Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du lundi 27 juillet 2020 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

je respecte cette position mais je ne la partage pas, considérant que nous ne pouvions pas retarder plus encore son examen ni son adoption. En effet, il s'est écoulé presque une décennie depuis la dernière révision. Or nous connaissons le risque, à chaque examen, d'adopter un texte qui deviendrait trop vite obsolète, tant les techniques scientifiques et médicales évoluent rapidement.

Nous avons pris du retard dans l'examen de ce texte et il est vrai que nous reprenons nos travaux dans un contexte particulier et incertain. L'épidémie de covid-19 a eu des conséquences sur tous les pans de notre société et elle a très probablement bouleversé chacun d'entre nous, en tant que parlementaire, mais surtout en tant que citoyen. Elle a révélé la fragilité de l'être humain, rappelant par-là la priorité que revêt la préservation de notre santé et, par conséquent, l'exigence que nous devons avoir vis-à-vis de la qualité des soins.

Elle nous invite, par ailleurs, à créer les conditions d'une recherche performante, ce qui implique des investissements importants et nécessite de garantir une organisation efficace et respectueuse des conditions de travail des chercheurs. Il conviendra d'avancer sur cet aspect majeur dans le cadre de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

Le projet de loi est donc bien plus que jamais d'actualité, puisqu'il y est avant tout question d'humanité. Or, si la crise du covid-19 nous a rappelé une chose, c'est la nécessité de toujours placer l'humain au coeur de nos réflexions. C'est donc en ayant en tête ces préoccupations renforcées qu'il convient aujourd'hui d'aborder la deuxième lecture de ce texte.

Il était d'autant plus nécessaire que nous puissions reprendre nos travaux que l'examen au Sénat a conduit à l'adoption d'un texte bien différent de celui que nous avions nous-mêmes adopté en première lecture. Or, pour moi, comme pour beaucoup d'entre nous ici, les modifications introduites allaient en-deçà de l'ambition initialement portée. Je me réjouis donc que notre commission spéciale ait rétabli dans sa version issue de l'Assemblée les dispositions relatives à l'ouverture à toutes les femmes de l'assistance médicale à la procréation. C'est une avancée importante, qui répond à une demande légitime, et un combat que, personnellement, je mène avec conviction depuis plusieurs années. Il était essentiel que nous puissions revenir sur la non-prise en charge par la sécurité sociale pour toutes les femmes, ainsi que sur le maintien du strict critère médical et pathologique. Ces deux dispositions introduites au Sénat ne permettaient pas de garantir l'égalité d'accès aux techniques d'AMP à toutes les femmes, indépendamment de leur catégorie socio-économique, de leur projet parental ou de leur orientation sexuelle.

Il était également important de revenir sur l'interdiction de l'autoconservation des ovocytes : son autorisation est une bonne mesure au titre de la prévention de la fertilité féminine. D'ailleurs, l'insuffisante prise en compte des enjeux liés à la fertilité est peut-être l'un des regrets que ce texte suscite. C'est pourquoi nous avons de nouveau soutenu, de manière transpartisane, la mise en place d'un plan de prévention national contre l'infertilité, à l'initiative de la présidente de la commission spéciale. Une vraie politique de prévention, au moyen de campagnes nationales d'information et de prévention, est en effet essentielle. La recherche sur les causes de l'infertilité doit également être renforcée.

Il faut faire primer la liberté et le libre-arbitre de chacun car, nous le savons, recourir à une AMP est toujours une épreuve, faite de douleurs et d'échecs. Les parcours sont longs, éprouvants et ont des retentissements souvent douloureux sur le corps des femmes, sur les couples et sur la vie de l'entourage. Il ne faut jamais sous-estimer le combat et la souffrance que cela représente.

