Intervention de Stéphane Pénet

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 14h05
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité (ADR) à la FFA :

Nous sommes venus en task force. Nous avons essayé d'avoir un peu toutes les compétences ici pour répondre à vos questions.

Je vais rapidement présenter les personnes ici présentes. Nous avons M. Philippe Demeulle qui est responsable du pôle développement prévention entreprises chez Allianz France ; M. Nicolas Dzubanowski qui est souscripteur expert en risques environnementaux chez Allianz Global corporate, qui est l'entité des grands risques du groupe Allianz ; nous avons M. David Besse, conseiller juridique senior chez Altradius, qui est une société très active sur le marché des garanties financières et des cautions délivrées à des entreprises type « installations classées pour la protection de l'environnement » (ICPE) ou de type « Seveso ». Voilà pour les experts.

Nous avons ensuite des représentants de la Fédération française de l'assurance, Flora Guillier, qui travaille dans mon équipe et qui est plus spécifiquement spécialisée en prévention des risques d'entreprises ; Anne-Marie Papeix, plus spécifiquement spécialisée sur les questions de responsabilité civile et environnementale ; et enfin Ludivine Azria et Arnaud Giros qui font partie de l'équipe des affaires parlementaires, au sein de la FFA.

J'ai bien noté toutes les questions. Si vous êtes d'accord, nous allons essayer avec Anne-Marie, en dix ou douze minutes, de vous dresser un peu le panorama des contrats d'assurance susceptibles d'être actionnés lors d'un événement tel que celui que nous avons malheureusement vécu à Rouen en septembre dernier.

Nous partons du principe assez simple selon lequel, en cas d'accident industriel, il y a en général un ou des responsables et des victimes. Ce sont à la fois les contrats d'assurance des victimes et les contrats d'assurance du ou des responsables qui sont amenés à jouer.

Dans la théorie absolue et dans le droit, c'est le ou les responsable(s) qui doivent indemniser tous les préjudices de toutes les victimes ; c'est le principe. Le problème c'est qu'entre le moment où l'accident se produit et le moment où les responsabilités vont être clairement établies, un certain laps de temps va s'écouler, qui peut se compter en années. En attendant, nous avons des victimes qui ont subi des préjudices.

Je vais d'abord parler de ces victimes, pour vous dire un peu comment fonctionnent les contrats dans ce laps de temps, c'est le temps dans lequel nous sommes actuellement pour l'affaire de Rouen.

Dans ces cas-là, ce sont les contrats d'assurance dommages directs des victimes qui vont jouer. Ce sont d'abord des dommages corporels, (il y en a eu peu dans ce cas précis et à court terme), j'élargis aux accidents industriels pour vous donner un aspect global, je ne vais pas me focaliser sur Lubrizol. Il peut y avoir des gens blessés, des gens décédés ; des habitations, des véhicules, des entreprises, des collectivités locales, des exploitations agricoles peuvent être endommagées.

Nous avons donc toute une série d'acteurs qui subissent cet accident et qui font valoir des préjudices. Ne pouvant réclamer leur dû auprès d'un responsable désigné tant que les responsabilités ne sont pas établies, ils déclarent leurs sinistres à leurs propres assureurs, qui sont des assureurs dommages. Ces assurances interviennent, ce sont les assurances multirisques habitation, les multirisques commerce et les contrats dommages couvrant les biens des collectivités locales ou les exploitants agricoles qui joueront en fonction des conditions contractuelles de ces contrats. Tous ces contrats sont optionnels, ils peuvent être variables.

Les contrats sont plus ou moins importants en matière de garanties et c'est sous cet aspect contractuel que jouera l'ensemble de ces garanties.

En ce qui concerne Lubrizol, nous avons eu environ 2 000 déclarations de sinistres faites aux assureurs directs, que ce soit des assureurs habitation, entreprises, agricoles ou autres. Il s'agissait pour beaucoup de dommages causés par les fumées, des dommages matériels, des nettoyages de maisons, de véhicules. Nous avons pu avoir aussi quelques commerces et entreprises incendiés aux alentours du lieu, avec éventuellement aussi des pertes d'exploitation, c'est-à-dire que ces gens ont dû fermer leur boutique ou activité à cause de l'incendie subi. S'ils ont souscrit la garantie perte d'exploitation, j'insiste sur le fait que tous ces contrats sont optionnels, ces personnes seront aussi indemnisées sur leur perte d'exploitation le temps que leur commerce ou leur entreprise soit réparé.

Ces indemnisations qui sont en cours peuvent prendre un peu plus de temps, parce qu'il peut y avoir des situations où l'établissement des dommages peut être plus long. Légitimement, les assureurs peuvent ensuite, une fois les responsabilités établies, se retourner contre un éventuel responsable.

Ces assureurs sont en quelque sorte les financeurs en première ligne des dommages, mais agissant dans le domaine contractuel.

Une fois que les responsabilités auront été totalement établies, les assureurs peuvent effectivement se retourner contre le responsable, par le biais du recours subrogatoire, en exigeant d'être remboursés des indemnisations qu'ils auront versées.

Contractuellement, il est possible d'avoir des franchises ou des plafonds de garanties. À partir du moment où l'assuré lui-même a des découverts de garanties, il peut aussi se retourner directement contre le responsable, pour venir compléter ce que son assureur lui aura versé sur la base contractuelle.

