Intervention de Amélie de Montchalin

Séance en hémicycle du jeudi 14 mai 2020 à 9h00
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Présentation

Amélie de Montchalin, secrétaire d'état chargée des affaires européennes :

Le projet de loi qui vous est soumis comporte, comme vient de le rappeler Marc Fesneau, des dispositions permettant d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance diverses mesures rendues nécessaires pour tirer les conséquences de la fin de la période de transition, dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Avant d'en venir aux détails des dispositions, je souhaite, car je le crois utile, faire le point sur le Brexit, car ce feuilleton, qui dure depuis maintenant plus de trois ans, est parfois difficile à suivre.

L'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne est entré en vigueur le 1er février dernier. Il marque l'aboutissement de presque trois ans de négociations difficiles conduites par le négociateur de l'Union, Michel Barnier, à partir du déclenchement par le gouvernement britannique, en mars 2017, de l'article 50 du traité de l'Union européenne.

Cet accord préserve en particulier – et c'était notre priorité – les droits acquis des citoyens britanniques et européens, notamment leurs conditions de travail et de séjour. Ainsi, les citoyens français qui résidaient déjà au Royaume-Uni avant la fin de la période de transition pourront continuer d'y vivre, d'y travailler et d'y étudier dans les mêmes conditions que celles qui prévalent actuellement. Réciproquement, les citoyens britanniques qui résidaient déjà sur le territoire français bénéficieront des mêmes droits qu'aujourd'hui.

Notre mobilisation est désormais totale pour la construction du futur partenariat avec le Royaume-Uni et nous avons engagé le 2 mars dernier une nouvelle négociation, toujours sous l'égide de Michel Barnier. Elle doit aboutir d'ici à la fin de la période de transition prévue par l'accord de retrait, soit le 31 décembre ; mais nous savons que cette période peut être prolongée d'un ou deux ans à la demande du Royaume-Uni et avec l'accord de l'Union européenne.

Au cours de cette période de transition, l'accord de retrait prévoit que le droit de l'Union continue de s'appliquer dans sa quasi-totalité au Royaume-Uni. C'est un élément essentiel de protection pour nos entreprises et nos citoyens, car cela nous permet de nous préparer pour l'étape suivante, dans laquelle la situation sera nécessairement différente : à la fin de la période de transition, en effet, seuls s'appliqueront l'accord de retrait, qui est pérenne, et l'accord sur la relation future si nous parvenons à le conclure.

Notre objectif dans cette négociation est très clair. Nous souhaitons conclure avec le Royaume-Uni un accord ambitieux et équilibré, couvrant un vaste champ – comprenant entre autres le commerce, la pêche, les transports ou la sécurité – et préservant les principes et les intérêts de l'Union. Mais, vous le savez, construire une telle relation, équilibrée et ambitieuse, prend du temps et entraîne son lot de difficultés. Si à ce jour notre mobilisation est totale, je peux aussi vous dire que les incertitudes sont grandes. Elles le sont en premier lieu concernant le calendrier : les Britanniques nous placent face à une contrainte de temps inédite pour négocier et pour ratifier l'ensemble de ce futur partenariat. Il nous reste désormais moins de sept mois de discussions si nous devons nous en tenir à la durée prévue de la période de transition, soit jusqu'au 31 décembre 2020.

Le refus de toute prolongation de la période de transition n'est pas notre souhait, mais celui des Britanniques. Il s'agit d'un défi majeur, tant les sujets de la négociation sont complexes et nombreux. À cela s'ajoute la pandémie de Covid-19 qui nous a fait perdre un temps précieux. Les discussions, vous le savez, ont été suspendues pendant près de deux mois : elles ont repris depuis quelques semaines par vidéoconférence, dans des conditions nécessairement différentes de celles qui prévalent habituellement compte tenu des contraintes sanitaires, ce qui n'est pas sans conséquence sur leur rythme.

