Intervention de Éric Bothorel

Séance en hémicycle du mardi 28 avril 2020 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19 suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Bothorel :

« Nos connaissances sont une goutte, notre ignorance, un océan », disait Isaac Newton, soulignant ainsi les limites de l'esprit humain pour appréhender les phénomènes naturels et les lois qui les régissent.

Ces limites, nous nous y heurtons également face à un objet aussi complexe que la gestion d'une épidémie causée par un virus qui, rappelons-le, était inconnu de tous il y a quelques mois et qui, depuis lors, a conduit la moitié de l'humanité à se confiner, faute de mieux. En effet, sans vaccin ou traitement disponible et dès lors que la circulation du virus n'a pu être circonscrite à quelques foyers, nous n'avions guère d'autre choix que de prendre cette décision éprouvante pour ralentir l'épidémie, soulager nos systèmes de santé et sauver un maximum de vies.

Cette stratégie de confinement s'est montrée tout aussi efficace que terriblement coûteuse : efficace, car le confinement a permis d'endiguer avec succès la première vague d'épidémie, le taux de transmission du virus dans la population ayant été réduit d'au moins 80 % ; mais également coûteuse, car, outre son impact économique, le confinement engendre une grande souffrance chez nombre de nos concitoyens.

Il nous faut donc en sortir, mais de façon progressive, car une levée soudaine des mesures de contrôle fait courir le risque d'une deuxième vague et d'un bilan humain désastreux. La sortie du confinement doit donc s'inscrire dans la continuité de la stratégie de contrôle de l'épidémie. En ce sens, nous devons poursuivre les mêmes objectifs : limiter l'apparition de nouvelles infections et traiter le plus efficacement possible les cas détectés afin de limiter le nombre de formes graves. Protéger, tester, isoler : c'est, en substance, ce que vous avez présenté tout à l'heure, monsieur le Premier ministre.

Cette stratégie doit nécessairement être souple et adaptative, car, de l'aveu des experts réunis au sein du Conseil scientifique, nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Compte tenu de cette incertitude, il nous faut mobiliser tous les moyens disponibles : masques, tests, gestes barrières, distanciation sociale et outils technologiques. Il y va de notre capacité à alléger les contraintes que les Français subissent et à éviter à tout prix la perspective d'un reconfinement. Pour ce faire, le Conseil scientifique a formulé plusieurs axes stratégiques dans son avis du 20 avril, et je me félicite que le Gouvernement se place dans son sillage.

Nous avons réussi le confinement et, pour réussir le déconfinement, il y a plusieurs prérequis à remplir. Nous devons, d'une part, fournir à tous nos concitoyens des équipements de protection pour réduire la transmission du virus et, d'autre part, identifier systématiquement les cas suspects afin de les tester et, le cas échéant, de les isoler. C'est en ce sens que l'État, les collectivités, les acteurs économiques et le système de santé publique ont travaillé sans relâche. Si certains pouvaient encore dire au début du mois d'avril que la France n'avait pas les moyens de son déconfinement, les choses ont changé depuis lors.

Ainsi, nous avons reconstitué nos stocks de protection matérielle et pourrons les mettre à disposition de toute la population le 11 mai, en fonction des besoins.

Pour les masques chirurgicaux et FFP2, réservés en priorité aux soignants et aux personnes très exposées, cette reconstitution a été progressive, car les chaînes d'approvisionnement en provenance de Chine ont été rompues et il nous a fallu structurer une filière industrielle. Depuis mars, tous les efforts ont été entrepris afin d'augmenter les capacités de production nationales et de multiplier les commandes à l'étranger. Nous produisons actuellement 10 millions de masques par semaine et devrions atteindre l'objectif de 20 millions fin mai. Parallèlement, le pont aérien mis en place avec la Chine fonctionne et une nouvelle commande de 100 millions d'unités est attendue cette semaine.

