Intervention de Pierre Roger

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Pierre Roger, secrétaire national en charge du secteur protection sociale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) :

Je vais essayer de ne pas être trop redondant.

Une question intéressante a été posée sur la durée hebdomadaire de travail. Je suis quant à moi tout à fait favorable à l'idée de faire à nouveau cotiser sur les heures supplémentaires. Par ailleurs, je vous rappelle qu'une partie des cadres sont au forfait et que ceux qui ne le sont pas en font assez fréquemment. Si vous pensez que l'augmentation des heures supplémentaires permettra d'équilibrer le compte, je suis d'accord avec vous : encore faut-il qu'elles soient soumises à cotisation. Commencez donc par rétablir, comme prévoyait la « loi Veil », la compensation des 17 milliards que vous avez si facilement balancés dans la nature suite au mouvement des « gilets jaunes », et l'équilibre sera déjà nettement amélioré !

Cela a été dit, l'équilibre du système pour 2027, avec un déficit inférieur à 0,2 ou 0,3 point de PIB, est lié à un problème de recettes, non de dépenses. Avant de toucher à l'âge d'équilibre et de faire payer les salariés, peut-être faudrait-il aussi s'occuper de l'employabilité des seniors, ce qui aurait pu être fait un peu plus tôt en s'attaquant au problème de la retraite progressive, sans être obligé d'instaurer une réforme dite universelle.

Pourquoi le mécanisme de la retraite progressive est-il si peu utilisé ? La situation de la France est à cet égard assez schizophrénique : le senior est parfois considéré comme essentiel pour son entreprise et il est surchargé de travail – au point d'être parfois totalement épuisé en prenant sa retraite, mais souvent, nombre de seniors, pour des raisons économiques, en raison d'un déclassement ou autre, se voient « mis au placard », quand ils ne sont pas poussés à la rupture conventionnelle... Le système est complètement binaire.

Si la retraite progressive ne fonctionne pas, c'est parce que les employeurs craignent – de manière infondée, quoique je puisse le comprendre – de se retrouver demain avec des bataillons de seniors qui resteront jusqu'à 66, 67 ou 68 ans, et de se retrouver confrontés à des problèmes de gestion de personnel et d'organisation de services. Dès lors qu'ils peuvent s'opposer à une demande de retraite progressive, ils ne s'en privent pas et la refusent.

Nous avons fait des propositions, comme nos collègues. Nous avons même rencontré le directeur de cabinet de Mme Pénicaud, lequel estime que la retraite progressive pourrait être proposée à 58 ans – je lui ai fait remarquer que cela ne serait pas sans poser des problèmes avec les employeurs. Nous avons quant à nous proposé que chaque salarié, y compris au forfait – c'est dans le projet de loi – puisse demander la retraite progressive jusqu'à la limite de l'âge pivot ou d'équilibre, au taux plein, sans décote. C'est seulement s'il veut rester dans l'entreprise au-delà de cette limite qu'il devrait demander l'accord de son employeur. Cela résoudrait bien des problèmes.

Le texte en l'état se borne à prévoir la possibilité d'une retraite progressive pour les cadres au forfait mais il suffira à l'employeur d'invoquer des raisons de service pour s'y opposer. De plus, elle ne sera pas possible avant 62 ans, contre 60 ans aujourd'hui. Et on nous parle de l'employabilité des seniors ! Sans doute faudra-t-il lever ces contradictions, car il faut être logique : si l'on veut parvenir à un équilibre des financements, il faut aussi permettre que les gens puissent cotiser. Le report d'âge n'est pas le seul critère, je suis bien d'accord : il faut jouer sur l'ensemble des paramètres. La retraite progressive en est un exemple-type.

Vous dites faire confiance aux organisations syndicales et vous nous appelez à prendre toute notre place. Nous vous en remercions : ce n'était pas si évident durant ces deux dernières années. Reste que le mode de gouvernance prévu par le projet de loi ne nous laisse qu'un rôle très limité. Le Parlement doit être bien évidemment en première ligne, nous ne l'avons jamais contesté, mais la gouvernance telle que nous connaissons, comme cela a été rappelé, fonctionne : l'AGIRC-ARRCO n'a pas de dette, nous avons toujours su prendre nos responsabilités – depuis dix ans, j'ai participé à bien des négociations. Encore faut-il pouvoir jouer sur l'ensemble des paramètres, ce que ne prévoit pas le texte, quand bien même nous pourrons donner des avis.

