Intervention de Didier Blanchet

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Didier Blanchet, président du comité de suivi des retraites (CSR) :

On peut juger positivement ou négativement les recrutements de fonctionnaires, tout dépend des services publics qu'on veut avoir. Il ne faut pas croire que le recrutement massif de fonctionnaires va créer, comme par miracle, les ressources qui permettraient d'équilibrer le système de retraite. C'est cet argument qui nous a conduits à récuser l'indicateur de solde traditionnel, qui a montré ses limites en 2017. Ce dernier a été remplacé, à juste titre, à mon avis, par un autre indicateur dans lequel on fait l'hypothèse que, par défaut, l'effort de l'État est fixe en part de PIB puisque, finalement, il consacre aux retraites une certaine fraction de ce qu'il arrive à prélever sur l'ensemble de la richesse produite chaque année. Cet indicateur, qui en est la mesure, se rapproche beaucoup du suivi du ratio retraitePIB, là où se concentre le débat : la bonne norme est-elle à 14 % ? Faut-il l'augmenter ou, au contraire, la ramener, par exemple à 12,9 % ? La question est éminemment politique, elle relève d'un choix de société. Ce n'est pas aux experts, qu'ils soient indépendants ou non, de donner leur avis à ce sujet.

Je crois nécessaire de remettre en perspective historique le ratio des dépenses de retraite sur le PIB. Les réflexions sur les retraites ont commencé au début des années 90, avec le Livre blanc. À l'époque, la part des retraites dans le PIB s'élevait à 11 %. Les premières projections du COR montraient que, si on ne faisait rien, sous l'effet du vieillissement démographique, le ratio atteindrait 19 % ou 20 %. À l'époque, il me semblait que, compte tenu de l'enjeu, il était probable qu'on doive jouer simultanément sur trois leviers. C'est ce que les réformes passées ont fait, à peu près pour un tiers chacune. Sur les 9 % d'augmentation que l'on aurait dû connaître, environ un tiers a été évité par la projection d'une augmentation de l'âge de la retraite à 64 ans ; un deuxième tiers a été neutralisé par la baisse, de l'ordre de 15 % à 20 %, du niveau de vie relatif des retraités – solution délicate, qui peut se révéler plus ou moins problématique. Aujourd'hui, les dépenses de retraite ont atteint 14 % du PIB ; par rapport à la marche d'escalier initiale des 9 %, on peut dire que l'instrument de l'augmentation de l'effort consacré aux retraites a déjà été mobilisé. On peut se demander s'il faut l'utiliser davantage, mais on ne peut pas dire que, sur le plan politique, on ait systématiquement évité d'y recourir.

Comme Pierre-Louis Bras, j'ai répondu par anticipation, dans mon propos liminaire, aux questions relatives à l'articulation entre le COR et le comité d'expertise indépendant sur les retraites. Je ne préjuge pas de ce que serait l'indépendance de la future instance. Pour ma part, j'ai toujours eu l'impression, tant au COR qu'au CSR, de travailler de façon indépendante. Pour atténuer les craintes en la matière, une solution consisterait à prévoir que le COR continue à réaliser des projections dans le cadre d'un partenariat avec l'ensemble des parties prenantes, y compris les partenaires sociaux. Ce serait un garde-fou solide. Le CEIR assumerait, dans ce cadre, un rôle proche de celui du comité de suivi des retraites, à savoir résumer le propos des rapports, très épais, du COR et suggérer des évolutions – étant précisé qu'il revient ensuite au conseil d'administration de la caisse de décider de ce qu'il faut faire.

Notre diagnostic sur la lisibilité du système actuel est issu des jurys citoyens, qui fonctionnent grâce à l'appui logistique de la direction de la sécurité sociale. Au cours d'une journée, on présente le système de retraite à un jury, constitué d'une quinzaine de personnes recrutées par quotas. Bien souvent, elles confient qu'elles peinent à comprendre le fonctionnement d'un système qui leur apparaît complexe. Par exemple, le système par annuités paraît simple : en fonction du nombre de trimestres de cotisation, on sait qu'on va toucher, dans le régime de base, 50 % de son salaire de référence. Or ces 50 % sont calculés sur un salaire de référence qui est lui-même la moyenne des rémunérations des vingt-cinq meilleures années, revalorisées en fonction de l'évolution passée des prix. Je mets quiconque au défi de calculer soi-même son taux de remplacement ! Le régime actuel n'est donc pas fondamentalement plus transparent que le système par points qui est proposé.