Pour la population générale, des masques alternatifs de production industrielle ou artisanale suffisent et doivent être distribués en priorité aux personnes en contact régulier avec le public. Pour cette catégorie, plus de 41 millions d'unités ont déjà été produites depuis le 30 mars et 242 entreprises présentes sur le sol français se sont positionnées sur ce marché, ce qui nous permettra d'atteindre l'objectif de 38 millions la semaine du 11 mai. Réutilisables jusqu'à vingt fois, ces masques conviendront à la plupart des activités professionnelles classiques et à la vie de tous les jours.

Cela étant, il faut rappeler que le port de ces masques peut donner un faux sentiment de sécurité, car il n'est réellement efficace que s'il est couplé à un strict respect des mesures barrières et de distanciation sociale.

En tout état de cause, il conviendra de veiller scrupuleusement à ce que ces équipements soient disponibles sans risque de rupture d'approvisionnement et à des tarifs abordables pour tous. Pour ce qui concerne les masques grand public, nous voyons déjà apparaître des pratiques tarifaires abusives, certaines officines les commercialisant au prix de 10 euros alors que les prix attendus sont de l'ordre de 2 à 5 euros. Ces pratiques sont parfaitement inacceptables et, bien que cette piste ait été écartée, peut-être faudra-t-il reconsidérer la question de l'encadrement tarifaire.

Par ailleurs, il me semble que nous pourrions utilement nous appuyer sur la mobilisation des réseaux de fablabs et de makers indépendants, qui ont joué un rôle important depuis le début de la crise et ont permis de réduire les pénuries de matériel de protection et de soin. Cette formidable énergie doit être soutenue et, à tout le moins, il faut nous garder de toute initiative réglementaire qui viendrait freiner l'innovation locale, celle des fablabs et des couturières de tous vos territoires.

Parallèlement à l'équipement de la population en matériel de protection, réussir le déconfinement suppose de déployer des capacités d'identification rapide des cas et de leurs contacts, ainsi que d'isolement des patients et de tous les porteurs sains contagieux. Il faut pour cela disposer de tests fiables en nombre suffisant et déployer des moyens logistiques et humains très importants sur l'ensemble du territoire.

Pour ce qui est des tests, d'abord, veillons à rester prudents vis-à-vis des tests sérologiques, qui présentent encore des limites importantes et n'ont qu'un intérêt relatif pour un usage individuel. Dans un premier temps, ils devraient plutôt servir aux enquêtes épidémiologiques visant à déterminer le niveau d'immunité de la population. Ce sont en effet les tests PCR – Polymerase Chain Reaction, ou réaction de polymérisation en chaîne – qui doivent être le principal outil du diagnostic et du contrôle de l'épidémie. L'enjeu des prochaines semaines est donc de prévoir leur disponibilité à large échelle sur tout le territoire. La semaine dernière, plus de 270 000 tests PCR ont été réalisés. Nos capacités ont doublé en quinze jours et continuent d'augmenter, pour atteindre l'objectif de 500 000 à 700 000 tests par semaine au 11 mai.

Toutefois, tester toute la population n'est ni réaliste, ni souhaitable : cela prendrait trop de temps et ne donnerait qu'une image transitoire de la situation. Les tests PCR devraient plutôt concerner toute personne qui présente le moindre symptôme évocateur, afin de l'isoler si elle est positive. Ses contacts devront également être identifiés, testés et isolés si nécessaire.

Une telle stratégie nécessitera une forte mobilisation de personnels formés et une logistique humaine importante. Il s'agira en effet de constituer une force sanitaire – la fameuse « brigade sanitaire » – d'environ 20 000 à 30 000 personnes, qui remplira des missions de détection et d'orientation des cas, d'évaluation des risques de transmission et de recommandation quant à la stratégie d'isolement à suivre. Il s'agira également de prévoir un maillage important d'infrastructures sur le territoire national pour rendre les tests accessibles facilement. Ces infrastructures et ces équipes devront être mises en place et coordonnées aux différents niveaux régionaux ou territoriaux, au plus proche de la population. Elles pourront être constituées par la mobilisation de médecins, de personnels paramédicaux, de volontaires et de personnels à recruter. Une formation opérationnelle et délivrant les prérequis en matière de confidentialité des données devra être dispensée à chacune des composantes de ce service.

