Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative aux innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de covid-19 suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

En dépit de ces faits bien connus, votre gouvernement s'apprête à recourir à une application de traçage numérique, balayant au passage deux particularités importantes de cette histoire si chère à notre peuple.

La première concerne l'attachement viscéral de nos concitoyens aux libertés publiques et individuelles. Si les Françaises et les Français sont prêts à l'impossible pour parvenir à la concorde, ils ne suivront pas aveuglément des directives inutiles et dangereuses.

De fait, elles sont inutiles. Comme l'ont rappelé certains collègues, cette technologie vient seulement pallier vos carences en matière de lutte contre la propagation du covid-19.

Aurions-nous recours au traçage numérique si nous avions eu dès le début des tests et des masques en nombre suffisant pour couvrir les besoins du personnel soignant et de la nation ? Chacun fera son examen de conscience. Mais nous savons pour notre part que, pour un gouvernement, le meilleur moyen de veiller sur sa population est d'assurer un financement à la hauteur des enjeux de santé publique, comme nous le proposons depuis le début du quinquennat.

Or depuis trois ans, votre majorité a refusé de nous écouter, et n'a eu de cesse de frapper notre système hospitalier en plein coeur, en appliquant des politiques néolibérales fondées sur la seule gestion comptable, tout en espérant que l'extrême dévotion du personnel soignant suffira à faire tenir l'édifice. Vous pouvez vous en remettre à toutes les technologies du monde, mais les faits sont têtus et nos concitoyens n'oublieront jamais ce que vous avez fait à leur système de santé.

Si cette application se révèle donc être un cache-misère, elle est aussi dangereuse, car elle entrouvre la porte à la surveillance de masse, dans des proportions jusque-là inédites.

L'expression n'est pas exagérée en pareilles circonstances, tant le risque est grand de rogner sur les libertés individuelles, si durement gagnées dans le passé : géolocalisation ou non, nous ne savons rien de ce qui pourra être fait des données récoltées sur le téléphone, rien sur la sécurité du code-source de l'application. Nous savons en revanche que le Bluetooth n'est pas la gentille technologie que certains de ses défenseurs veulent nous présenter. Apple, Google et le secteur commercial l'ont compris depuis bien longtemps, en utilisant cet outil à des fins mercantiles.

Cette dangerosité est connue, bien au-delà des seuls bancs communistes. Les interrogations sont nombreuses dans cet hémicycle, et nous n'ignorons pas que ce débat, qui n'a aucune portée normative, se tient uniquement dans le but d'éviter à La République en marche d'avoir à se déchirer en place publique.

Vous n'avez pas de majorité favorable au traçage numérique. Ce constat m'amène à évoquer la deuxième particularité que votre gouvernement s'apprête à malmener. N'en déplaise aux nostalgiques et aux donneurs de leçons, la France est une république une et indivisible, où la démocratie s'organise au sein d'un régime parlementaire. À ce titre, le pouvoir exécutif, comme son nom l'indique, n'est qu'un exécutant de la souveraineté du peuple, exprimée dans cette enceinte par la voix de ses représentants. Il n'a pas de volonté propre, encore moins si cette dernière rencontre la désapprobation de la majorité des parlementaires, à l'instar de ce qui se passe ici. Étienne Cabet estimait qu'en république, le pouvoir exécutif devrait être assez puissant pour être utile. Montrez-vous utile et renoncez au traçage numérique.

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