Autre exemple, la réversion, qui résulte d'un empilement de mécanismes hétéroclites. Dans certains rapports du COR, une courbe surprenante montre comment évolue le niveau de vie d'une veuve par rapport à sa situation lorsqu'elle était en couple, en fonction de ses caractéristiques individuelles et de celles de son conjoint. Certaines différences de traitement ne paraissent pas justifiées par l'équité. Notre système regorge de nombreuses méso-inégalités – entre grandes catégories – et micro-inégalités, entre des gens qui ont l'impression d'avoir eu des parcours de vie très similaires mais qui, au final, se retrouvent avec des droits très différents. On peut donc être favorable ou opposé au nouveau système, trouver que le dimensionnement des dépenses à 14 % du PIB est insuffisant ou excessif, mais on ne peut pas, en tout état de cause, présenter le régime actuel comme un modèle de lisibilité, de transparence et de prévisibilité pour les assurés.

À cela s'ajoute la question du pilotage et de la pertinence des projections à long terme. Dès qu'on a commencé à réfléchir sur les retraites, on s'est demandé s'il fallait se projeter à long terme, compte tenu de l'incertitude que nous réserve l'avenir. Lorsqu'on navigue, on fixe le cap en fonction des conditions météorologiques, puis, lorsque les conditions changent, on procède à des ajustements, on règle le gouvernail. Nous avons beaucoup de certitudes dans le domaine du vieillissement démographique tout en ignorant quelle en sera l'ampleur exacte. Par ailleurs, les mécanismes qui ont été introduits dans le système ont ajouté une incertitude économique qui appelle des règles d'indexation. Le système actuel est caractérisé par l'existence de règles très différentes d'une catégorie de population à l'autre. Pour prendre l'image de l'avion, cette fois, on a plusieurs manches à balai, qui agissent chacun à leur manière sur chaque catégorie de la population.

J'ai parfaitement conscience du fait que la création d'un système unifié est une tâche d'une extrême complexité. Toutefois, un tel régime présente l'intérêt que lorsqu'on actionne les leviers, soit dans une direction favorable aux retraités, soit dans un sens visant à limiter l'effort, on a l'assurance qu'on va faire évoluer toutes les situations individuelles à peu près de la même façon. Par ailleurs, si on souhaite améliorer la situation de certaines personnes, on dispose des instruments qui permettent de le garantir. Actuellement, quand on modifie les paramètres, on n'est pas totalement sûr des effets produits sur les intéressés : de nombreux effets de bord peuvent conduire à des résultats inverses à ceux qu'on attendait.

Des doutes sont parfois formulés sur l'effet horizon. On pense parfois que, si on recule l'âge de la retraite, cela va nécessairement créer du chômage supplémentaire dans la catégorie des 60-64 ans. On a l'expérience de la réforme de 2010, qui a constitué un choc assez important sur les conditions de liquidation. On peut tester de façon fine les effets de ces mesures sur les tranches d'âge qui ont été directement concernées par le durcissement de l'âge minimum d'accès à la retraite, et on constate qu'il y a eu, indéniablement, un phénomène de report vers le chômage. Toutefois, en analysant l'évolution de la répartition entre l'emploi, le chômage et l'inactivité au sein de la tranche d'âge des 60-64 ans depuis cette réforme, on observe que, pour une part substantielle, l'augmentation du taux d'activité dû au recul de l'âge de la retraite s'est traduite par l'accroissement du taux d'emploi : c'est l'effet horizon. Progressivement, l'emploi se reconstitue en amont du nouvel âge de la retraite. Étant donné que cela peut prendre un certain temps, il faut mener les changements prudemment, éviter la brusquerie dans le déplacement des curseurs. Il existe donc une possibilité de voir l'emploi remonter à la suite de l'évolution des critères de liquidation.

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