Cela me conduit à un autre regret : celui de constater que l'efficacité des techniques d'AMP est encore loin de ce que nous pouvons espérer. Les taux de succès des tentatives de PMA après fécondation in vitro sont loin d'être satisfaisants – ils atteignaient 20 % en 2015. Alors que nous n'étions pas parvenus à un consensus en première lecture, notre commission a adopté un amendement, que j'ai soutenu, autorisant de manière expérimentale le diagnostic pré-implantatoire à la recherche d'aneuploïdies, c'est-à-dire de cellules possédant un nombre anormal de chromosomes. Personnellement, je souhaite que le texte issu de nos travaux maintienne cette disposition demandée par de nombreux professionnels. Je sais, monsieur le secrétaire d'État, qu'il s'agit là d'une divergence entre nous. L'objectif est non pas d'opérer une sélection ou une manipulation des embryons, mais bien d'éviter de transférer des embryons dont le potentiel d'implantation est quasiment nul et donc d'entraîner des fausses couches ou des interruptions médicales de grossesse, génératrices de souffrances et de dangers pour les femmes. En outre, ces diagnostics n'ont pas vocation à être systématiques mais pourraient être réservés à certains cas particuliers liés à l'âge ou au passé des patientes. Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur le sujet, mais il me semble essentiel d'adopter dès aujourd'hui des mesures permettant d'améliorer les techniques d'AMP et leur taux de réussite.

Pour ce qui est des modes de filiation, les dispositions introduites au Sénat étaient incohérentes avec l'ambition du texte. Dès la première lecture, je me suis prononcée favorablement sur l'extension du droit commun aux couples de femmes. Cette solution me paraissait la seule à même de garantir une égalité entre tous les couples et une absence de discrimination entre les couples ayant recours à une AMP avec tiers donneur et les couples homosexuels. Je reconnais néanmoins que le nouvel article modifié par la rapporteure Coralie Dubost en commission propose un compromis plus satisfaisant, car plus protecteur que celui que nous avions adopté en première lecture.

Il a aussi le mérite de faire apparaître la mention de la mère gestatrice, tout en garantissant la responsabilité des deux mères à l'égard de l'enfant dès le moment du consentement au don. Je souligne toutefois que cette ouverture ne doit pas faire oublier les mutations des familles au sein de notre société : c'est pourquoi je plaide pour une réécriture complète de la filiation dans notre code civil. J'espère que la révision du droit de la filiation pourra aboutir pour tenir compte de ces évolutions.

Nous prenons par ailleurs bonne note du dépôt d'une proposition de loi de notre collègue Monique Limon relative à l'adoption : il est effectivement essentiel que nous puissions avancer également sur le sujet.

Je tiens à m'attarder brièvement sur une disposition introduite au Sénat et finalement modifiée par la rapporteure en commission, concernant l'article 4 bis relatif à la transposition des actes de naissance des enfants nés de GPA à l'étranger. La mesure prévoit que l'acte de naissance est régulier si les faits qui ont conduit à l'établir sont conformes à la réalité juridique en vigueur dans notre pays. Or, ces actes de naissance ont été établis régulièrement au regard de la loi étrangère et il serait très perturbant de revenir sur leur validité sous prétexte qu'ils ne correspondraient pas à la réalité juridique française. Cela placerait les enfants concernés et leur famille dans une insécurité juridique et irait à l'encontre de l'intérêt supérieur des enfants.

C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à préserver l'esprit de l'article 47 du code civil, qui dispose que les actes d'état civil d'enfants français établis légalement à l'étranger sont retranscrits dans l'état civil en France. Plus précisément, cet amendement tend à consacrer et à étendre, par voie législative, la jurisprudence désormais constante du tribunal de grande instance de Paris, qui considère que les jugements étrangers par lesquels la filiation d'un enfant né par GPA a été légalement établie doivent être appréhendés comme une filiation adoptive.

Je tiens à insister, par ailleurs, sur l'intransigeance avec laquelle nous devons protéger l'humain et sa dignité des dangers de la marchandisation ou de l'instrumentalisation. Nous devons garantir le respect de nos principes éthiques que sont l'indisponibilité du corps humain et la gratuité et l'anonymat du don. À cet égard, je regrette que nous n'ayons pas pu aller plus loin sur l'interdiction du trafic d'organes et la lutte contre le prélèvement forcé, notamment au niveau international. Nos amendements en ce sens ont malheureusement été jugés irrecevables.

Je me réjouis, en revanche, de l'adoption de l'amendement de notre collègue Hervé Saulignac, que j'avais d'ailleurs cosigné, qui met fin à la discrimination des personnes homosexuelles lors d'un don de sang. Je souhaite que nos travaux maintiennent cette disposition.

