Intervention de Pierre-Louis Bras

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Je vous remercie pour cette invitation. Je suis à votre disposition pour vous apporter tous les éléments dont vous aurez besoin sur le système actuel de retraite – c'est la mission du COR d'en suivre l'évolution –, mais je concentrerai mon propos liminaire sur le Conseil lui-même, dont la transformation est prévue à l'article 56 du projet de loi.

Le COR est maintenu nominalement, mais il est vidé de sa substance : toutes les missions qu'il exerce sont confiées à un comité d'expertise indépendant des retraites (CEIR). La seule qu'il conserve, l'élaboration de recommandations à partir des travaux de ce comité, le COR ne pourra pas la remplir en raison de sa composition. Il réunit, comme vous le savez, des parlementaires de tous bords de l'Assemblée nationale et du Sénat, l'ensemble des organisations de salariés et d'employeurs, des représentants des exploitants agricoles et des professions libérales. Ensemble, nous savons construire le dialogue et nous arrivons toujours à un accord sur des éléments de diagnostic, les indicateurs ou les données. Mais, compte tenu de la diversité de ses membres, établir des recommandations communes est mission quasi impossible. Je n'ai pas la prétention d'arriver à réconcilier un sénateur socialiste et un sénateur républicain ou le MEDEF et la CGT sur l'avenir des retraites...

En outre, les missions confiées au comité indépendant me paraissent inadaptées. Ainsi, il est chargé de suivre l'évolution des écarts et des inégalités de pensions entre hommes et femmes, et d'analyser les phénomènes pénalisant les retraites des femmes. C'était, jusqu'à présent, notre mission et nous avons essayé de nous en acquitter. La légitimité de six experts indépendants pour élaborer de telles données et les indicateurs qui les accompagnent est relativement limitée, car ce travail d'expertise doit être construit sous le contrôle et l'oeil vigilant des différentes parties prenantes au système de retraite, notamment les partenaires sociaux.

Pourquoi une telle évolution ? En lisant l'exposé des motifs, et même l'étude d'impact, j'ai trouvé les éléments descriptifs de l'évolution, mais pas d'explication argumentée. Lorsque j'ai essayé de comprendre, personne ne m'a dit que le COR avait failli dans ses missions. L'actuel secrétaire d'État aux retraites est sans doute le mieux placé pour en juger, puisqu'il en était membre jusqu'à sa nomination et participait assidûment à nos réunions. Du reste, le Premier ministre, il y a encore quelques mois, nous commandait un nouveau rapport.

L'argument régulièrement avancé en faveur de cette nécessité de changement est la modification complète de la gouvernance du système : comme les partenaires sociaux héritent d'un rôle majeur au sein du conseil d'administration de la nouvelle caisse, ils ne sauraient être juges et parties. Certains craignent que, devant équilibrer le système de retraite dans le cadre de la fameuse règle d'or, ils n'utilisent leur position au COR pour émettre des hypothèses optimistes, qui faciliteraient ensuite leur travail de négociation. Cela me semble infondé pour trois raisons.

D'abord, le COR a toujours travaillé sur les hypothèses du Gouvernement pour les cinq ans à venir – horizon de la règle d'or. Nous n'inventons pas de nouvelles hypothèses économiques ; les partenaires sociaux n'en sont donc pas juges. Je récuse également l'idée selon laquelle les partenaires sociaux auraient un biais d'optimisme. Pour travailler avec eux depuis longtemps, je les sais conscients des contraintes économiques. En outre, même si certains étaient trop optimistes, d'autres, pour d'autres raisons, pourraient avoir un biais de pessimisme, rétablissant ainsi l'équilibre.

Ensuite, le COR ne choisit pas une unique hypothèse, mais ouvre un spectre, renvoyant à ceux qui sont aux responsabilités le soin de décider de l'hypothèse de référence. D'ailleurs, pour construire cette réforme, le Gouvernement n'a pas choisi comme référence l'hypothèse la plus pessimiste du COR. De même, lorsqu'il a fixé l'objectif de la conférence sur le financement, il n'a pas pris la convention la plus dégradée.

Enfin, le COR n'est pas uniquement composé de partenaires sociaux. Y sont également représentés les parlementaires, qui peuvent peser sur nos décisions, ainsi que des experts issus de toutes les administrations – direction du Trésor, direction du budget, direction de la sécurité sociale, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités et de la santé –, toutes personnes qui ne sont pas connues pour leur optimisme échevelé ou pour leur laxisme budgétaire ! S'il prenait l'envie à un membre du COR d'imaginer que demain on rasera gratis, pour parler trivialement, toutes ces directions nous ramèneraient rapidement à la raison. Et le président du COR ne construit pas ses travaux en les écartant. Pour toutes ces raisons, l'argument des partenaires sociaux à la fois juges et parties demain est mal fondé.

Il est certes possible que les nouvelles modalités de gouvernance impliquent des changements. Je ne le nie pas. Lorsque tout bouge autour de soi, personne ne peut prétendre que l'institution qu'il représente soit le seul point fixe. Toutefois, je ne vois pas pourquoi on se priverait d'un lieu de dialogue apaisé, plus ou moins consensuel. Certes, nous n'émettons pas de recommandations, mais nous arrivons à rassembler toutes les parties prenantes sur un diagnostic et des données incontestables. Dans un monde où la défiance vis-à-vis de l'expertise et de la politique progresse, le COR était un lieu où l'expertise rencontrait la politique et le social, et où le dialogue était possible.

Faut-il encadrer l'exercice de gouvernance des partenaires sociaux qui vont diriger le futur conseil d'administration de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) ? C'est à vous, et non à moi, simple technocrate, de trancher. Mais cela n'empêche pas de conserver le COR.

Vous l'aurez constaté, il s'agit d'un plaidoyer pour le COR. Peut-être ai-je manqué de lucidité, car je plaide pour une institution que je préside et à laquelle je suis attaché. Si tel est le cas, je vous prie de m'en excuser.

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