Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur le président, je ne peux pas répondre à la question que vous m'avez posée tout à l'heure au sujet de l'indemnisation et du document que les personnes concernées doivent signer, car ce point juridique n'entre pas dans le champ de mon ministère.

Madame Firmin Le Bodo, vous m'avez interrogée au sujet du lait maternel. Des prélèvements sur l'urine et le lait ont été prescrits par des médecins traitants pour neuf femmes allaitant et habitant la région rouennaise, pour l'analyse de trois sous-produits de la pyrolyse que l'on peut détecter à la suite d'accidents industriels et d'incendies : le toluène, l'éthylbenzène et le xylène. Ces prélèvements ont été réalisés le 7 octobre par le CHU de Rouen, soit dix jours après l'incendie, et analysés au CHU de Limoges. Cela n'entre pas dans le cadre d'une étude de recherche menée par le CHU de Rouen.

De nouveaux prélèvements ont été réalisés pour ces mêmes femmes les 13 et 14 novembre. Des échantillons de lait congelé stockés au CHU de Rouen avant l'incendie de l'usine Lubrizol ont aussi été analysés, ainsi que des échantillons de lait de femmes résidant ailleurs, afin d'avoir une idée de l'imprégnation de fond de la population.

Les substances recherchées ont été retrouvées dans les prélèvements réalisés pour les femmes rouennaises – à une concentration comprise entre quelques picogrammes et quelques dizaines de picogrammes par litre. Toutefois, l'association entre ces résultats biologiques et l'incendie de l'usine Lubrizol ne peut être établie et il convient d'interpréter avec prudence les données brutes de ces analyses. Il existe, en effet, différentes voies d'exposition à ces trois substances – or nous n'avons pas d'informations précises sur l'exposition possible de ces femmes à celles-ci – et la présence de ces substances dans les urines et le lait est difficilement interprétable, au vu de leur absence dans les prélèvements environnementaux, d'une part, et de la demi-vie de ces substances, d'autre part.

Les analyses de l'air réalisées par l'INERIS à la suite de l'incendie de Lubrizol les 26 et 27 septembre dernier en plusieurs points de l'agglomération rouennaise n'ont pas mis en évidence de contamination de l'air par le toluène, l'éthylbenzène et le xylène : toutes les valeurs mesurées étaient inférieures à la limite de quantification. Très volatiles, ces substances ne sont pas rémanentes dans l'environnement et ont des demi-vies très courtes dans l'air, de l'ordre de vingt-quatre heures.

J'en viens aux résultats des analyses comparatives avec des laits maternels et des urines provenant d'autres villes, ou réalisées à Rouen avant l'incendie. Ces substances ont été retrouvées dans le lait prélevé avant le 26 septembre, c'est-à-dire avant l'incendie, de cinq femmes résidant à Rouen, dans le lait de huit femmes résidant à Dijon ou à Lille et dans les urines de dix femmes résidant à Toulouse ou à Dijon.

D'après les toxicologues du CHU de Rouen, les différentes concentrations retrouvées et leur variation dans le temps pour les femmes rouennaises sont impossibles à interpréter, car les effectifs et le nombre de prélèvements par femme sont trop limités. L'analyse statistique retrouve significativement plus d'éthylbenzène dans le lait du 7 octobre, par rapport aux échantillons prélevés avant le 26 septembre, mais les échantillons prélevés le 7 octobre semblent trop distants de l'incident pour que l'on puisse établir un lien.

Ces résultats tendent à démontrer que les valeurs mesurées dans les prélèvements des femmes rouennaises correspondent à un « bruit de fond », qui est observé à Rouen avant l'incendie, mais également dans d'autres villes de France. Les recommandations concernant l'allaitement maternel à la suite de l'incendie de Lubrizol ne sont donc pas remises en cause et demeurent inchangées : il n'y a pas de contre-indication à l'allaitement maternel dans la région rouennaise. Il convient par ailleurs de rappeler que le suivi sanitaire de la population a été élaboré par les scientifiques de Santé Publique France.

J'en viens à votre deuxième question, qui portait sur l'ordre des médecins. Il serait effectivement utile d'établir une convention avec celui-ci : nous y travaillons, mais ce n'est pas facile. L'ordre des pharmaciens dispose d'un système d'alerte plus rapide que celui des médecins, grâce au dossier pharmaceutique qui existe dans toutes les officines.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé la proportion de praticiens inscrits dans la base de données de « DGS-urgent ». La grande majorité d'entre eux y figure, mais il y a constamment de nouveaux entrants et des sortants dans les professions de santé, si bien qu'il est impossible d'avoir des informations parfaitement à jour et de s'adresser à tous les personnels de santé de façon exhaustive. J'ajoute que tout professionnel a le droit, de façon proactive, de s'inscrire à « DGS-urgent ».

Monsieur Lassalle m'a demandé si nous avions déjà connu pareille catastrophe. Chaque accident est singulier, mais je songe évidemment à l'explosion de l'usine AZF, dont les conséquences ont été très lourdes, puisqu'elle a causé des morts, des blessés et d'importantes destructions. D'une certaine façon, je crois que l'accident d'AZF nous a un peu « prémédiqués », si vous me permettez ce terme médical. Le matin de l'incendie de l'usine Lubrizol, nous avons été soulagés de voir qu'il n'y avait pas d'explosion, mais ce soulagement nous a peut-être fait oublier qu'il fallait aussi rassurer la population au sujet du panache de fumée. Je songe aussi à la catastrophe de Seveso, en Italie, qui fut beaucoup plus grave, puisque c'est de la dioxine qui s'est répandue massivement dans l'environnement, avec des conséquences dramatiques pour la population.