En ce qui concerne le recours des assureurs directs, le responsable peut légitimement se poser la question de justifier ce qui a été versé dans un premier temps par l'assureur direct. Se pose alors le problème des expertises. Dans ces cas-là, elles doivent être contradictoires entre celui qui aura indemnisé et celui qui in fine, devra payer. La Fédération française de l'assurance, que je représente ici, organise alors entre les assureurs des conventions d'expertise. Nous nous mettons d'accord pour simplifier les processus d'expertise. Je pourrai vous les donner en détail si vous le souhaitez, mais cela consiste à éviter d'avoir systématiquement des expertises judiciaires ou contradictoires, qui permettent ensuite de ne pas contester l'éventuel recours qui sera fait auprès du responsable. Je me noie un peu dans la technique mais sachez qu'il s'agit là d'un sujet que nous savons, en général, bien gérer. Nous l'avons géré pour ce type d'accident mais aussi, par exemple, lors de l'explosion de la rue de Trévise, à Paris où beaucoup d'assureurs étaient concernés, sans responsabilité établie dans un premier temps.

Dans ces cas-là, il faut organiser les choses de manière intelligente pour que cela avance et pour aboutir à une simplification des processus d'expertise.

Je vais ensuite dire un petit mot sur la garantie catastrophe technologique et répondre à une de vos questions.

Lors de la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques technologiques, dite loi Bachelot, le législateur avait imposé à tous les assureurs couvrant un véhicule ou un logement d'adjoindre, dans les contrats dommages, une garantie « catastrophe technologique ». Cette garantie, totalement encadrée par la loi, définit les conditions dans lesquelles doivent être indemnisées les victimes de catastrophes technologiques, dans le cadre de l'assurance dommages. Nous sommes toujours dans cette indemnisation immédiate, en attendant de connaître les responsabilités.

Les modalités d'indemnisation sont assez bonnes, elles sont en général meilleures que celles fixées par les contrats, puisqu'elles interdisent les franchises et imposent de rembourser sans vétusté, sans plafond de garantie pour les dommages immobiliers. Elles sont donc dérogatoires au contrat auquel elles sont rattachées.

Aujourd'hui, tous les contrats multirisques habitation, commerce, automobile avec garantie dommages, contiennent cette garantie. Mais pour qu'elle fonctionne, il faut une déclaration « d'état de catastrophe technologique » par les pouvoirs publics, la loi précisant que cette déclaration d'état de catastrophe technologique ne peut intervenir qu'à partir du moment où 500 habitations au moins ont été rendues inhabitables du fait de l'accident.

Je ferme tout de suite la parenthèse de cet état catastrophe technologique car depuis 2003, l'état de catastrophe technologique n'a jamais été décrété en France. Nous pouvons nous en réjouir parce que cela veut dire qu'il n'y a pas eu d'accident majeur qui ait endommagé plus de 500 habitations. Pour Lubrizol, cela n'a pas non plus été le cas.

Ce sont donc les conditions contractuelles des contrats optionnels qui ont été souscrits par chacun qui joueront.

Je fais un petit aparté en ce qui concerne le secteur agricole. Les exploitations agricoles sont couvertes par des contrats de dommages aux biens pour ce qui concerne les bâtiments ou le matériel. Pour les productions, que ce soit les productions laitières ou les récoltes non engrangées qui auraient pu être endommagées ou interdites à la commercialisation du fait de cet accident, il n'y a pas aujourd'hui de contrat d'assurance couvrant ce type de préjudice. Les assureurs développent des assurances dites « climatiques » qui couvrent les récoltes non engrangées pour des raisons de type sécheresse, inondation, tempêtes ou autres, mais il n'existe pas aujourd'hui de contrat couvrant les dommages causés par l'environnement. Je précise que la profession agricole s'est organisée pour créer elle-même son propre fonds qui s'appelle le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FSEM), auquel cotisent tous les exploitants agricoles et qui permet de faire face, de manière professionnelle, à ce type de préjudice.

Voilà globalement le premier « lot » de contrats qui continuent de jouer en ce moment.

Ensuite, nous avons les contrats souscrits par le responsable. Il va falloir qu'on établisse qui est responsable, nous allons supposer qu'aujourd'hui nous le savons, nous allons prendre un cas de figure.

Le responsable a d'abord des dommages qui lui sont propres. Son appareil de production a pu être totalement endommagé, il a pu subir des pertes d'exploitation liées au temps de la réparation, pendant lequel il va devoir faire face à ses charges fixes. Il a donc une perte financière liée à cette interruption d'activité. Il existe des contrats d'assurance qui couvrent ces risques industriels, cela va de la petite entreprise jusqu'à l'entreprise de type Seveso.

Vous le dites vous-même, il peut y avoir des programmes d'assurance qui couvrent un ensemble d'entreprises, les spécialistes pourront détailler le fonctionnement de ce type de contrat.

Il y a des acteurs assez importants en France. Concernant des risques spécifiques surtout des risques industriels, ce ne sont pas tous les assureurs qui ont aujourd'hui une ingénierie préventionniste de souscription, en tout cas suffisante pour souscrire ce type de risques, mais nous avons, ici, un certain nombre de représentants qui pourront détailler davantage les questions que vous venez de poser.

Après ses dommages propres, il va y avoir la mise en cause de la responsabilité de cette entreprise. Là, nous passons dans un autre type de contrats qui accompagnent les responsabilités de ces entreprises, que l'on appelle les garanties dites « de responsabilité », d'une manière générale. Je vais laisser Anne-Marie vous détailler ce type de contrat et nous aurons ainsi fait le tour, avant de répondre aux différentes questions que vous avez posées.

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