Intervention de Didier Pennequin

Réunion du jeudi 21 novembre 2019 à 10h10
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Didier Pennequin, directeur régional (Normandie) du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) :

Aujourd'hui, le BRGM travaille beaucoup dans le domaine de l'environnement, de l'eau, des pollutions, etc. Cela représente environ 70 % de notre activité actuelle. Nous sommes aussi un établissement public de recherche appliquée avec une mission d'appui aux politiques publiques, et c'est dans ce cadre-là que nous avons été sollicités pour travailler sur Lubrizol, notamment par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), le ministère de l'environnement, et l'ARS. On nous avait demandé de voir si nous pouvions caractériser cette pollution, pour pouvoir dimensionner le suivi. Ensuite, on nous avait demandé de l'aide pour voir ce qu'il fallait mettre en oeuvre pour sécuriser l'approvisionnement en eau potable.

Pour caractériser, nous avons rencontré beaucoup de difficultés, notamment parce qu'il y avait des incohérences entre les données fournies, entre les fiches de sécurité des produits et les fichiers de stockage. Il manquait des produits, avec quelques incohérences. Autre difficulté : les fiches de sécurité n'étaient pas très exhaustives. Nous ne connaissions pas tous les éléments présents dans les produits. Il y avait beaucoup de mélanges. De plus, c'était un incendie, c'est-à-dire une combustion incontrôlée. Tout n'a pas brûlé. Qu'est-ce qui est parti ? C'est un peu compliqué. Par ailleurs, des réactions s'opèrent dans le nuage et nous savons que les suies sont retombées. Elles ont sans doute changé de caractéristiques au fil du temps, en fonction de la distance. D'ailleurs, les personnes qui étaient à Rouen ont bien réalisé que la consistance des suies n'était sans doute pas la même dans la vallée de la Seine et sur les plateaux. Nous avons préconisé de recourir beaucoup au screening dans un premier temps. C'est un balayage très large pour repérer des pics qui correspondraient à des polluants, et ensuite recibler sur les polluants éventuels. Nous avons conseillé de faire ces screenings sur les suies dans la vallée et sur les plateaux, sur les sols, là où des suies seraient retombées, dans les eaux de ruissellement et dans les eaux souterraines, dans les eaux de la nappe.

Concernant la protection des captages, dans l'agglomération de Rouen, nous sommes sur de la craie. C'est une roche, un aquifère. Cela permet de véhiculer l'eau souterraine. C'est très compliqué, parce qu'il y a différents types d'écoulements, des écoulements classiques. Nous pouvons avoir des milieux poreux classiques comme le sable, mais nous avons également à l'autre bout des écoulements très rapides, que nous appelons des écoulements karstiques. Cela peut couler aussi vite que dans une rivière. Au fil du temps, l'eau a dissous la craie et généré des conduits, qui peuvent aller de quelques décimètres de diamètre à plusieurs mètres.

Ce système est très compliqué. Il faut réagir très vite. Notre travail consistait à établir les ouvrages qui étaient les plus vulnérables à ce type d'écoulement, sachant que nous avions une connaissance générale des choses, mais pas vraiment très précise ni très détaillée. Nous avons fait avec ce que nous avons pu, dans le temps imparti. Nous avons été conservateurs dans nos recommandations pour suivre un grand nombre de forages dans lesquels il fallait faire des screening. Tout récemment, nous avons eu une nouvelle demande de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM 76) pour analyser la pollution dans la nappe sur la boucle de Rouen, au droit du site et en aval. Cette nappe a souffert d'un passé industriel très important. Elle est déjà bien polluée à certains endroits. C'est quelque chose qui vient de nous être demandé. Nous allons émettre un rapport à ce niveau-là.

Concernant le risque à long terme pour les points de captage, pour l'instant, je pense que nous ne pouvons pas vraiment répondre à cette question. Les opérations de screening sont en cours. Le plus grand risque était à mon sens ce qui pouvait venir dans les jours qui ont suivi la catastrophe, si cette pollution s'infiltrait directement dans les karsts, par le biais de bétoires, qui sont des conduits verticaux reliés aux karsts. Ce sont des karsts aussi. Cela fait partie des réseaux karstiques. Comme il a beaucoup plu durant cet épisode, les eaux de ruissellement pouvaient entraîner des polluants vers les captages d'eau. C'est à ce moment que les risques étaient les plus importants. Nous pouvons avoir des infiltrations beaucoup plus lentes et qui percoleront des polluants plus tard. Je pense que le risque est moins important mais réel. Il existe et il faudra faire un suivi sur le plus long terme. À mon sens, les risques les plus aigus étaient vraiment dans les premières heures. Nous n'avons pas pu tout voir. Effectivement, il faut le temps de faire les screening et les analyses, ce n'est pas évident. Nous ne pouvons pas savoir ce qui est passé.

La question suivante est plutôt philosophique. Rouen a toujours été une ville industrielle, avec des pollutions qui restent. Idéalement, les sites Seveso avec un gros stockage ne devraient pas être placés à proximité des habitations ou des lieux de travail, mais plutôt quelque part où l'impact pourrait être moindre. En tout cas, il ne faut surtout pas mettre cela dans les endroits qui peuvent mettre en péril à la fois les populations et l'eau potable.

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