La grande nouveauté, en matière de gestion de crise, c'est l'impact des réseaux sociaux, qui favorisent la diffusion des fausses informations et compliquent la tâche des services de l'État. Ces derniers font des conférences de presse, alertent les professionnels, ont leur propre chaîne de commandement et leurs propres réseaux de communication, mais il leur est tout de même difficile de contrecarrer l'influence des réseaux sociaux.

Vous m'interrogez, monsieur Millienne, sur ce que vous appelez des « messages contradictoires » ; votre question rejoint celle de Mme Natalia Pouzyreff au sujet de la culture du risque. Il me paraît important de mener un travail d'éducation du public sur ce qu'est un risque, d'une part, et d'améliorer la culture scientifique dans notre pays, d'autre part. Il faut faire comprendre à la population qu'on peut ne pas savoir quelque chose et qu'il est légitime, à un moment donné, de ne pas savoir. Le pire, c'est de vouloir trop en dire quand on ne sait pas ou de ne pas oser dire qu'on ne sait pas. Pour ma part, je veille toujours à dire que je ne sais pas quelque chose, lorsque c'est le cas. En matière de communication, moins on est nombreux et mieux c'est ! L'idéal aurait été d'avoir un seul porte-parole, afin d'éviter les messages contradictoires. Le problème, c'est que nous avons été confrontés à des sujets d'ordre environnemental, industriel, agricole et sanitaire, qui impliquaient de nombreux ministres, y compris celui de l'intérieur, pour l'intervention des pompiers.

Il faut aussi faire preuve de bon sens : tant qu'on ne sait pas s'il y a un danger, on met les gens à l'abri. Certaines personnes nous disaient que si on leur demandait de mettre des gants pour toucher les suies, c'est qu'elles étaient toxiques. En réalité, c'est parce que je ne savais pas si elles l'étaient que je leur ai demandé de ne pas les toucher. Mais cette idée est très difficile à faire passer…

La transparence est indispensable et elle doit être très précoce, y compris – et même surtout – quand on ne sait pas : moins on sait, plus il faut le dire vite. Il importe de mieux associer les professionnels de santé à ce travail de communication, car ils sont apaisants. Les URPS n'ont manifestement pas été le bon canal et les documents d'information que nous leur avons proposés n'étaient probablement pas assez précis. C'est une leçon à tirer : il aurait sans doute été préférable que l'ARS produise des documents d'information à destination des professionnels, au lieu de leur fournir des informations brutes. Ces informations, soit les professionnels ne les ont pas diffusées à leur réseau, soit ils n'ont pas su s'en emparer. La transparence est la meilleure arme contre les fake news : il faut organiser des conférences de presse et utiliser les organisations non gouvernementales (ONG), qui sont aussi un vecteur de confiance.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogée sur la fiabilité des chiffres dans les services d'urgence. Nous avons un système de surveillance permanent dans les services d'urgence, qui nous permet d'identifier la cause de chaque passage – nous connaissons par exemple le nombre de visites liées à la grippe. Nous effectuons également un suivi syndromique, qui permet au ministère de repérer des risques, car certains syndromes, comme les nausées ou les vomissements, doivent nous alerter. Santé publique France recueille ces informations en temps réel, qui sont extrêmement fiables.

Je n'ai pas encore reçu les analyses environnementales qui devaient nous être remises aujourd'hui : il faudra interroger la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous me demandez aussi pourquoi nous ne lancerons qu'en juillet le suivi des pathologies à long terme. Je rappellerai d'abord que nous parlons de pathologies chroniques – pathologiques cardiovasculaires, cancer – qui n'apparaissent pas immédiatement. Par ailleurs, nous devons commencer par faire un bilan de l'état de santé de la population rouennaise avant l'accident, notamment de ses facteurs de risque particuliers, pour avoir une référence à l'instant t zéro. Nous devons aussi attendre le rapport environnemental, afin de savoir si certaines substances sont susceptibles de causer des pathologies particulières.

Le ministère des solidarités et de la santé n'a pas été consulté au sujet de la réouverture de l'usine Lubrizol : il ne s'exprime jamais sur l'ouverture d'un site industriel.

Je crois avoir répondu à toutes vos questions. Pour résumer, je pense que le rôle des professionnels de santé devrait être mieux valorisé, qu'il importe de faire un travail d'éducation de la population et que nous devons mobiliser davantage les collectifs de citoyens et les ONG. Aujourd'hui, les collectifs de citoyens peuvent s'adresser aux médecins traitants et à Santé Publique France pour partager leur ressenti et contribuer au suivi de l'impact sanitaire, psychologique et social de l'événement.

Les défis écologiques sont devant nous. Nous connaîtrons d'autres événements de ce type, probablement très différents – car ils sont tous différents. Nous apprenons de chaque événement, mais tout nouvel événement nécessite une adaptation. Ce qui me paraît évident, c'est que nous devons renforcer la coordination interministérielle pour faire face aux événements liés au changement climatique. Je pense notamment aux canicules, qui seront fréquentes à l'avenir, mais auxquelles notre société n'est pas du tout préparée. Aujourd'hui, nous gérons chaque canicule comme une crise, alors que nous devrions modifier nos comportements et notre environnement en profondeur. C'est une question cruciale pour mon ministère.

La Convention citoyenne pour le climat réfléchit à ces questions environnementales et, dans le cadre du comité interministériel pour la santé, animé par le Premier ministre, nous lancerons en février le nouveau plan national santé-environnement, dans lequel ces sujets seront abordés de manière spécifique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.