Intervention de Bruno Ferreira

Réunion du mardi 2 juillet 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Bruno Ferreira, directeur général de la direction générale de l'alimentation :

En introduction, je souhaiterais rappeler quelques éléments, portant notamment sur l'évolution du cadre d'autorisation des substances des produits, depuis l'autorisation initiale du chlordécone.

Les modalités d'autorisation des produits phytopharmaceutiques ont profondément évolué, surtout depuis la fin des années 2000, avec la généralisation du concept d'analyse des risques et de la séparation entre l'évaluation et la gestion des risques, qui a été notamment une des conséquences de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).

Le corollaire de cette séparation a été la mise en place d'agences sanitaires pour l'évaluation scientifique des risques. En France, il s'est d'abord agi de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), devenue depuis l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Quant à l'Union européenne, elle a mis en place l'Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority, EFSA), en 2002.

La création d'agences d'évaluation s'est accompagnée du développement de méthodes standardisées d'évaluation approfondie.

Il serait inexact de dire que la toxicité intrinsèque des produits n'était pas prise en compte au moment de l'autorisation initiale d'usage du chlordécone. Toutefois, cette évaluation était relativement sommaire. On ne peut pas établir de comparaison entre un avis rendu en 1980 par la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole, au sein de laquelle des fabricants de produits phytopharmaceutiques ont siégé jusqu'en 2001, et un rapport d'évaluation de l'ANSES ou de l'EFSA de 2019, qui s'appuie sur des documents-guide et des méthodologies standardisées.

Les conditions d'autorisation des produits phytopharmaceutiques ont de plus été progressivement harmonisées. Il s'agit aujourd'hui d'un système à deux niveaux, avec une approbation des substances actives par la Commission européenne, suivie d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) de produits phytopharmaceutiques délivrée par les États membres. Ce système n'a pas été appliqué au chlordécone, qui n'a jamais été approuvé au niveau européen, contrairement au paraquat, lequel a été approuvé de 2003 à 2007.

Ces changements d'organisation ou de procédure d'autorisation ont indiscutablement concouru à une approche beaucoup plus rigoureuse, dans laquelle la science et la prise en compte des risques occupent aujourd'hui une place prépondérante.

Le second changement d'importance réside bien évidemment dans la perception des risques et le regard sociétal porté sur les pesticides. Pendant longtemps, ces produits ont été considérés comme soignant les plantes, les possibles effets négatifs sur la santé ou l'environnement n'étant pas pris en compte.

Les paramètres prioritaires étaient alors l'efficacité, et, éventuellement, la phytotoxicité, c'est-à-dire l'effet toxique sur la plante traitée. Les risques, s'ils étaient évoqués, n'étaient pas pris en compte de la même manière qu'ils peuvent l'être aujourd'hui. Cette évolution dans la perception des pesticides est largement liée à l'évolution de la connaissance des risques et des dangers, et de la problématique des risques chroniques, alors que l'accent avait longtemps été mis sur les risques aigus.

La perception des pesticides a changé : autrefois synonymes de progrès, ils sont aujourd'hui aussi perçus comme un facteur de risques. La prise de conscience des risques que peuvent présenter ces produits est également liée à l'amélioration des connaissances des citoyens et à leur niveau d'exigence accru concernant la protection de la santé, d'une part et celle de l'environnement, d'autre part.

Au niveau européen, ces évolutions se sont traduites par l'adoption en 2009 du « paquet pesticides », comprenant notamment un règlement, qui encadre la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et une directive, qui donne aux États membres des lignes directrices, afin de réduire les risques et l'impact de l'utilisation de ces produits. Cette politique a été déclinée en France au travers du plan Ècophyto, qui a connu plusieurs révisions. Plus récemment, en 2018, elle s'est traduite par le plan d'action sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides, et par le plan de sortie du glyphosate.

Dans le cadre du périmètre d'action du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, la direction générale de l'alimentation (DGAL) délivrait des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques jusqu'en juillet 2015. Elle s'appuyait sur des instances de conseil, qui se sont progressivement renforcées – la commission d'étude de la toxicité, l'AFSSA, et, enfin, l'ANSES. Depuis 2015, cette compétence d'autorisation de mise sur le marché a été transférée à l'ANSES.

Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, qui reste compétent pour l'approbation européenne des substances actives, est notamment chargé du contrôle et des règles d'utilisation des produits phytopharmaceutiques, en lien avec le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de la transition écologique et solidaire, et le ministère de l'économie et des finances. Il est de plus toujours compétent pour introduire les dérogations de 120 jours de mise sur le marché d'un produit en vue d'un usage limité et contrôlé.

