Intervention de Henri Vannière

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 9h35
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Henri Vannière, ancien chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) :

Il y a beaucoup de questions en une seule. Nous avons affaire à différentes sphères : la sphère de la recherche et de l'appui technique ; la sphère des producteurs, qui s'interpénètrent, se côtoient, échangent et la sphère réglementaire, étatique, décisionnelle au sein des commissions d'homologation des toxiques.

Les chercheurs ont un réel problème avec le charançon du bananier en Afrique. L'usage massif de chlordécone commence, dans les années 1960, dans la partie anglophone du Cameroun. Cette ancienne colonie allemande avait été scindée en deux, une partie ayant été attribuée à la France et l'autre au Royaume-Uni. Au moment de l'indépendance, les deux parties ont fusionné. La partie anglophone était plus en contact avec l'Amérique centrale et les compagnies fruitières américaines qu'avec les instituts français de recherche. L'usage du chlordécone part de l'Amérique centrale. Le charançon n'y pose pas un gros problème mais la molécule est connue. Introduite au Cameroun, elle apparaît comme un produit miracle du point de vue agronomique. Dès les années 1966 et 1968, le traitement est généralisé sur de vastes superficies au Cameroun bien avant qu'on ne pense à l'utiliser aux Antilles. Ce qu'on appelait alors Kepone est fourni directement depuis les États-Unis. Des plaquettes publicitaires américaines sont éditées par la société Allied Chemical, qui ne fournira pas les Antilles.

À partir de ce schéma, lorsqu'un problème similaire de résistance des charançons devient incontrôlable aux Antilles, le transfert de savoir s'opère naturellement au contact de l'Institut des fruits et agrumes coloniaux (IFAC), prédécesseur de l'Institut sur les fruits et les agrumes (IRFA) et des instituts du CIRAD. On est dans la même sphère de connaissances en termes de recherche et développement. On change le nom mais ce sont les mêmes personnes. C'est écrit, il suffit de le lire.

Le produit miracle est là. À l'époque, il est écrit partout qu'il faut se garder de mettre en oeuvre tout produit organochloré. Le dichlorodiphényltrichloroéthane (DTT) et, dans une moindre mesure, le hexachlorocyclohexane (HCH), n'ont pas bonne presse mais, curieusement, le Kepone est parfois présenté comme ne faisant pas partie des organochlorés. Dans des écrits d'agronomes, il est présenté comme étant à part. Face à cela, une commission des toxiques et une commission d'homologation des pesticides doivent faire leur travail.

Schématiquement, le dossier d'homologation d'un produit phytosanitaire comporte une composante biologique, c'est-à-dire un dossier alimenté par la sphère agronomique, qui définit un usage, c'est-à-dire la combinaison d'une culture, d'un bioagresseur – maladie, ravageur ou autre –, d'un produit de traitement et de son mode d'application. Un produit est donc homologué pour un usage donné et non pour être mis en vente libre et un usage sans conditions. En l'occurrence, l'usage, c'est la lutte contre le charançon dans la culture du bananier par application de chlordécone au sol. Une pulvérisation foliaire aurait correspondu à un autre usage. Le dossier biologique est renseigné par les agronomes qui, face à un problème dans la culture du bananier, à savoir le charançon, testent différentes molécules qui leur sont fournies par les firmes phytosanitaires - ce ne sont pas les instituts de recherche qui inventent les molécules - et en donnent le résultat. Ils disent si ça marche bien ou pas, ou si ça marche bien à condition de l'utiliser trois fois par an, une fois tous les deux ans, etc.

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