Intervention de Fabien Roussel

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel :

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, dans l'urgence et la précipitation, l'Assemblée nationale se réunit aujourd'hui pour trouver la parade face à un trou de 10 milliards d'euros dans le budget. C'est une somme énorme, que réclament des groupes financiers, des multinationales, et qu'il faudrait donc trouver séance tenante.

Même si nous sommes loin d'en contester tous les arbitrages, nous considérons néanmoins qu'il y a lieu de rejeter en l'état ce projet de loi de finances rectificative. Nous aurions bien des raisons pour ce faire, mais, s'il n'en fallait qu'une, l'actualité vient de nous la fournir, et elle est édifiante. Avouez qu'au moment précis où éclate un nouveau scandale d'évasion fiscale – à hauteur de 350 milliards d'euros – , dans lequel seraient impliquées des multinationales bien connues, y compris françaises, notre débat prend un tout autre relief !

Il n'y a vraiment aucune urgence à rembourser 10 milliards d'euros, dont 1 milliard d'intérêts, à des entreprises qui seront peut-être citées demain dans le scandale des Paradise papers. Comment ne pas songer à cette éventualité ? Ce sont peut-être les mêmes avocats, champions de l'évasion fiscale et impliqués dans ce scandale, qui ont conduit la France devant les tribunaux !

Il y a beaucoup trop de zones d'ombre, de précipitations et de parfum de scandale dans cette affaire des 10 milliards à rembourser. À commencer par le calendrier, largement précipité pour un problème au long cours, latent depuis 2012, récurrent depuis la rentrée parlementaire. La représentation nationale, les parlementaires que nous sommes, avons pris connaissance de ce projet de loi jeudi, alors que nous n'avons pas encore terminé l'examen de l'ensemble du projet de loi de finances pour 2018 ! Le lendemain, vendredi, le texte passait en commission. Nous sommes lundi, et c'est l'ensemble des députés qui l'examinent. Oui, monsieur le rapporteur général, légiférons moins, légiférons mieux !

Nous n'avons donc eu que trois jours pour examiner un budget joliment qualifié de Blitz, trois jours pour rendre 10 milliards à quelques multinationales qui refusent une modeste taxe de 3 % sur quelque 300 milliards d'euros de dividendes – excusez du peu ! C'est un calendrier pour le moins inédit, qui nous interpelle forcément quant aux moyens accordés aux parlementaires pour exercer leurs fonctions de législateur. Certes, monsieur le ministre, nous sommes conscients des enjeux financiers. Pour autant, trouver une réponse à une question à 10 milliards mérite que les Français se penchent un peu sur le sujet ! Il s'agit de leur argent, il s'agit de l'argent des plus grandes multinationales, qui distribuent des sommes records de dividendes à leurs actionnaires plutôt que de les investir dans l'économie !

Nous apprendrons peut-être dans quelques jours que, parmi elles, des entreprises pratiquent l'optimisation fiscale et évitent de payer leurs impôts en France. Parmi ces groupes qui refusent de participer à l'effort de redressement de la Nation, on trouve des géants de la finance, dont des banques et des assurances, comme la BNP ou la Société Générale, qui ont encore des filiales dans des paradis fiscaux. En voulant aller vite, vous privez les Français de connaître tous les éléments de ce qui sera peut-être demain un nouveau scandale intitulé : « Comment ils ont braqué l'État de 10 milliards » !

À votre avis, que peuvent penser les Français de cette mobilisation générale du Gouvernement pour rembourser 10 milliards d'euros à de grands groupes financiers, à des actionnaires de sociétés du CAC 40, loin d'être dans le besoin ? Quel symbole, quel signal !

Car de quoi parle-t-on, au juste ? La fameuse taxe additionnelle de 3 % sur les dividendes, mise en oeuvre en 2012 peu après la victoire de François Hollande à l'élection présidentielle, avait deux desseins. Elle relevait incontestablement d'une logique budgétaire, puisqu'elle devait permettre de compenser un manque à gagner sur un précédent contentieux fiscal, lié à la retenue à la source. Cette contribution, qui rapportait chaque année environ 2 milliards d'euros, obéissait aussi à une logique de justice sociale et économique. L'ambition était claire : récompenser les entreprises faisant le choix d'investir, plutôt que de garnir les poches déjà bien remplies des actionnaires.

C'était une bonne mesure, que nous avions d'ailleurs soutenue à l'époque, parce que la France est malade des dividendes, que les grands groupes privilégient sans cesse au détriment des investissements. Depuis cinq ans, dans un contexte de crise, nos multinationales sont les championnes d'Europe incontestées en la matière, avec 300 milliards versés aux actionnaires sur la période. Et l'on annonce déjà une année record en 2017.

La trajectoire pour notre économie est édifiante. À la fin des années 1980, nos entreprises distribuaient 30 % de leurs bénéfices sous forme de dividendes ; le reste était réinvesti ou redistribué aux salariés. Aujourd'hui, on frôle les 60 %, c'est-à-dire le niveau le plus haut de la répartition. En conséquence, nous avons subi des décennies de sous-investissement.

Dans les années 1970, le chancelier Helmut Schmidt nous avait gratifiés de cette formule restée célèbre : « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain. » Plus près de nous, en 2009, le président Nicolas Sarkozy nous communiquait sa propre vision.

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