Intervention de Alice Thourot

Séance en hémicycle du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlice Thourot, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir rappelé avec précision le contexte sanitaire dans lequel nous examinons ce quatrième projet de loi en réponse à l'épidémie de covid-19, ainsi que le manque d'enthousiasme avec lequel il est accueilli. Ce rappel était d'autant plus nécessaire, et cela n'aura échappé à personne, que la situation s'est encore dégradée depuis la semaine dernière, quand vous avez été auditionné par la commission des lois.

Gardons bien en mémoire, quand nous aborderons la discussion des articles, que ce sont désormais plus de 3 500 personnes contaminées qui sont hospitalisées chaque semaine, dont 600 en réanimation, et que 332 personnes sont décédées durant la seule semaine du 14 au 21 septembre.

N'oublions pas non plus le personnel soignant, qui fait preuve d'un dévouement sans faille malgré l'inévitable fatigue et la légitime appréhension des prochains mois. La profonde reconnaissance que nous lui devons implique aussi d'agir en responsabilité afin de limiter au maximum les conséquences, notamment sur l'hôpital, de la reprise épidémique.

Enfin, ne perdons pas de vue que le laxisme auquel nous pourrions avoir la tentation de céder aurait des conséquences directes sur leurs gardes de nuit, sur les dangers qu'ils courent, sur leurs vies qu'ils exposent pour sauver les nôtres.

Cette responsabilité, nous la devons également aux Français, qui ont consenti à de nombreux efforts, souvent difficiles, avec beaucoup de courage. Si la population s'est astreinte à beaucoup de sacrifices pour freiner l'épidémie au printemps – elle continue à le faire, puisque la vie normale n'a pas repris – , ce n'est certainement pas pour que nous lui lâchions la bride à l'automne : comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, il faut tenir !

En juillet dernier, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont estimé que les mesures prévues dans le cadre du régime transitoire étaient nécessaires. Nous avons assumé nos responsabilités jusqu'au terme de la navette parlementaire en permettant l'adoption, en lecture définitive, de la loi du 9 juillet. Le Conseil constitutionnel a validé cette démarche par une décision de conformité sans réserve. Malheureusement, l'évolution de la situation sanitaire tout au long de l'été nous a également montré que nous avions raison de faire preuve de prudence.

Si ces mesures étaient nécessaires en juillet, qu'en est-il, mes chers collègues, en ce premier jour du mois d'octobre ? Elles sont aujourd'hui devenues indispensables. Ce mot, ce n'est pas le mien, c'est celui du Conseil scientifique, qui a rendu un avis catégorique sur le projet de loi dont nous discutons. Permettez-moi de le citer afin que les choses soient parfaitement claires : « Au regard de l'évolution actuelle et prévisible de l'épidémie au cours des prochains mois d'une part, et au regard du caractère provisoire de ces dispositions d'autre part, le Conseil scientifique considère indispensable la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril 2021, telle que proposée par le projet de loi. »

Je vous le dis sans détour : il est hors de question de laisser le pays désarmé au 1er novembre prochain. Nous ne pouvons pas non plus attendre que la situation se détériore au point de justifier un nouveau recours aux mesures les plus drastiques auxquelles nous avons dû nous résoudre au printemps, c'est-à-dire à un nouveau confinement généralisé.

Quand bien même le déclenchement de l'état d'urgence sanitaire s'avérerait, hélas, nécessaire sur certaines parties du territoire, nous aurions toujours besoin des mesures permises par le régime transitoire ailleurs en France afin de protéger nos concitoyens contre l'épidémie. Car oui, nous voulons éviter autant que possible les décisions uniformes, égalitaristes, qui tombent de Paris et qui concernent tous les villages – je pense en particulier à ceux de la Drôme. Nous faisons le choix de la territorialisation des mesures, de la décision au plus proche du terrain, de la coordination entre l'État et les élus locaux grâce aux préfets et aux maires.

C'est pourquoi l'article 1er du projet de loi proroge, jusqu'au 1er avril prochain, le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, dont l'échéance avait alors été fixée au 30 octobre. Il s'agit aujourd'hui de la seule solution envisageable entre l'état d'urgence sanitaire et le droit commun, aucune de ces deux options n'étant pertinente dans le contexte sanitaire. Ce constat a été partagé par le Conseil d'État qui a estimé, dans son avis favorable sur le projet de loi, que la situation sanitaire « crée la nécessité de prendre ou de renforcer des mesures fondées sur la loi du 9 juillet 2020, que le droit commun du code de la santé publique [… ] ne permet pas de prendre ». Selon lui, la situation n'est pas non plus « telle qu'à ce stade, le recours à l'état d'urgence sanitaire, généralisé ou circonscrit à certains territoires, serait pour autant justifié ».