Le deuxième type d'incertitudes a trait au fond. Les négociations s'annoncent très difficiles tant les positions de départ sont éloignées. Les derniers échanges de l'équipe de négociation dirigée par Michel Barnier avec les Britanniques, au cours de la semaine du 24 avril, ont été peu constructifs. Les principaux sujets de divergence demeurent la pêche, la gouvernance et, surtout, les conditions d'une concurrence équitable. Notre objectif, confirmé par Michel Barnier, est de tout faire pour défendre le mandat que les États membres lui ont confié le 25 février. Il est pour nous hors de question de céder à l'approche sélective des Britanniques ; nous souhaitons, au contraire, nous assurer que les négociations progressent au même rythme sur tous les sujets et pas uniquement sur ceux qui relèvent de leurs seuls intérêts.

Je vous le dis clairement parce que ces sujets représentent des enjeux importants dans chacune de vos circonscriptions : nous ne sacrifierons pas les intérêts des pêcheurs, des agriculteurs, des entreprises et des citoyens pour signer un accord dans les délais et aux conditions imposées par les Britanniques. Il est de notre devoir de nous préparer, comme nous l'avons fait pour la négociation sur l'accord de retrait, à tous les scénarios, y compris celui d'une absence d'accord à la fin de la période de transition. Tel est l'objet de la demande d'habilitation présentée par le Gouvernement à l'article 4 du projet de loi.

Je vais maintenant vous présenter en détail l'approche retenue par le Gouvernement pour demander cette habilitation.

En premier lieu, le dispositif proposé se fonde sur le modèle de celui prévu par la loi d'habilitation de janvier 2019, adopté à l'époque pour nous préparer à l'hypothèse d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il tient bien évidemment compte de l'évolution du contexte, et les différences résultent principalement de l'entrée en vigueur de l'accord de retrait.

L'article 4 porte sur trois ensembles de sujets : ceux non couverts par l'accord de retrait ; les questions qui se poseraient sur la relation future en cas d'absence d'accord à l'issue de la période de transition ; des situations particulières non encore identifiées mais qui pourraient survenir – comme on le dit souvent, gouverner, c'est prévoir, et prévoir, c'est anticiper – , d'où le besoin de disposer d'une marge de manoeuvre.

En tout état de cause, la démarche de la France respecte pleinement les compétences et l'action de l'Union européenne dans le cadre de la négociation. Nous avons totalement confiance en Michel Barnier, que nous remercions pour l'énergie et la persévérance qu'il met dans ce travail.

Certains sur ces bancs s'interrogent sur la nécessité de légiférer par ordonnance : l'habilitation est nécessaire pour adopter rapidement des mesures qui s'imposent, dans un contexte qui évolue rapidement et compte tenu des contraintes qui pèsent sur le déroulement et l'issue de la négociation. Le Gouvernement doit être en mesure de protéger sans délai les personnes et les entreprises qui pourraient pâtir de l'effet couperet de la fin de la période de transition. Personne ici ne peut, me semble-t-il, contester ce besoin de protection. Le Parlement aura bien sûr l'occasion d'exercer son contrôle et continuera d'être informé, aussi souvent que nécessaire, de l'état des négociations avec le Royaume-Uni.

Des députés ont, en commission, critiqué la durée de l'habilitation. Je veux vous le dire solennellement : nul n'a l'intention de dessaisir le Parlement de ses prérogatives. Vous connaissez mon attachement, tout comme celui de Marc Fesneau, aux prérogatives de cette assemblée, notamment celles de contrôle, et à l'importance du travail parlementaire. Vous connaissez également mon engagement à défendre les intérêts de tous les Français dans cette négociation. Il n'y a pas de bon accord conclu dans la précipitation, et nous préférons un bon accord dans dix-huit, vingt ou trente mois à un accord insatisfaisant à la fin de l'année.

Vous le savez, le choix d'étendre la période de transition revient aux Britanniques, et compte tenu de l'état d'avancement de la négociation et en dépit du fait qu'ils s'y refusent pour le moment, personne ne peut exclure cette hypothèse. C'est pourquoi la période d'habilitation doit être suffisamment longue pour couvrir une possible extension de la période de transition – sachant qu'aux termes de l'article 132 du traité, celle-ci peut être reconduite pour un ou deux ans. Ainsi, même en cas de prolongation, le Gouvernement pourrait prendre par ordonnance les dispositions nécessaires. En outre, en choisissant une période d'habilitation correspondant au moins à l'allongement d'un an de la période de transition, nous pourrions montrer aux Britanniques que la négociation ne s'arrêtera pas le 31 décembre à minuit si le projet d'accord ne respecte pas les limites que nous avons fixées.

