Intervention de Jérôme Salomon

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 15h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Jérôme Salomon :

Je suis avant tout un médecin attentif à la souffrance de chacune et de chacun, à l'écoute des populations en tant que spécialiste de santé publique. Professeur de médecine, je suis aussi un scientifique, ardent défenseur de la rigueur intellectuelle, de l'indépendance de l'expertise et de la transparence, ainsi qu'un enseignant qui aime partager et expliquer.

Concernant le chlordécone je suis personnellement très engagé, depuis ma nomination en janvier 2018 comme directeur général de la santé. Je me suis rendu à deux reprises aux Antilles. J'ai eu l'honneur d'y accompagner M. le Président de la République et ai aussi activement participé au premier grand colloque international organisé durant quatre jours sur place en octobre 2018. J'avais alors demandé au directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), Roger Genet, au directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, et au président de l'Institut national du cancer (INCa), Norbert Ifrah, d'être présents, ainsi qu'aux équipes de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Ce colloque a été très riche, avec des discussions passionnantes entre les scientifiques impliqués, la population venue en très grand nombre – jusqu'à 600 personnes –, les associations, les professionnels de santé, les hospitalo-universitaires, la presse et, bien sûr, les élus.

En tant que directeur général de la santé, je pilote avec le directeur général de l'Outre-mer le comité de pilotage national chlordécone et communique régulièrement avec les responsables des comités de pilotage locaux, les préfets et les deux directions générales des agences régionales de santé.

Je souhaite rappeler d'emblée l'implication forte et ancienne et les actions du ministère chargé de la santé, en particulier de la direction générale de la santé. Elle est mobilisée depuis 1999, par l'intermédiaire de ses services locaux – les services déconcentrés appelés directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) à l'époque. C'est grâce aux analyses réalisées par la DDASS, dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux, que la présence de chlordécone dans l'eau a été constatée. La DDASS de Martinique, puis la cellule d'intervention en région (CIRE) Antilles-Guyane, le service local de Santé publique France, qui à l'époque s'appelait Institut de veille sanitaire (InVS), ont lancé en octobre 1999 une alerte, en pointant les autres sources de contamination alimentaire par le chlordécone.

C'est encore la DDASS qui, en 2001, a lancé une étude pour mettre en évidence le transfert de la contamination au chlordécone des sols vers les végétaux cultivés. Le rapport présenté en juillet 2002 en Martinique confirmera la contamination des légumes racines au chlordécone et servira de fondement à la démarche d'évaluation des risques mise en oeuvre par les agences sanitaires – à l'époque, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l'InVS –, saisies par les ministères de tutelle à partir de juillet 2002. Dès le début des années 2000, des actions ont été mises en oeuvre au niveau local, sous l'égide des préfets. Les administrations centrales sont intervenues pour solliciter des expertises auprès des agences sanitaires nationales, mais également pour prendre des mesures réglementaires. La DGS a contribué à la réalisation des études et des expertises auprès des agences sanitaires nationales. Bien entendu, les organismes de recherche ont été associés, avec des enjeux de définition et de prises de mesures réglementaires, notamment la fixation de limites maximales de résidus (LMR), en lien avec les autres administrations centrales concernées. Les plans nationaux sont venus compléter et renforcer les actions mises en place au niveau local, sous l'égide des préfets. Les actions de l'État se sont enchaînées sur la base des avancées des connaissances, le plus souvent à l'initiative du ministère chargé de la santé.

Ce ministère assure, depuis 2008, la lourde et délicate mission de coordonner au niveau national le dossier du chlordécone aux Antilles. La direction générale de la santé a piloté les deux premiers plans nationaux chlordécone et copilote avec la direction générale des Outre-mer (DGOM) le troisième plan, qui est en cours depuis 2014. Aujourd'hui, la direction générale de la santé est fortement engagée et mobilisée pour coordonner les actions de lutte contre cette pollution et mène une politique de santé publique renforcée pour protéger les populations antillaises des impacts sanitaires du chlordécone. Elle s'est avant tout attachée à préserver la santé de la population antillaise et à défendre la santé publique, en portant une attention particulière, dans les études menées, au respect des principes d'indépendance de l'expertise, de rigueur scientifique et de transparence à l'égard du public. C'est grâce au résultat des études et des travaux menés depuis vingt ans par les agences sanitaires et les organismes nationaux de recherche, enrichis au fur et à mesure de l'amélioration des connaissances scientifiques et des innovations techniques, que nous disposons aujourd'hui d'une vision de plus en plus précise des effets sanitaires de cette mollécule.

Nous avons pu définir des mesures de santé publique et de protection de la population, qui reposent sur des données scientifiques fiables. Les populations les plus à risque ont pu être identifiées : femmes enceintes et jeunes enfants, en particulier. Les aliments les plus contaminés sont aujourd'hui connus, ce qui a permis d'émettre des recommandations de consommation visant à réduire l'exposition alimentaire des populations au chlordécone, en veillant – et j'y tiens personnellement – à lutter contre les inégalités sociales, territoriales et d'accès à l'information, dans une politique volontariste de réduction des risques et d'éducation de tous à la santé. Des dispositifs spécifiques de surveillance des populations ont été mis en place : un registre des cancers en Guadeloupe et en Martinique ; un registre des malformations congénitales des Antilles (Remalan), un dispositif de toxico-vigilance des Antilles, ainsi que des mesures ciblées sur le suivi médical des travailleurs agricoles.

La prévention, la protection des populations, la promotion de la santé et l'éducation de tous à la santé sont les principes fondamentaux de la politique de santé publique menée contre les effets du chlordécone. Je suis très attaché à la transparence sur ce sujet et veille à ce que la population soit informée au mieux sur la base d'éléments scientifiques solides. Le colloque scientifique et d'information sur le chlordécone qui s'est tenu en Martinique et en Guadeloupe, en octobre dernier, en a été une belle illustration. Il a connu un vif succès populaire.

Malgré toutes les mesures qui ont été mises en oeuvre aujourd'hui, il n'en demeure pas moins que cette pollution est un scandale environnemental, comme l'a reconnu M. le Président de la République lors de son déplacement aux Antilles en septembre, et que l'État doit prendre sa part de responsabilité.

La lutte contre la pollution par le chlordécone est un sujet profondément interministériel qui doit associer au même niveau d'implication et d'engagement toutes les administrations de l'État, chargées en particulier de l'environnement, de l'agriculture, de la santé, de l'économie, de la recherche et des Outre-mer. Il reste beaucoup à faire pour améliorer encore nos connaissances scientifiques et préserver au mieux les populations antillaises des effets de cette pollution. L'un des enseignements des différents plans qui se sont succédé est que rien ne se fera de façon efficace sans associer à nos travaux tant les professionnels concernés – professionnels de santé, de l'agriculture, de la pêche – que la population antillaise elle-même, pour qu'elle y adhère, puisse faire des propositions, participer et s'approprier les recommandations. Nous allons nous y atteler dans les mois et les années à venir. Nous avons besoin de construire avec vous, parlementaires, avec les élus locaux, les collectivités territoriales et la population des Antilles. Vous pouvez compter sur mon engagement fort.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.