Dans ce dispositif sanitaire, les outils numériques ont en effet vocation à occuper une place toute particulière. Ils ont d'abord un rôle clé à jouer pour soutenir la logistique et permettre la bonne intégration des différentes étapes du processus, notamment pour ce qui concerne la réalisation des tests, le rendu des résultats et l'alerte rapide des personnes positives, la recherche des contacts ou le transfert des données en temps réel aux systèmes de surveillance épidémiologique. Il s'agit là d'une question que maîtrisent plusieurs de nos collègues ici présents, comme Pierre-Alain Raphan ou Mounir Mahjoubi – pardon aux nombreux autres que je ne cite pas.

En ce sens, la situation appelle la construction d'un système d'information réparti, simple, interopérable, aidant les agents et permettant l'exploitation et la consolidation des données. En complément, certains outils numériques facilitant le contact tracing peuvent se révéler très précieux pour renforcer l'efficacité de ce dispositif. Permettez-moi, à ce titre, de dire un mot du projet d'application StopCovid, qui a suscité de nombreuses polémiques et divise sur tous les bancs de notre Assemblée, jusqu'à ceux de notre majorité. Ce débat est légitime et, sur des sujets ayant trait aux libertés et droits fondamentaux, il est sain que différentes sensibilités s'expriment – je ne m'écarterai pas, en cela, des propos qu'a tenus tout à l'heure le Premier ministre.

Pour ce qui de notre groupe, je crois pouvoir dire qu'il est, dans sa majorité, favorable à tout outil numérique éthique, encadré, protecteur du consentement et de la vie privée de l'utilisateur et efficace sur le plan sanitaire. C'est bien ce dont il est ici question, ainsi que l'ont rappelé la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés – ou le Conseil national du numérique dans leurs avis respectifs, à condition de prévoir des garanties suffisantes. Nous y serons particulièrement attentifs.

Pour certains, cette application serait d'emblée assimilable aux technologies de surveillance les plus invasives, comme la reconnaissance faciale, et il faudrait la refuser par principe, sans même étudier la possibilité de lignes rouges ou son utilité potentielle. Rien ne me semble plus irresponsable. Finalement, nous ne sommes pas très loin des observateurs mal avisés qui, par le passé, ont jugé inutile de conserver un stock de 1 milliard de masques pour nous expliquer ensuite, lorsque le besoin s'en est fait sentir, qu'il aurait fallu le préserver. Pour ma part, je considère qu'il est préférable, dans le cadre d'une crise sanitaire, d'écouter les épidémiologistes lorsqu'ils avancent qu'un tel outil peut être utile et qu'il est possible de le concevoir dans le respect de nos valeurs. Ne cédons rien à l'ultracrépidarianisme. Écoutons-les donc, certes sans naïveté, et attendons de voir si cette application fait ses preuves, quitte à l'abandonner si ce n'est pas le cas. Au moins, nous aurons pris toutes les précautions pour disposer de nos propres outils souverains.

Je conclurai en insistant sur les difficultés et les incertitudes qui se présentent devant nous. Si nous avons fait avancer notre connaissance du virus ces derniers mois, de nombreuses inconnues demeurent. La certitude que nous avons acquise, c'est que le confinement et les gestes barrières fonctionnent. Pour ce qui est du déconfinement, nous nous y préparons et nous avons bon espoir, mais sans garantie définitive. L'avenir est incertain et il faut assumer une part de risque. Nous ne pouvons pas nous contenter de réfléchir à toutes les options possibles, pendant que le virus continue à sévir, car le temps est son meilleur allié. En temps normal, nous évaluerions d'abord, et essayerions ensuite. Il nous faut agir, expérimenter, évaluer nos actions, et les réviser si nécessaire.

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