J'en viens maintenant aux mesures précises contenues dans l'article d'habilitation.

La première, sur la circulation des personnes et des marchandises, est destinée à assurer la continuité du trafic dans le tunnel sous la Manche même en l'absence d'accord à l'issue de la période de transition. Certes, notre objectif est de maintenir un cadre de gestion unifié, tel que prévu par le traité de Cantorbéry, mais si la négociation ne pouvait aboutir, il nous semblerait nécessaire de prévoir, au moins à titre temporaire, la compétence de l'Autorité nationale de sécurité ferroviaire.

La deuxième disposition concerne la circulation de matériels de défense exportés vers le Royaume-Uni. Nous allons bien entendu préserver le régime de contrôle de ces exportations, soumises à une autorisation préalable, mais les licences dites de transfert de ces matériels au sein de l'Union européenne deviendront, au titre du droit français, des licences d'exportation pour tenir compte de la perte de la qualité d'État membre du Royaume-Uni. Cette mesure est essentielle à la bonne circulation des marchandises exportées par la France vers le Royaume-Uni : comme vous le savez, les relations en matière de défense avec un État tiers relèvent de nos compétences souveraines, ne sont pas régies par l'accord de retrait et doivent faire l'objet de mesures adaptées.

Le troisième type de dispositions de l'article 4 s'inscrit dans une perspective de stabilité financière et vise à protéger les assurés et les épargnants. Nous souhaitons sécuriser les conditions d'exécution des contrats en cours et inciter au transfert de ceux-ci vers des entités agréées au sein de l'Union européenne. Le but est de protéger les assurés français, en sécurisant leurs contrats d'assurance – notamment d'assurance-vie – souscrits durant la période de transition auprès d'organismes britanniques, mais également les épargnants français, l'éventuel maintien temporaire de l'éligibilité de certains titres nécessitant des dispositions législatives.

Enfin, l'article 4 contient des dispositions protectrices pour les ressortissants britanniques en France, destinées à leur garantir la poursuite de certaines activités que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne pourrait mettre en péril. L'habilitation est rédigée de façon à couvrir des situations qui n'auraient pas été encore identifiées. En effet, même si la très grande majorité des sujets sont traités par l'accord de retrait, ou le seront par celui portant sur la relation future, nous ne pouvons pas exclure qu'émergent des sujets résiduels appelant une intervention à l'échelle nationale. Par définition, nous ne les connaissons pas encore, mais il nous semble important de permettre à certaines professions, dont les conditions d'exercice sont soumises à l'appartenance à l'Union européenne, comme les avocats, certains experts-comptables, des architectes ou des médecins, d'assurer la poursuite d'activité de sociétés dont le capital social est détenu au Royaume-Uni. L'objectif est, là aussi, de préserver des situations existantes.

Nous sommes engagés dans une négociation sans précédent. Grâce à nos efforts collectifs et à votre soutien, nous sommes parvenus à franchir une première étape, celle d'une sortie ordonnée du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pas eu à faire usage de l'habilitation que vous lui aviez confiée en janvier 2020. Avec vous, je forme le voeu que nous trouvions un accord ambitieux avec le Royaume-Uni d'ici à la fin de la période de transition. Avec vous, je forme le voeu que nous n'ayons pas à utiliser l'habilitation que je vous demande de nous donner aujourd'hui. Mais je vous dis solennellement qu'il faut nous préparer à toutes les éventualités et protéger les Français face à l'incertitude du Brexit. Le Gouvernement aura à en rendre compte devant cette assemblée, et je suis bien sûr prête à venir aussi souvent que nécessaire et que vous le jugerez utile pour vous tenir informés de l'état d'avancement de la négociation.

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