle, dès le lendemain du Grenelle, j'ai adressé une circulaire à l'ensemble des préfets pour que nous progressions.

Je n'évoquerai pas toutes les mesures qui ont été décidées et lancées dans le cadre du Grenelle des violences faites aux femmes. Vous m'avez transmis un questionnaire auquel nous avons répondu et que je pourrai peut-être compléter en répondant à vos questions.

Une série de mesures a été annoncée, des mesures fortes, des mesures qui concernent tous les ministères, pas uniquement le ministère de l'Intérieur, des mesures qui ne pouvaient pas attendre. Il nous fallait agir vite mais agir vite ne signifie pas non plus se précipiter. Aussi, s'agissant du questionnaire d'évaluation des dangers, j'ai laissé quelques semaines à nos services pour nous présenter des propositions et surtout pour échanger avec les associations qui accompagnent les femmes victimes de ces violences.

Au moment du Grenelle des violences faites aux femmes, j'ai évoqué la possibilité d'établir dans chaque département des cellules dédiées à la prise en charge opérationnelle des victimes. J'ai demandé aux préfets de commencer à y travailler.

Ces cellules auront vocation à évaluer et à coordonner avec l'ensemble des acteurs impliqués tous les dispositifs d'accompagnement nécessaires aux victimes. Il n'est pas question qu'une personne porte plainte et soit ensuite livrée à elle-même. Il s'agit d'un engagement collectif sur lequel nous devons nous mobiliser.

Le cadre de travail de ces cellules sera informel. En lien avec les procureurs qui le souhaitent, les préfets devront arrêter la liste des participants, les modalités de rencontre, de sorte que, sous le secret des travaux, ces cellules puissent aborder les situations individuelles qui, dans le cadre de la procédure, ne permettent pas de déterminer précisément le niveau de preuve. Ces échanges permettront cependant de prendre des décisions, de mettre la victime potentielle en contact avec une association, avant même que la machine judiciaire soit lancée, afin d'éviter toute difficulté.

Dans notre esprit et celui du Gouvernement, le Grenelle des violences conjugales n'est pas un aboutissement, mais une étape de notre action, car bien des réflexions ont été lancées et aboutiront dans les semaines et dans les mois qui viennent, améliorant davantage encore le devenir d'un certain nombre d'actions concrètes sur lesquelles nous nous sommes engagés.

C'est une étape également pour la prise de conscience collective, y compris au sein de la police et de la gendarmerie, de la nécessité de porter une attention toute particulière au risque de laisser une femme repartir alors même qu'elle est menacée dans son intégrité physique, quelle que soit la forme de la menace qui pèse sur elle.

C'est une étape encore dans les dispositifs d'accompagnement. Le numéro 3919 a gagné en notoriété et chacune et chacun a bien compris, je crois, le fléau que constituent ces violences et peut-être a réalisé plus encore la nécessité d'agir.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, avec Laurent Nuñez et l'ensemble des membres du Gouvernement, nous gardons les yeux rivés sur un objectif simple : nous mobiliser pour que nous soyons les meilleurs, même si être meilleurs ne réglera pas entièrement le problème. D'aucuns pourront prétendre avoir des solutions miracles. Nous n'en avons pas, mais nous devons être totalement mobilisés. Je puis vous assurer que la lutte contre les violences conjugales et les violences faites aux femmes est et restera au coeur des objectifs de mon action au ministère de l'Intérieur.

Madame la présidente, je me tiens à la disposition de votre Délégation pour répondre à vos questions.

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