Intervention de Jean-Michel Blanquer

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 21h30
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales — Article 3

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

L'examen de l'article 3 nous donne l'occasion de faire quelques mises au point en réponse à plusieurs affirmations que nous avons entendues ce soir, s'agissant notamment du baccalauréat.

Tout d'abord, grâce à la réforme du lycée, les langues régionales peuvent, pour la première fois, faire l'objet d'un enseignement de spécialité. Dans ce cadre, elles peuvent être enseignées quatre heures par semaine en première et six heures en terminale – un enseignement aussi approfondi est tout à fait inédit dans l'histoire des langues régionales. Je remercie le député Erwan Balanant pour les propos qu'il a tenus tout à l'heure : voilà en effet une avancée considérable, inédite, comme il n'y en a jamais eu, et certains font semblant de ne pas la voir. Certains tentent même de faire croire que nous serions contre les langues régionales, mais nous serions de bizarres adversaires des langues régionales si notre tactique consistait à introduire un enseignement aussi approfondi de ces langues au lycée ! Il y a donc des avancées très importantes et, je le répète, celle-ci est très significative. D'ailleurs, les futurs professeurs de langues régionales sont probablement les élèves qui, aujourd'hui, choisissent d'étudier ces langues.

Je ne parle pas de façon abstraite car il s'agit déjà d'une réalité. Ce que je dis est déjà vrai pour des élèves de première hic et nunc. J'ai rappelé tout à l'heure qu'en Corse, une centaine d'élèves ont choisi cet enseignement de spécialité. C'est aussi vrai en Bretagne, où l'on compte le même nombre d'élèves, au Pays basque ou encore en Occitanie. Il ne tient à tous ceux qui veulent promouvoir les langues régionales que de s'assurer que, sur le terrain, de plus en plus d'élèves veuillent les étudier. Il est peut-être plus facile de faire des effets de manche dans les hémicycles divers et variés que de réussir à motiver les élèves sur le terrain !

Sur ce point, soyons très clairs : il y a une avancée majeure, unique, à laquelle j'espère que les débats suivants rendront justice. Je défie même quiconque de trouver une avancée de même nature dans les précédentes réformes du lycée : je serais donc heureux que celle-ci soit reconnue et que les différents orateurs fassent preuve de bonne foi, ce soir, sur ce sujet.

La question des enseignements de spécialité ne recouvre évidemment pas la totalité du sujet. Nous sommes en train de faire des progrès très importants en matière d'enseignement à distance. À l'heure du numérique, nous allons voir se développer des façons d'apprendre différentes. Les MOOC – formations en ligne ouvertes à tous – en langue régionale, par exemple, vont devenir très importants. J'ai demandé au Centre national d'enseignement à distance, le CNED, d'être à la pointe de ces évolutions. C'est aussi un sujet qui peut intéresser l'ensemble des défenseurs des langues régionales, qui sont nombreux ce soir et que j'invite à travailler avec le CNED sur cette question.

Cela rejoint un argument que nous avons entendu ce soir de part et d'autre de l'hémicycle, selon lequel nous devrions nous intéresser à l'apprentissage des langues régionales par des non-locuteurs, et même par des personnes qui n'habitent pas la région concernée. Par exemple, on doit pouvoir apprendre le breton à Tahiti. Personne ne va demander l'ouverture d'une option breton ou d'un enseignement de spécialité en breton à Tahiti ; en revanche, je pense que chacun sera favorable à ce que cette possibilité soit offerte par le CNED.

Nous devons donc mener une politique de l'enseignement à distance qui ne soit pas un succédané, qui ne serve pas à excuser je ne sais quelle faiblesse que nous aurions par ailleurs : l'enseignement à distance est clairement une valeur ajoutée très importante, qui sera aussi, d'ailleurs, un élément de stimulation dans la relation avec l'enseignement supérieur. Nous devons en effet inciter l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur à coopérer davantage pour ce dynamisme des langues régionales. Je disais tout à l'heure que les futurs professeurs de langues régionales sont les élèves qui, aujourd'hui, les étudient au lycée ; je note par ailleurs que les professeurs intervenant dans les lycées sont souvent positionnés dans les établissements d'enseignement supérieur, et que nous voulons créer des continuités entre le lycée et la licence dans ce domaine. Bref, la coopération entre le lycée et l'université s'agissant des langues régionales s'intègre tout à fait dans la politique que nous menons en la matière, et le développement de l'enseignement à distance sera l'occasion d'accentuer cette coopération.

Enfin, je m'interroge sur l'utilisation du mot « spécialité » à l'article 3. L'enseignement de spécialité est celui que j'ai décrit précédemment : cet article comporte donc probablement un problème de rédaction, et il constitue même, d'une certaine façon, un hommage au progrès que je viens de saluer. Je rappelle d'ailleurs que ce progrès ne s'est pas fait par voie législative, ce qui m'amène à avancer un autre argument qui permettrait, à lui seul, de justifier la suppression de cet article : ce type de disposition ne relève pas du domaine législatif. Ce n'est jamais la loi qui définit les enseignements de spécialité. L'une des qualités de la réforme du lycée est sa dimension modulaire et la possibilité qu'elle offre de créer facilement, à l'avenir, de nouveaux enseignements de spécialité. Si nous créions des enseignements de spécialité par voie législative, nous établirions un précédent et installerions une lourdeur inutile dans le système. Il serait dommage que cette régression se fasse au titre de la défense des langues régionales ! Je le répète, la disposition contenue à l'article 3 n'est pas de nature législative. Je ne souhaite d'ailleurs pas encourager l'inflation législative, objectif auquel, j'imagine, M. Hetzel ne peut que souscrire.

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