De manière générale, le projet de loi me paraît ménager un juste équilibre entre le respect de nos principes éthiques et l'accompagnement des techniques scientifiques, grâce notamment à l'introduction d'un régime différencié entre l'embryon et les cellules souches embryonnaires.

Ce nouveau régime permettra de soutenir la recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui est essentielle pour l'amélioration des connaissances et l'accélération du développement de thérapeutiques, particulièrement espérées et attendues par de nombreux malades qui n'ont aujourd'hui aucun traitement.

Nous progressons aussi sur le don d'organes et de cellules souches hématopoïétiques, que les techniques médicales améliorent constamment pour guérir certains cancers et déficits immunitaires. Ces avancées doivent être saluées, elles sont le résultat de longues années d'études. Plus que jamais, l'épidémie de covid-19 nous rappelle l'importance du temps long en matière de recherche en santé et, surtout, la nécessité de toujours placer l'humain – et donc le patient – au coeur de la réflexion et du parcours de soins.

Gardons-nous de jamais dissocier la bioéthique de la santé, car il s'agit bien d'améliorer, à l'aide des techniques scientifiques, la qualité des soins et des thérapies. À ce titre, le volet relatif à la sécurité des pratiques me semble satisfaisant. Je me réjouis que nous ayons pu rétablir l'interdiction de tout démarchage publicitaire portant sur les tests génétiques : ces derniers doivent être réservés à un strict usage médical.

Je suis, en revanche, inquiète quant à l'accès à l'interruption volontaire de grossesse : au-delà des dispositions prévues dans le texte, qui me paraissent tout à fait pertinentes, je rappelle en effet qu'aujourd'hui encore, et alors que c'est un droit garanti par la loi depuis 1975, il est encore souvent contesté et que perdurent d'importantes difficultés pour y accéder, comme l'a tristement prouvé la période de confinement.

Lors de la première lecture, j'ai, comme une majorité des membres du groupe Libertés et territoires, soutenu le projet de loi. En deuxième lecture, le texte issu des travaux de la commission spéciale me conforte dans ce choix. Cependant, chaque député de notre groupe se prononcera à nouveau en conscience pour déterminer si le texte conforte le modèle français de bioéthique, dont nous pouvons, collectivement, être fiers.

J'insisterai, pour terminer, sur l'un des enseignements de la crise que nous venons de traverser : il est urgent de réconcilier la société et la science. Depuis le début de l'épidémie, les scientifiques n'ont jamais été aussi présents dans les médias ; c'est vers eux que nous nous sommes tournés pour répondre aux nombreuses questions que le nouveau virus posait. Plus que jamais, nous avons pris conscience du défaut d'information des citoyens quant au fonctionnement de la recherche scientifique en France, de la frontière rigide séparant les enseignements scientifiques des décisions politiques, et des bienfaits que pourrait produire une plus grande coopération.

À cet égard, il me paraît important de revenir sur la suppression de l'article créant une délégation parlementaire à la bioéthique. Je ne comprends pas le choix qu'a fait la rapporteure de retirer, au dernier moment, son amendement en ce sens, au prétexte que le président de l'Assemblée nationale se serait engagé à créer une entité ad hoc. En effet, son contenu et son fonctionnement n'en ont pas été clairement précisés, et les réponses floues qui nous ont été apportées en commission sont loin d'être satisfaisantes. Je regrette que nous nous privions d'un instrument utile et efficace pour éclairer la représentation nationale sur les enjeux complexes de bioéthique. Une telle délégation nous aurait permis de mieux nous préparer aux futures révisions et de mieux prendre en considération ces questions dans les différents textes que nous examinons.

Enfin, nous espérons sincèrement qu'à l'avenir, nous ferons le choix d'investir fortement dans la recherche scientifique : si nous ne soutenons pas financièrement la recherche et leur application dans la médecine de tous les jours, toutes ces avancées seront vaines.

Pour conclure, je souhaite que les débats qui vont désormais s'ouvrir puissent se dérouler dans le même esprit que celui qui avait prévalu en première lecture et en commission spéciale, et que nous puissions avancer, en adoptant des mesures attendues et espérées par de nombreuses personnes.

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