Un pilotage intelligent et efficace suppose aussi d'avoir la main sur les réserves. Je vous l'ai dit, aucun système ne pourra fonctionner s'il ne dispose pas de réserves pour pallier les coups durs.

Je comprends la position de principe de mes collègues de la CFDT à propos des 3 PASS, mais la mienne sera beaucoup plus pragmatique. La réduction à 3 PASS accélérera certes pour certains le passage à la capitalisation, je n'y reviens pas, mais les droits acquis, vous en êtes tous d'accord, devront être payés. Sans doute avez-vous eu connaissance des notes de l'AGIRC-ARRCO, qui sont très claires : il faudra trouver 65 milliards pour ce faire. En outre, il faudra financer la transition. Comment ferez-vous ? Vous aurez deux possibilités : soit payer les droits acquis de ceux qui gagnent plus de 3 PASS avec les réserves, soit les faire payer par tous ceux qui en gagnent moins de trois. Où est la justice, là-dedans ? Fatalement, cela pèsera encore un peu plus sur l'équilibre du système. Lorsque ces réserves auront été consommées pour maintenir l'équilibre, au premier choc économique, nous n'aurons plus rien pour soutenir le système que vous proposez., sinon en augmentant encore un peu plus l'âge d'équilibre, sachant que l'âge moyen en bonne santé se situe à 64, 65 ans. Mais les Français ne vous suivront peut-être pas, d'autant, ne l'oubliez pas, que les retraités sont ceux qui votent le plus et qu'ils n'auront pas la mémoire courte... Je vous engage donc à faire preuve de la plus grande prudence.

Pour ce qui est de la pénibilité, je ne comprends pas que l'on puisse demander plus de justice sans reconnaître que les critères que vous avez supprimés sont nécessaires. Si vous demandez aux Français de faire des efforts, il me semble que la moindre des choses serait de savoir faire marche arrière sur ce point. Les CHSCT ont été supprimés ; on a vu ce que cela a donné dans une usine de Rouen. Aujourd'hui, on est bien embêté avec des risques chimiques : ils sont pourtant bien réels et il y en a d'autres, malheureusement.

Il n'y a pas eu de négociation en la matière et vous souhaitez la renvoyer aux branches. Pourquoi pas ? Quoi qu'il en soit, il faut selon moi récompenser les entreprises qui font des efforts ou pénaliser celles qui n'en font pas. Par ailleurs, en fait de responsabilité sociale des entreprises, bien des jeunes refusent de travailler dans telle ou telle boîte faute d'en partager les valeurs. C'est peut-être un autre monde, une autre génération, mais c'est ainsi qu'ils raisonnent désormais. Si des entreprises font des efforts et que d'autres les refusent, les premières auront tout avantage à le faire savoir car c'est plutôt vers elles que se tourneront les jeunes. Il ne faut pas être naïf : l'absence d'effort doit être pénalisée d'une manière ou d'une autre.

Nous participerons bien évidemment à la conférence sur le financement mais, comme mes collègues l'ont dit, le Gouvernement fait preuve d'une immense confiance dans les négociations avec les organisations syndicales... La lettre du Premier ministre est très encadrée. Et à voir les marges de manoeuvre qu'il nous laisse, on sent que ce sera compliqué... Nous essaierons d'avancer, nous ne renoncerons pas, mais nous aurions aimé que l'on nous fasse tout de même un peu confiance en nous laissant un peu plus de latitude. Pendant deux ans, cela n'a pas pu être fait car la concertation ne s'est pas caractérisée par une grande capacité d'écoute. Nous avons entendu des choses, les discussions ont été nombreuses, mais nous n'avons pas été écoutés. En voici une nouvelle occasion ; nous verrons bien si cette conférence est un coup d'épée dans l'eau ou non. Je vous rappelle que, selon le Conseil d'État, elle est seulement habilitée à donner un avis consultatif, ce qui donne toute liberté au Gouvernement, puis, à vous, la représentation nationale, de prendre vos responsabilités sur ce que sera, demain, le financement.

Je vous prie de m'excuser si je n'ai pas répondu à certaines questions mais je gage que nous aurons l'occasion d'y revenir.

Enfin, ne soyez pas vexés de n'avoir en face de vous que les secrétaires nationaux en charge de ces dossiers ; mais regardez les CV des personnes que l'on vous a envoyées, et vous verrez qu'en général, ce ne sont pas des troisièmes couteaux.

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