L'échéance du 1er avril permettra au Parlement d'aborder sereinement la discussion du projet de loi visant à pérenniser les dispositifs de gestion de l'urgence sanitaire. En effet, le régime de l'état d'urgence imaginé dans la loi du 23 mars 2020 a vocation à disparaître à cette date, comme l'ont souhaité les députés et les sénateurs qui ont adopté cette loi.

Ces cinq mois de prorogation ne constituent pas, comme j'ai pu l'entendre dire en commission des lois, un « chèque en blanc » à l'exécutif. Celui-ci est dépositaire, au contraire, d'une lourde responsabilité : garantir le droit à la protection de la santé que proclame le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'affirmer dans un juste équilibre avec les libertés individuelles et la préservation de l'ordre public. Dans ce contexte, l'état de droit, loin de reculer, s'affirme : le Parlement autorise et contrôle, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État veillent à la garantie des droits et libertés, le Conseil scientifique émet ses recommandations en toute indépendance. Face à la menace épidémique, il revient à chacun de prendre sa part de responsabilité.

Le projet de loi initial préservait l'ensemble des équilibres trouvés lors de la discussion de la loi du 9 juillet dernier. C'est la preuve que nous avions réussi à bâtir un régime adapté aux circonstances, qui a permis de prendre des décisions rapides et proches du terrain pour faire face à l'accélération de la circulation du virus.

L'article 1er bis adopté en commission des lois à l'unanimité vient parfaire cet édifice. Nous avons souhaité, en commission, que la question des établissements recevant du public aux capacités d'accueil importantes puisse être abordée avec le Gouvernement en séance publique, et que les règles impératives tiennent compte des capacités d'accueil. Là encore, ce qui doit prévaloir, c'est une adaptation au terrain et non une jauge unique valant aussi bien pour un petit théâtre que pour le Stade de France. Les discussions sur la rédaction adéquate ont continué toute la semaine avec le Gouvernement, et nous serons en mesure ce soir de présenter une formulation qui donne satisfaction à tous.

La commission a également adopté, à l'initiative bienvenue de la présidente Yaël Braun-Pivet, deux articles 1er bis et 1er ter destinés à faciliter le fonctionnement des collectivités locales et des EPCI dans les zones de circulation active du virus. Ces aménagements, qui tiennent au lieu de réunion de l'organe délibérant et à la présence de public, avaient été décidés avec les ordonnances du printemps. La commission s'est bornée à les remettre en vigueur. Je sais que des amendements ont été déposés pour aller plus loin, et nous verrons au cours des débats si leur adoption se révèle opportune. Mais en cette année 2020 où les élus locaux ont beaucoup oeuvré, dans des conditions difficiles, pour accompagner les citoyens dans le confinement et au-delà, il nous a semblé naturel que le législateur ne les assigne pas au formalisme habituel.

Quant à l'article 2, il est la condition de la mise en oeuvre de la stratégie « tester, tracer, isoler » et de la recherche sur le virus. Sans la possibilité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter efficacement contre l'épidémie. Bien sûr, les systèmes d'information SI-DEP et Contact Covid ne peuvent pas tout : il faut des moyens et des procédures adaptées. Mais sans eux, nous perdrions une information essentielle pour comprendre comment l'épidémie se propage et apprécier l'efficacité des mesures sanitaires mises en oeuvre.

C'est pourquoi nous maintenons ces systèmes en vigueur jusqu'au 1er avril 2021, tout comme les garanties importantes qui les encadrent : le rapport trimestriel du Gouvernement au Parlement, l'avis public de la CNIL, l'avis du comité de contrôle et de liaison, qui veille au secret médical et à la protection des données personnelles, la sanction pénale du non-respect des règles relatives au traitement des données. À nouveau, tous les acteurs engagés dans la lutte contre l'épidémie soutiennent la prolongation de ces systèmes d'information. Nous avons modifié le dispositif en commission pour intégrer les recommandations de la CNIL et améliorer l'évaluation de ces systèmes d'information par le biais d'indicateurs précis, ce qui devrait recevoir l'assentiment de tous.

Certains d'entre vous ont peut-être eu à se plier à une quarantaine de sept jours. Ce fut le cas aussi, au sein même du Gouvernement, du Premier ministre et de plusieurs ministres. S'il faut améliorer la procédure de réalisation des tests pour réduire les délais actuels, le suivi de leurs résultats, l'information des personnes concernées et la poursuite de la recherche sur l'épidémie n'en sont pas moins essentiels.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce projet de loi est nécessaire à la bonne organisation de la lutte contre l'épidémie dans les prochains mois. Personne ne peut regarder les chiffres, ne peut regarder la France, et prétendre qu'il ne se passe rien, que le droit commun suffira et que l'épidémie est terminée. Ce n'est pas un renoncement. Nous continuerons à contrôler l'action du Gouvernement par l'action parlementaire et nous travaillerons au plus vite, comme l'a annoncé la présidente de la commission des lois, sur le dispositif pérenne de gestion des crises sanitaires.

Aujourd'hui, les temps restent exceptionnels, et nous avons encore besoin de moyens exceptionnels.

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