Il est important de noter que la plupart des décisions sont aujourd'hui interministérielles. Cette dimension n'a cessé d'être renforcée. Déjà présente pour le paraquat en 2003, elle ne l'était pas pour le chlordécone.

La DGAL est également impliquée dans les différents plans chlordécone, auxquels elle est associée depuis 2009. Elle pilote notamment quatre des vingt et une actions du plan national d'action chlordécone III, et est particulièrement mobilisée sur les actions de protection de la population et d'accompagnement des professionnels touchés par la pollution.

En termes financiers, la DGAL est le plus gros contributeur de l'action chlordécone du programme d'intervention territorial de l'État (PIT), qui finance le plan national d'action chlordécone III à hauteur de 60 % des crédits de l'État. En 2019, elle a augmenté sa contribution financière à ce plan de près de 30 %.

À la suite du discours du Président de la République en Martinique, en septembre 2018, et du colloque scientifique d'information, qui s'est tenu aux Antilles en octobre 2018, une feuille de route interministérielle 2019-2020 a été élaborée, afin d'intégrer une trentaine de mesures complémentaires aux vingt et une actions du plan chlordécone III. La DGAL, qui a fortement contribué à cette élaboration, s'est engagée dans la mise en oeuvre d'une quinzaine de ces mesures.

Une des actions principales de cette feuille de route vise à achever la cartographie des sols pollués, qu'elle avait initiée dès 2009, en y associant un dispositif de conseil pour les agriculteurs et les éleveurs, permettant d'orienter l'utilisation des parcelles dédiées à la production de denrées. À l'heure actuelle, ce travail a permis de cartographier le niveau de contamination de 9 900 hectares de terres agricoles.

La DGAL vise l'objectif d'une exposition la plus faible possible par la voie alimentaire. À cet égard, des arrêtés renforçant les mesures relatives au chlordécone dans les viandes bovines, porcines, ovines, caprines et la volaille ont été publiés récemment, en janvier et mai 2019.

La DGAL soutient également un accompagnement technique des éleveurs, du fait de l'abaissement des limites maximales de résidus de chlordécone dans les viandes.

En 2019, nous avons augmenté de 30 % le nombre des contrôles officiels, dans le cadre des plans de surveillance et des plans de contrôle annuels, qui portent sur les denrées issues d'animaux d'élevage, sur les produits de la pêche et sur les productions végétales primaires destinées à la consommation humaine et à l'alimentation animale. Dans les deux îles, nous mobilisons pour cela près de 10 équivalents temps plein travaillés (ETPT). En 2017, 1 097 prélèvements ont été réalisés sur toutes les matrices animales en Martinique, et 952, en Guadeloupe, avec un taux de conformité de 93 % et 97 %, respectivement. De la même manière, dans les deux îles, 350 contrôles de végétaux ont été réalisés, qui se sont révélés conformes à plus de 99 %. L'effort de prélèvement sera considérablement accru en 2019, puisque 4 000 analyses sont programmées.

En lien avec le plan de surveillance et le plan de contrôle 2019, la DGAL a publié une nouvelle instruction, harmonisée entre les deux îles, qui prévoit un suivi rapproché des élevages, dont les cheptels sont susceptibles de présenter un risque. Ce dispositif est complété par un renforcement de la mesure de précaution sur les foies de bovins, qui sont systématiquement écartés de la consommation, dès que du chlordécone est détecté dans la graisse.

En outre, dans le cadre de la feuille de route 2019-2020 et de la préparation du futur plan chlordécone IV, notamment, la DGAL a initié une réflexion sur la possibilité d'interdire les cultures sensibles dans les zones où les sols sont pollués. L'ANSES a été saisie, pour que l'impact sanitaire soit évalué et qu'un outil d'aide à la décision puisse être développé.

La DGAL contribue également à la réflexion sur l'utilisation d'eau contaminée pour l'irrigation, sur le contrôle des eaux de captage utilisées dans l'industrie agroalimentaire, sur l'interdiction de certaines espèces de poissons à la consommation ainsi que sur le développement des capacités d'analyse du chlordécone aux Antilles.

Comme je l'ai indiqué, le plan chlordécone IV sera élaboré dans un cadre concerté, au niveau national comme local, en associant la population, les élus et les professionnels locaux. Il succédera au plan chlordécone III, qui court jusqu'en 2020.

Je peux vous assurer de la mobilisation complète de la DGAL sur la mise en oeuvre des plans actuels, ainsi que sur la préparation des plans futurs, en gardant notamment à l'esprit l'objectif fixé par le Président de la République, de tendre vers le « zéro chlordécone dans l'alimentation », donc de réduire au maximum le risque d'exposition de la population au chlordécone par l'alimentation.

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